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De Balanchine à Pina Bausch, un résumé de la vie à l’Opéra Garnier

Un dense et beau programme débute ce jeudi 26 octobre à l'Opéra Garnier, avec le plus moderne des ballets de Balanchine, "Agon", une création du japonais Teshigawara, "Grand miroir" sur la partition musicale de Esa-Pekka Salonen, et un chef-d’œuvre qui sidère à chaque fois : "Le Sacre du printemps" dans la version Pina Bausch.
Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le Sacre du printemps version Pina Bausch
 (Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)

Agon s’ouvre sur quatre danseurs rivalisant d’agilité, de vitalité et de fantaisie. Ce sont Germain Louvet, Hugo Marchand, Audric Bezard et Florian Magnenet, deux étoiles et deux premiers danseurs de la déjà brillante génération montante de l’opéra. Ils en imposent par leur beauté et leur envergure (leur ressemblance est troublante !) dans ce ballet abstrait de Balanchine, élaboré en étroite collaboration avec Igor Stravinski.

La vitalité et la fantaisie d'"Agon"

On est emporté par cette danse rigoureuse et inventive, élégante et compulsive. Un pas de deux, un très beau solo de Germain Louvet, deux trios, dont un composé de Dorothée Gilbert Audric Bézart et Florian Magnenet, qui se termine par les deux hommes s’apprivoisant, inhabituel en 1957, date de création du ballet.
 
Les danseurs, 4 hommes donc et 8 femmes, semblent manipulés comme s’ils étaient interchangeables. La beauté de la musique, les inventions rythmiques, les multiples combinaisons chorégraphiques, tout séduit dans cet "Agon", qui signifie compétition en grec. Et l’on saisit là l'influence que Balanchine exercera sur Jerome Robbins, "West Side Story" suivra de peu, ou William Forsythe, quinze ans plus tard.
L'étoile Germain Louvet au centre, dans "Agon" de Balanchine
 (Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)
La soirée ouvre et se clôt avec Igor Stravinski. "Le Sacre du printemps", sommet musical et la version dansée si aboutie et si mémorable de Pina Bausch (1975). Bien sûr on ne se déplacerait que pour revoir ce moment de théâtre à nul autre pareil, qui mêle rituels et violences sacrificielles, sexe et célébration de la vie. Il requiert un engagement absolu des danseurs, sur lesquels plane l’ombre de la chorégraphe d’une exigence et d’une ferveur sans égales.


Le "Sacre du printemps" de Pina Bausch prend aux tripes

Cela commence dès l’entracte par un ballet de grosses bennes remplies de terre et déversées sur scène par une quinzaine de techniciens. Les voir l’étaler et la ratisser est déjà du spectacle. C’est cette terre qui va maculer les danseurs, cette terre où ils puisent leurs forces et qui exige son tribut : le sacrifice d’une vierge pour que le printemps revienne. Les constants soubresauts des danseurs, l’archaïsme de ce qui se joue sous nos yeux, font de ce ballet un moment unique dont le spectateur a le sentiment d’être partie prenante. On en a presque le souffle coupé, exactement comme les danseurs, quand, la musique s’apaisant, on entend leur respiration haletante.  
Cette danse où le collectif des 32 interprètes alterne esprit de groupe et barbarie, où la peur et l’instinct de survie sont en constant éveil, prend littéralement aux tripes. Eleonore Abbagnato qui a dansé son premier Sacre à 18 ans, est bouleversante de fragilité et de force dans le solo de l’élue sacrifiée. Elle fait remarquablement face à Karl Paquette, autre étoile et chef des sacrificateurs. Et l’on remarque aussi parmi ce groupe de danseurs, dont beaucoup de très jeunes, la beauté et l’intensité de deux autres étoiles : Alice Renavand et Léonore Baulac.
L'étoile Eleonora Abbagnato est l'élue sacrifiée dans Le Sacre du printemps
 (Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)

"Grand miroir" porté par le concerto pour violon de Salonen

Ce bijou est précédé de "Grand Miroir" la dernière création de Saburo Teshigawara. Le japonais s’est inspiré du magnifique concerto pour violon du finlandais Salonen qui dirige en personne et magnifiquement l’orchestre toute la soirée, lui donnant un relief et une qualité musicale remarquables.
 
De la musique semble jaillir le mouvement. On a le sentiment à tort que les danseurs improvisent sur les pulsations rythmiques. En fait ici, chaque corps est unique et le mouvement ne s’arrête jamais. Au point de nous lasser parfois.  

Si l’on cherche un fil conducteur à ce triple programme décidé par Aurélie Dupont ce pourrait-être un résumé de notre existence : de la vitalité des corps et leur jeunesse avec "Agon" à la violence et à la mort du "Sacre du Printemps", en passant par ce "Grand Miroir" où nous tournons tous en rond à la recherche de la lumière.  

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