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"Kontakthof" de Pina Bausch à l’Opéra de Paris : l'intemporel contact de la danse avec la vie

La pièce iconique de la metteuse en scène est sa troisième œuvre à rentrer au répertoire de l’Opéra de Paris. A découvrir jusqu’au 31 décembre et pour de futures saisons au Palais Garnier, à Paris.
Article rédigé par Yemcel Sadou
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Les danseurs et danseuses de l'Opéra national de Paris se présentent lors du spectacle de Pina Bausch, "Kontakthof" (Julien Benhamou - Opera national de Paris)

De la musique des années 50 aux airs de trompette retentit avec les grésillements du tourne-disque. Les danseuses et danseurs de l’Opéra de Paris enchaînent des chorégraphies à cloche-pied, parfaitement synchronisées. Les hommes sont en costume-cravate avec les cheveux gominés, les femmes dans des robes fluides en soie ou satin. Kontakthof est la troisième œuvre à rentrer au répertoire de l’Opéra de Paris après Le Sacre du printemps en 1997, puis Orphée et Eurydice.

Dans cette salle de bal grise à l’allure fantomatique, des couples se forment rapidement. Qu’ils soient masculins-féminins ou exclusivement féminins, les duos défilent côte-à-côte en traversant la scène, puis font demi-tour comme s’ils circulaient dans une gare. La scène est envahie de monde. Les allers et venues des duos forment des lignes, comme s’ils suivaient le mouvement d’une rue bondée. La scène se transforme en grande ville citadine. "Kontakthof" signifie littéralement en allemand "cour de contacts". Cette salle de danse fantomatique reprend vie avec ces hommes et ces femmes prêts à se rencontrer. La pièce questionne pendant 2h30 le contact entre êtres humains. 

Un jeu d’enfant


Kontakthof fait voler en éclat l’apparence chic et lisse renvoyée par les costumes. Un duo s’amuse au chat et à la souris. La danseuse hurle de frayeur et d’amusement en essayant de fuir l’un de ses partenaires qui la poursuit une petite souris à la main. Un jeu d’enfant sur de grands enfants. 

Un petit manège d’enfant est d’ailleurs dans un coin de la scène. C’est un ancien petit cheval à bascule automatique qu’il faut actionner avec une pièce. Une des danseuses vient plusieurs fois en demander au public, pour pouvoir l’actionner. Elle se balance sur ce petit cheval blanc bien trop petit pour elle, avec un air pensif. Pas d’âge pour s’amuser.

Les danseurs sont ramenés à l’enfance en permanence dans le spectacle. Les femmes marchent difficilement en talons. Elles trébuchent, tanguent comme les petites filles qui essaient les talons de leur mère pour la première fois. Les hommes sont confrontés à leur corps et la pudeur qui l’accompagne. Un danseur se déshabille difficilement, honteux, comme s’il était dans un vestiaire et qu’il essayait de se cacher de ses camarades. 

Avec Kontakthof, Pina Bausch revisite le paraître en société. Les couples défilent avec des masques en se pliant de rire à outrance. Une manière de critiquer le bonheur artificiel des soirées mondaines. 
Dans ce défouloir, la danse de salon arrive comme le soleil après la tempête. Les danseurs et danseuses se retrouvent pour des duos et les couples contiennent difficilement leur passion. Ils se câlinent, s’embrassent ou se caressent après avoir exécuté des pas entre le charleston et le quickstep.

Les danseurs Adele Belem et Alexandre Gasse s'étreignent lors "Kontakthof", un spectacle de Pina Bausch à l'Opéra de Paris (Julien Benhamou - Opera national de Paris)

Vie quotidienne 


Kontakthof apporte un vent de fraîcheur à l’Opéra de Paris. Même si la pièce a été créée en 1978, elle parle encore de thèmes actuels, ceux de la vie quotidienne. "Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?" Un casse-tête journalier pour beaucoup de personnes, que la metteuse en scène retranscrit sous la forme d’échange téléphonique entre deux concubins : "Une pizza 4 fromages ? Ou un gros burger, moutarde, mayo, et un peu de salade à côté quand même…"

D’autres thèmes plus difficiles, comme les violences dans le couple, émergent. Les duos défilent et se présentent en se sabotant mutuellement. Madame tire la cravate de Monsieur, lui salit la chemise avec son rouge à lèvres, ou lui enlève la chaise quand il veut s’assoir. Monsieur griffe, ou mesure le tour de taille de sa partenaire. Une manière malsaine d’extérioriser des tensions mutuelles. Ces petites vengeances sont applaudies par les autres danseurs assis au fond de la salle, qui rient comme s’ils assistaient à un spectacle. Pina Bausch nous met mal à l’aise et face à nos contradictions. Doit-on rire de ces scènes à l’allure comique qui cachent un mal-être dans le couple ? Elle va encore plus loin quand l’une des femmes perd connaissance et que son mari essaye de cacher son corps inanimé sans succès. 

Pina Bausch met en scène la violence et la destruction qui peuvent entrer en jeu dans la relation amoureuse. Une scène vécue comme un défouloir incarne le trop plein d’émotions vécu par les sexes opposés. Hommes et femmes se font face et s’agitent, dans un mélange de danse contemporaine et de démence. Chacun agite les bras, secoue la tête, adresse des coups de poings et de pieds, sans jamais toucher l’autre.

Gérard Violette, administrateur puis directeur du Théâtre de la Ville, à Paris, de 1968 à 2008, reconnaît l’aspect très théâtral du spectacle. "Il met en scène des histoires de vie dans lesquelles tout le monde se reconnaît. C'est indiscutablement la pièce la plus populaire de Pina. Et c'est ce qui explique sans doute sa longévité et son statut uniques." 

Challenge pour les danseurs


Les danseurs de l’Opéra de Paris doivent apprendre à danser différemment. Théâtre et danse ne font plus qu’un avec Pina Bausch. La metteuse en scène a conscience du challenge que ce spectacle représente pour les danseurs : "Il a été dur de leur faire comprendre que la danse pouvait s’exprimer sous une autre forme. La danse n’est pas une technique singulière […] un très bon danseur peut réaliser les choses les plus simples", racontait-elle dans un entretien avec Norbert Servos en 1990. Consciente de la singularité de son spectacle, elle répond aux détracteurs : "Tout peut être de la danse. C’est lié à une prise de conscience, à une façon d’être dans son corps et à une grande précision : savoir respirer, tenir compte du moindre détail."

La première version de Kontakthof est créée par le Tanztheater le 9 décembre 1978. Pina Bausch expliquait les intentions de son spectacle : "Kontakthof est un lieu où l'on se rencontre pour lier des contacts. Se montrer, se défendre. Avec ses peurs. Avec ses ardeurs. Déceptions. Désespoirs. Premières expériences. Première tentatives. La tendresse, et ce qui peut la faire naître, était un thème de travail important. Le cirque, également, en était un autre. Montrer quelque chose de soi, se surmonter."

"Kontakthof" à découvrir jusqu’au 31 décembre au Palais Garnier de l’Opéra de Paris et pour de futures saisons à l’Opéra de Paris

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