Avignon : "3949 Veuillez patienter", danse sous tensions à Pôle emploi
39 49, c’est l’indicatif téléphonique de Pôle emploi. La célèbre structure sert de décor à la Cie Carna pour un solo mêlant danse et théâtre porté par Alexandre Blondel. Le spectacle se présente comme le journal de bord d’un homme qui après s’être retrouvé au chômage, devient agent d’entretien dans une agence Pôle emploi.
Cet univers va devenir le théâtre de sa vie avec des personnages (conseillers et usagers), des décors et des accessoires ( salle d’attente, guichets, photocopieuses, plantes vertes), son lot de drames et de tensions.
Au début, cet homme de ménage veut se faire invisible pour ne pas déranger. Et puis au fur et à mesure, il prend ses marques, trouve sa place tout en se fondant dans ce décor dont il finit par connaître tous les codes. Il va s’y fondre au point de passer ses nuits sur son lieu de travail. Puis découvre qu’il peut intervenir sur le cours des choses, rentrer dans les ordinateurs pour rétablir une indemnisation, prolonger les dates, modifier les allocations.
Il veut devenir un héros invisible, pour les chômeurs mais aussi pour les employés dont il perçoit la détresse et les failles. Il est pris dans cette spirale qui l’enivre. C’est comme un tourbillon. Mais peut-il être plus fort que le système ? Peut-il changer le cours de choses sans être rattrapé par la réalité ? L’issue du spectacle nous le dira mais sans nous imposer une réponse toute faite.
Un théâtre physique qui donne du sens
Autant vous le dire : on a beaucoup aimé "39 49 Veuillez patienter". Parce que c’est une création qui met la barre assez haut en terme de contenu, de recherche visuelle et chorégraphique mais sans perdre de vue l’humain et l’histoire. On n'est pas ici face à une danse de pure concept, abstraite et inabordable. C’est la première force de ce spectacle : il nous raconte une vraie histoire, avec un être de chair et d’os, chômeur qui est prêt à tout faire pour retravailler.A partir de cette réalité, Alexandre Blondel et son équipe (8 personnes ont collaboré à ce spectacle) déroulent le film d’une vie, avec des plans-séquences qui montrent toutes les étapes, tous les changements dans la pensée du personnage principal.
Le spectacle alterne séquences dansées et parlées (avec ou sans voix off) mais parfois tout se mélange. Alexandre Blondel est équipé d’un micro qui lui permet de danser tout en continuant à dire son texte (signé Christian Caro). Un exercice difficile dont l’artiste se sort avec intelligence : il ne cherche pas à masquer son effort ni son essoufflement. Car ces signes traduisent le travail du personnage principal chargé de faire le ménage. Un travail physique, avec des gestes répétitifs qui malmènent son corps.
C'est là qu'il faut souligner le travail de mise en scène réalisé par Fabien Casseau qui apporte de vrais éléments pour comprendre et surtout ressentir l’histoire. Il y a d’abord la vidéo (signée Sébastien Gaudronneau) qui crée de façon simple mais astucieuse un espace et une réalité très formatés, très délimités comme le sont les espaces d’accueil Pôle emploi. Des sentiments renforcés par un travail sonore et musical très fouillé. Réalisé par Stéphane Comon, il est basé entre autre sur des échantillons électro-acoustiques captés dans des agences Pôle emploi.
Quant à Alexandre Blondel, il porte avec un mélange de force et de fragilité ce spectacle à la fois très physique, chargé de sens et de tensions. Sa carrure plutôt trapue lui donne un ancrage qui va de pair avec la réalité qu'il dépeint. Quand il parle, il le fait sobrement, sans chercher à jouer ou à interpréter, permettant au public de s’approprier plus facilement les mots et les pensées.
On a beaucoup aimé aussi sa façon de " raconter " l’attente avec son corps. Sur une chaise, debout devant un guichet, il crée de micro-mouvements, ceux qu’on peut avoir quand notre corps est fatigué de se tenir et qu’il commence à se laisser aller : le dos qui s’affaisse, la tête qui bascule, un pied qui part de côté.
Mais attention, "39 49.." est un spectacle qui bouscule. Certaines séquences poussent le danseur à bout… et le spectateur aussi, de façon très physique. Dans la dernière partie, la musique se fait plus forte, le rythme de la danse s’accélère, les images aussi, on finit par se dire " Mais ça ne va jamais s'arrêter ?! ".
Puis on comprend que cette cadence infernale symbolise peut-être aussi la spirale dans laquelle est prise le héros. Un héros qui flirte avec les limites de la folie quand il découvre l’ivresse de celui qui peut contrôler les vies…mais qui finit par perdre le fil de la sienne dans cet univers très codifié, où l'humain ne trouve plus sa place.
"3949, veuillez patienter"
Création Cie Carna avec Alexandre Blondel
Jusqu'au 21 Juillet 2015 (relâches les 9 et 15 juillet)
Théâtre Golovine à Avignon
1 bis rue Ste Catherine - Point Off 67
Réservation au 04 90 86 01 27
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