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Interview Benjamin Pech, des adieux à la scène de l'Opéra en forme d'au revoir

Bras droit de Millepied, le danseur étoile Benjamin Pech fait ses adieux à la scène de l'Opéra de Paris samedi 20 février 2016. Une soirée qui esquissera le portrait d'un homme autant que d'un danseur à la forte présence, généreux et moderne. Pech interprétera "Tombe", la création de Jérôme Bel avec une de ses admiratrices de 84 ans, "Le Parc" de Preljocaj et "In the night" de Jerome Robbins.
Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Benjamin Pech, le 16 février à l'Opéra Garnier
 (Sophie Jouve/Culturebox)

Benjamin Pech aura passé 30 ans à l'Opéra national de Paris, d'abord à l'école de danse où il entre à 10 ans en 1986, puis au sein du ballet qu'il intègre à 18 ans. Nommé Premier
danseur en 1999, il devient Etoile en 2005 dans des conditions exceptionnelles, lors d'une tournée en Chine, après avoir remplacé au pied levé deux étoiles, dans deux programmes successifs.

Depuis deux ans il avait du renoncer aux grands ballets classiques auxquels il prêtait sa vélocité et sa virtuosité, suite à une blessure à la hanche. Sa carrière avait pris une autre orientation puisqu'il était devenu il y a 9 mois, le bras droit de Benjamin Millepied. INTERVIEW à l'Opéra Garnier.

Culturebox : Comment abordez-vous vos adieux à la scène de l'Opéra ?

Benjamin Pech : Avec beaucoup de sérénité, beaucoup de calme. J'attends ça depuis deux ans maintenant. Depuis que je me suis gravement blessé à la hanche, une blessure qui m'a contraint à prendre une direction tout autre que celle que j'avais imaginée et à abandonner un certain répertoire. J'ai refusé de me faire opérer, j'ai voulu aller jusqu'au bout de ce contrat que j'avais avec mon corps, danser jusqu'à 42 ans l'âge limite. J'ai abordé d'autres rôles, davantage des rôles de composition, plus théâtraux qu'axés sur la technique, la vélocité ou la puissance. Ca m'a aussi donné l'opportunité de me pencher sur mon avenir et d'explorer d'autres voies. J'ai été candidat à la direction de l'Opéra de Marseille, je n'ai pas décroché le poste mais ça m'a formé à préparer un projet, rencontrer les élus… Benjamin Millepied en a entendu parler, il m'a demandé petit à petit de le rejoindre et de travailler à ses côtés.

Là j'arrive à la date où je vais pouvoir me libérer de cet "handicap". J'ai beaucoup appris sur mon corps, appris sur moi-même et sur mon potentiel sous jacent, le management, la direction. 

Benjamin Pech danse Clavigo (Roland Petit)
 (Jacques Moatti/Opéra national de Paris)

Vous avez été le bras droit de Benjamin Millepied, comment s’est passée cette collaboration ?

Avec beaucoup de plaisir. Je lui suis très reconnaissant de m’avoir choisi, c’était audacieux. C'est un mec qui va vite, qui a du pif. Tout de suite je me suis occupé des projets externes, puis je l'ai aidé à monter l'Académie chorégraphique et puis très vite il m'a demandé d'être son adjoint. Je me suis occupé de toute la gestion interne de la compagnie, un boulot très chronophage et un peu casse gueule car vous êtes en interface avec les 154 artistes. Vous organisez leur vie artistique, alors forcément ça crée des joies et aussi des déceptions, par rapport aux rôles qu'ils veulent danser. Et puis organiser les temps de répétition, les contacts avec les chorégraphes, leur présenter les danseurs pour qu'ils fassent leur choix par rapport aux distributions… Je me suis éclaté et avec Benjamin ça se passait d'une manière très simple, très spontanée, il m'a laissé carte blanche. Lui avait une vision de direction différente de celle qu'on a connue, et du coup c'était un vrai travail d'équipe, il me faisait entièrement confiance.

Vous souhaitez poursuivre dans cette voie ?

Oui. Cela fait maintenant 10 ans que j'organise un spectacle, "Etoiles Gala", qui s'est déroulé en Italie et souvent au Japon. Cette expérience m’a sans doute permis de devenir étoile. Car je suis resté premier danseur très longtemps, pendant 7 ans, le titre n'arrivait pas, c'était un peu frustrant de tourner autant sur le répertoire et de ne pas avoir cette reconnaissance. Je ne comprenais pas, je m'accrochais. Et quand j'ai commencé à prendre du recul, comme un acteur qui passerait à la réalisation et à monter des spectacles, tout est arrivé : j'ai été nommé étoile et j'ai continué pendant 11 ans avec cette double casquette de danseur et de monteur de projets. J'adore les challenges. Benjamin a sûrement senti ça en moi.

C'est un vrai métier que je suis en train d'apprendre, et que j'aimerai continuer à creuser. Je sais tout ce que j'ai encore à acquérir. Avoir une vision d'ensemble de la compagnie, de l'organisation, j'aimerais faire ça encore pendant deux ou trois ans.

Millepied, c'est comme s’il m'avait poussé dans une piscine en me disant : maintenant tu te démerdes, tu nages. J'ai appris beaucoup et j'aimerais continuer pour être apte à diriger n'importe quelle compagnie.
La loge de l'étoile Benjamin Pech à Garnier
 (Sophie Jouve/Culturebox)

Ce départ de Millepied au bout de 15 mois, vous diriez que c’est du gâchis ?

Je suis forcément triste car nous avons été une équipe derrière lui, très enthousiaste à son arrivée, à porter vraiment son projet. Il a initié beaucoup de choses : le plan santé pour les danseurs, les projets externes qui font parler de l'Opéra… Il m'a confié qu'il voulait se concentrer plus sur la chorégraphie. Quand on est directeur de la danse, c'est 80% de management et 20% d'artistique. Cette balance ne correspondait pas à la personnalité de Benjamin qui voulait être dans les studios. C'est pour ça que j'avais un rôle important à ses côtés. Je suis déçu mais il faut respecter son choix. C'est quelqu'un de libre, c'est un artiste. Dans la configuration de l'Opéra de Paris il perdait un peu cette notion de liberté, il se sentait moins productif.

Le départ de Millepied a été un peu vite traduit par certains comme étant symbolique d'une réticence de l'Opéra à évoluer ?

Vous savez on est une institution publique, c'est le contribuable qui paye. On est une grosse maison qui bouge mais à sa vitesse. Benjamin allait sans doute un peu trop vite pour cette maison ou a été peu être trop impatient, mais je peux vous dire qu'en 30 ans à l'opéra, je n’ai jamais vu cette maison bouger aussi rapidement que ces 9 derniers mois !

On sortait d'une direction de Brigitte Lefèvre qui nous a dirigés 20 ans quand même, avec une certaine méthode. Je compare ça à une histoire d'amour, quand on quitte quelqu'un après 20 ans on n’enchaine pas avec une histoire de 20 ans. C'est aussi un problème de timing.

Quel regard jetez-vous sur ces 30 années passées à l’Opéra ?

J'ai une personnalité qui va toujours de l'avant, je ne me retourne jamais sur les choses que j'ai faites. C'est comme si je les avais oubliées. Mais comme on me pose beaucoup de question en ce moment sur le passé, je me dis que j'ai été très heureux, j'ai eu la carrière que je voulais avoir, je n'ai aucun regret. Même Pina Bausch, avec qui j'aurai adoré travailler, je l'ai vu répéter avec les autres, et je prenais ce que je pouvais prendre, à ma manière. Il n'y a aucune frustration, aucun regret. J’ai vécu une très belle période.
Benjamin Pech dans "La dame aux Camélias"
 (Sébastien Mathé/Opéra national de Paris)

Votre nomination lors d’une tournée en Chine reste un grand moment ?

Je suis l'étoile de Chine ! Brigitte Lefèvre m'appelait comme ça. Les étoiles se sont blessées les unes après les autres. Je me suis retrouvé à danser ce soir-là deux ballets, qui devaient être tenus par deux étoiles différentes et j'ai enchainé Giselle Acte 1, entracte, Giselle Acte 2, entracte et toute l'Arlésienne !

Et Brigitte Lefèvre, par dérogation, car normalement c'est le directeur général qui nomme et Gérard Mortier était à Paris, m’a nommé étoile. C'est particulier d'être nommé à l'étranger, je ne vous cache pas que j'aurai préféré l’être sur la scène de l'opéra devant les amis et la famille. C'est pour ça que je vais me rattraper le 20 février.

C’est vous qui avez élaboré le programme de cette soirée ?

Je voulais choisir un programme dans lequel j'allais me retrouver. Quand j'ai vu que Jérôme Bel était programmé ("Tombe"), par rapport à mon histoire personnelle et physique je me suis dit que c'était le seul qui pouvait créer quelque chose en fonction de ce que j'ai été et de ce que je suis devenu, qui pouvait me donner un rôle d'homme plus que de danseur. 


On célèbre mes adieux, mes 24 ans de carrière dans la compagnie mais on doit aussi célébrer ma prochaine vie : un mec qui porte un jean et des bottes comme tout le monde. Et Jérôme Bel m'a donné une place aux côtes de cette femme que je voulais inviter, une spectatrice âgée qui me suit depuis très longtemps, comme je le raconte dans le spectacle. J'apparais à ses côtés, je la fais danser un petit peu. C'est très émouvant car on voit clairement que la vie est en train de la quitter, de lui échapper et moi qui suis à ses côtés, je ne peux plus danser à cause de ma hanche abimée. Ça m'a vachement plu, ça avait un sens.

Et puis je voulais un programme qui commence par un de mes premiers rôles, "In the night" de Jerome Robbins et qui se termine avec le ballet que j'ai dansé avant de me blesser : "Le Parc" d'Angelin Preljocaj. Il y a l'être humain, le danseur qui a débuté et le danseur qui termine.

Vous allez danser avec Eleonora Abbagnato, Dorothée Gilbert, Laura Hecquet, Mathieu Ganio et Hervé Moreau ?

Ce sont des amis, des proches, des gens qui sont dans mon spectacle au Japon. C'est La famille.

Vous qui avez souffert de la lente évolution au sein du corps de ballet que pensez vous du concours interne très décrié par Millepied ?

Ce concours, c'est quelque chose qui m'a construit. Je sais que Benjamin, lui, vient d'un autre pays, d'une autre éducation, ça le gênait qu'on se mette des notes entre nous. Je peux comprendre que de l'extérieur ce ne soit pas toujours bien perçu, mais cette hiérarchie, c'est le bulletin de santé de la compagnie. Etre étoile, ça ne vous tombe pas du ciel, c'est parfois un chemin de croix. Une fois que vous avez fait tout ce chemin, vous comprenez pourquoi vous l'êtes. Les concours, ça tient la compagnie en forme. Ce n'est pas un concours obligatoire, c'est un concours de promotion, les danseurs se présentent pour accéder à un grade supérieur, pour danser davantage et avoir une rémunération plus importante.

Je trouve ça bien. Tout le monde passe des concours. C'est bénéfique. Il faudrait peut-être ouvrir un peu plus le jury (10 personnes) à des personnalités extérieures, mais je suis pour qu'on le conserve.

Vous avez eu la même joie à danser le classique et le contemporain ?

Ce que j'ai adoré dans les grands classiques, c'est ce moment de bravoure au 3e acte, une espèce de défi physique, technique, émotionnel aussi. Les rencontres avec les chorégraphes, ce sont des rencontres humaines, ils sont là pour vous créer un costume sur mesure. Ce n'est pas du tout le même registre. J'aimais les deux.

J'ai vraiment aimé tous mes rôles. Après il y en a, comme Frederi dans l'Arlésienne (de Roland Petit), qui est mon cheval de bataille. Et puis il y a Siegfried dans le Lac des Cygnes version Noureev. La complexité psychologique de ce prince pris en étau entre une mère autoritaire et un précepteur qui lui fait entrevoir de façon insidieuse une relation homosexuelle. On ne sait pas si le précepteur symbolise le père, ou la projection de Siegfried en train de se chercher. Toute cette palette émotionnelle a été un vrai bonheur à interpréter. Albrecht, dans Giselle, a une modernité folle. Même s’il a une cape et des fleurs, ses gestes extrêmement simples sont ceux qui se rapprochent le plus d'un homme d'aujourd'hui. Et puis l'Après midi d'un faune, l'Oiseau de feu… Si je commence !

Benjamin Pech dans "L'Oiseau de feu" de Maurice Béjart
 (Opéra national de Paris)

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