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Avignon : "Barbarians", la bombe chorégraphique d'Hofesh Shechter en trois actes

Le chorégraphe israélien Hofesh Shechter signe avec "Barbarians", une chorégraphie en trois actes bourrée d'énergie. Il taille les sons et la lumière comme un sculpteur attaque la matière, met en mouvement les danseurs et ébranle le public comme un seul corps. Une bombe.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
"Barbarians", Hofesh Shechter Avignon 2015
 (Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon)

A l'entrée de la salle un avertissement -le son du spectacle est très fort- accompagné d'une distribution de bouchons pour les oreilles. On entre. On s'installe. On garde les bouchons à portée de mains, au cas où. Et en effet quelques minutes plus tard, alors que la salle vient à peine d'être plongée dans le noir, explosion sonore, en même temps qu'une avalanche de faisceaux lumineux traversent la scène en courant, comme des projecteurs de sentinelle.

Un son magistral

Les danseurs entrent en scène, habillés en blanc, comme des anges. Et on n'a pas du tout envie de mettre les bouchons dans les oreilles. Ce son, magistral, alternance de musique électronique et de musique baroque, procure un plaisir immédiat. C'est fort. Et c'est bon.
"Je travaille sur des sons riches, et éclectiques", explique Hofesh Shechter. Et il ajoute ; "aujourd'hui on peut faire du son facilement. On ouvre internet, on tape, et hop des choses surgissent. Alors moi je mélange tout ça, des musiques déjà écrites et j'y ajoute mes inspirations, mes inventions. Je me régale", ajoute le chorégraphe.

Hofesh Shechter a construit ce spectacle en trois parties. "Un peu par hasard, comme tout ce que je fais. Ce n'est pas calculé. Je ne fais pas un "masterplan" quand je crée une nouvelle chorégraphie. Enfin je fais des plans mais je ne les suis jamais.", explique-t-il.

La seule chose qu'il avait décidée, c'était de travailler à une autre échelle que ses derniers spectacles, notamment "Sun", ample pièce avec de nombreux interprètes. "Avec les grands groupes, je perdais le contact avec les danseurs, donc là j'ai choisi de faire un travail plus rapproché avec les danseurs, plus intime". Hofesh Shechter a voulu une trilogie pour  travailler sur des moments plus courts, afin d'expérimenter d'autres énergies.

Une grande arche relie les danseurs

"Et quand j'ai vu le résultat lors de la première à Berlin, j'ai été agréablement surpris de voir une grande arche relier toutes les énergies des danseurs. Ils avaient chacun leur énergie propre, mais ils parlaient tous de la même chose", explique le chorégraphe.

Et en effet, sur scène, ses danseurs font corps d'une manière hypnotique. Corps, sons et lumières tous tendus vers une même idée. "Dans la première partie, j'ai voulu exprimer le rapport énergie d'un côté, et les restrictions de l'autre", explique le chorégraphe. Les danseurs, habillés de blanc, alternent des mouvements retenus, mécaniques, domestiqués, avec des danses totalement lâchées, tribales, voire bestiales.
  (Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon)
La musique accompagne ce double mouvement, musique baroque alternant ou chevauchant musiques électroniques ultra-rythmées, envoyées à bloc. "Le répertoire baroque me permet de décrire des êtres qui s'accrochent à l'idée de perfection. Laquelle leur glisse évidemment entre les doigts", ajoute Hofesh Shechter. "Cela m'intéresse de fragiliser, sinon de casser une certaine définition de la beauté, de la perfection", dit-il.

Le public emporté dans le mouvement

"Pour la deuxième partie du spectacle, l'idée était de parler du mal, du "lâcher-prise". Là, cinq danseurs en scène, habillés d'une peau dorée ultra moulante. Autant la première partie est rythmée par des ruptures brutales dans les lumières et les sons, autant la seconde est un flux.
  (Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon)
On passe d'une musique à une autre, d'une fête à une autre, d'un rythme à un autre, sans s'arrêter, comme un voyage ininterrompu dans le temps et dans l'espace. C'est groove, avec des excès parfois, qui confinent à la transe. Et là, le spectateur est tenté de se lever pour danser.

Le sens des réalités "c'est compliqué"

"La troisième partie, c'est compliqué. C'est quelque chose qui a à voir avec le sens des réalités, et là c'est beaucoup plus compliqué". Sur scène cette fois un homme et une femme. Lui, costume tyrolien, elle chemise et pantalon. Ils dansent côte à côte sur une musique d'ambiance, gestes et corps retenus.

On sourit. Puis c'est la débandade : combat, sexe, douceur, on ne sait pas trop. Les autres danseurs de la partie 1et 2 accompagnent le couple. Puis la femme rejoint le groupe. Puis l'homme débarrassé de sa culotte de cuir rejoint aussi la troupe. Et tous les danseurs se dandinent dans un même mouvement.

Tout au long du spectacle, des voix Off. Celle d'une professeure qui professe. Celle du chorégraphe, qui questionne. Celle d'un père, qui encourage son fils à vivre sa vie, libre.

Un seul corps

"Barbarians" est une bombe. Le travail du son, de la lumière, traités comme des matières vivantes, font corps avec les danseurs dans un même mouvement, jusqu'à contaminer le grand corps du public. On sort du spectacle étourdi, avec une sensation de plein et de vide à la fois. "Ce qui m'intéresse, explique Hofesh Shechter, c'est la confusion, les émotions. Le public pensera ce qu'il veut. Je n'ai pas de contrôle là-dessus. Heureusement et malheureusement en même temps. Je créé un espace clair, neutre, et je laisse au public la liberté de se mettre dedans", conclut le chorégraphe.

A la fin du spectacle, le public est debout. Comblé.
 
"Barbarians" Hofesh Shechter
14 juillet à 15 h et 19 h et 15 juillet à 15 h à la FabricA

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