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"Dancing Pina" : dans un documentaire touchant et magistral, la jeune génération s'empare de l’héritage de Pina Bausch

Le documentaire "Dancing Pina" montre avec justesse la transmission du répertoire remarquable de la chorégraphe Pina Bausch à la jeune génération. Le réalisateur Florian Heinzen-Ziob suit deux productions à l’Opéra Semper en Allemagne et à l’École des Sables du Sénégal avec des danseurs de tous les pays d’Afrique. En salle depuis le 12 avril.
Article rédigé par Yemcel Sadou
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une des danseuses de l’École des Sables du Sénégal dans le documentaire "Dancing Pina", en salle depuis le 12 avril (Copyright mindjazz pictures 2022)

Malou Airaudo, ancienne danseuse de Pina Bausch, enfonce une cassette d’Iphigénie en Tauride dans un magnétoscope. A 71 ans au moment du film, elle se plonge dans les archives du Tanztheater Wuppertal, la compagnie de Pina avec qui elle a travaillé à partir de 1973. Malou veut perpétrer l’œuvre de la chorégraphe . Elle continue d’enseigner la danse dans le monde entier et à la pratiquer.

Cette scène ouvre le documentaire Dancing Pina, en salles depuis le 12 avril. Un film qui suit deux projets pour faire vivre le répertoire de Pina Bausch. Le documentaire est centré autour de la transmission des anciennes danseuses de Pina Bausch qui ont participé à la création de ses pièces dans les années 1970. "J’ai été fasciné par le dialogue entre les souvenirs de l’ancienne génération et l’interprétation des danseurs d’aujourd’hui, qui cherchent dans un cadre très contraint une expression artistique personnelle", poursuit Florian Heinzen-Ziob.

Le film confronte deux manières d’aborder les œuvres de Pina que l’on soit expérimenté ou pas. Le spectateur rencontre des danseurs classiques dans la production d’Iphigénie en Tauride à l’Opéra Semper de Dresde, ainsi que des danseurs de tous les pays d’Afrique. Ils ont voyagé jusqu’à l’École des Sables au Sénégal pour apprendre Le Sacre du Printemps.

Réalisé par Florian Heinzen-Ziob qui signe son troisième film, Dancing Pina évoque le lâcher prise fondamental et caractéristique des spectacles de Pina Bausch. "Je pris conscience que les archives de Pina Bausch n’étaient pas un mausolée, mais l’épicentre d’un processus permanent pour que l’héritage de Pina se transmette de génération en génération, passe de corps à corps et soit ainsi préservé au-delà de sa mort", explique-t-il dans sa note d’intention.

Apprendre à danser comme à marcher

Tout au long du documentaire, les danseurs ont l’impression de partir de zéro. "Je dois apprendre à digérer ce nouveau vocabulaire. C’est comme si je dansais et j’apprenais à marcher pour la première fois", raconte Sangeun Lee qui tient le rôle d’Iphigénie dans le spectacle. Elle est danseuse au sein du Ballet de l’Opéra Semperoper depuis 2010. Danser du Pina Bausch est pour elle un défi de taille : "En général on fait tout pour effacer la moindre imperfection. Avec Pina je n’ai pas besoin de ça, je dois être moi-même. Je n’ai pas à être dans le contrôle de mon corps, à chercher le mouvement parfait : je dois lâcher prise" , poursuit-elle.

La danseuse Sangeun Lee qui tient le rôle d’Iphigénie dans le spectacle de Pina Bausch, s'entraine pour la représentation à l'Opéra Semper de Dresde, dans le documentaire "Dancing Pina" (Copyright mindjazz pictures 2022)

Le réalisateur montre avec brio et discrétion les doutes de Sangeun, recroquevillée et pensive dans un coin de la salle de répétitions. La caméra se rapproche au plus près des mouvements des danseurs qui touchent le sol du bout de leur main. On comprend vite que la danse de Pina Bausch est intense et qu’il faut se livrer complètement pour la restituer.

" Je sens que c’est ennuyeux : vous ne devez faire en sorte que ça ne le soit pas", scande Malou Airodeau à Sangeun. Pour elle, il faut de l'émotion dans chaque mouvement : " Ce n’est ni classique, ni contemporain. On cherche qui on est en tant qu’être humain. En tant qu’artiste. Qui es-tu ? Que peux-tu raconter avec ton expérience et ta technique ? On ne peut pas imiter, on doit être fidèle à soi-même", explique-t-elle face caméra.

Pina au Sénégal, la claque

 A l’École des Sables au Sénégal, les danseurs venus de toute l’Afrique abordent Le Sacre du Printemps avec passion et fascination. La scène des répétitions est un plateau ouvert sur la nature sauvage. Josephine Ann Endicott, ancienne soliste au sein du Théâtre de la Danse de Pina Bausch dirige les répétitions. " N’aie pas peur, je suis seulement là pour t’aider" dit l’ancienne danseuse de Pina à la jeune capverdienne Luciény Kaabral au visage fermé.  

Les danseurs de l’École des Sables du Sénégal en répétition du spectacle de Pina Bausch "Le Sacre du Printemps", dans le documentaire "Dancing Pina", en salle depuis le 12 avril (Copyright mindjazz pictures 2022)

Les danseurs font face à des doutes différents de leurs homologues allemands. Gloria Ugwarelojo Biachi a laissé son fils ou Nigéria pour rejoindre l’École des Sables. Marginalisée, Gloria a dû faire face aux stéréotypes autour de la danse en Afrique. Sa mère était effrayée que la danse  l’empêche d’avoir des enfants. Parfois traitées de prostituées, les danseuses africaines doivent se battre contre les préjugés comme le fait de coucher pour réussir ou l'impossibilité de se marier.

Le contraste est fulgurant dans les changements de plans entre le plateau proche de la nature du Sénégal et l’immense Opéra Semper de Dresde qui paraît grotesque avec ses dorures, ses lustres en cristal et ses moulures. Ce lieu est loin de la danse brute, directe et sans artifices de Pina. Le ping-pong entre les deux scènes révèle malgré les différences, une recherche commune d’authenticité et de fidélité au répertoire de Pina Bausch.

Scène finale exceptionnelle

La scène finale au Sénégal est magistrale. Privés de spectacle à cause de la pandémie de Covid-19, les danseurs se retrouvent sur une plage pour interpréter Le Sacre du Printemps au coucher du soleil. On ratisse le sable pour délimiter une scène. Le cadre est sublime grâce au ciel dégradé qui contraste avec le sable couleur ocre. Le cadrage recréé les conditions d’une scène de spectacle. Avec ce lieu inhabituel pour performer, les danseuses donnent au Sacre du Printemps une justesse imparable. La connexion avec la nature permise par le cadre est puissante, touchante et authentique.

Chaque danseur appréhende concrètement la nature en laissant son empreinte dans le sable. Le travail paie et cette troupe éclectique réussit à tourner un contexte fâcheux à son avantage. Mieux, ces danseurs réussissent à sublimer la chorégraphie de Pina Bausch qui a déjà convaincu. Un moment suspendu à ne pas manquer.

L'affiche du documentaire "Dancing Pina", en salle depuis le 12 avril (Dulac Distribution)

Genre : Documentaire  

Réalisateur : Florian Heinzen-Ziob

Distribution : Malou Airaudo, Clémentine Deluy, Josephine Ann Endicott, Jorge Puerta Armenta, Sangeun Lee, Courtney Richardson, Julian Amir Lacey, Francesco Pio Ricci, Gloria Ugwarelojo Biachi, Luciény Kaabral, Franne Christie Dossou, Tom Jules Samie

Pays : Allemagne, France

Durée : 1h52

Sortie : 12 avril 2023

Musique : Igor Stravinsky, Christoph Willibald Gluck

Distributeur : Dulac Distribution

Synopsis : Spectacles d' Iphigénie en Tauride / Le Sacre du printemps.
Au Semperoper en Allemagne et à l’École des Sables près de Dakar, de jeunes danseurs, guidés par d’anciens membres du Tanztheater de Pina Bausch, revisitent ses chorégraphies légendaires. Pour ces artistes, issus de la danse contemporaine, du hip hop ou du ballet classique, danser Pina, c’est questionner ses limites, ses désirs, et métamorphoser une œuvre tout en se laissant soi-même métamorphoser par elle.

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