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L'audace et la justesse de Jann Gallois, belle surprise de Suresnes cités danse

Au festival de Suresnes, le programme "Cités danse connexions" permet de découvrir de jeunes chorégraphes hip-hop. Une excellente surprise avec Jann Gallois et son solo intitulé "Diagnostic F20.9", d'autant que les femmes chorégraphes ne sont pas si nombreuses dans l’univers du hip-hop.
Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La chorégraphe et danseuse Jann Gallois
 (Anne-Sylvie Bonnet)

Elle est belle, elle a découvert le hip-hop toute jeune ado en 2004, après avoir étudié la musique classique pendant dix ans. Une sorte de nouvelle naissance. Elle a travaillé avec Sébastien Lefrançois, Sylvain Group, Angelin Preljocaj, entre autres, avant de chorégraphier à son tour. Son premier solo en 2012 ("P=mg"), a été multi-récompensé. A Suresnes elle propose « Diagnostic F20.9 » dans lequel elle étudie « la dominance du cerveau et la façon dont il induit nos comportements », à travers une maladie, la schizophrénie. Mais rien de lourd, rien de pesant… 

 "La schizophrènie n'exclut pas l'intelligence et la créativité" 
 (Dan Aucante)
Tailleur classique et hauts talons : lorsque Jann Gallois entre en scène on sait déjà qu’il sera question d’une femme aux multiples facettes, d’un esprit qui vacille, d’un corps qui parle. Devant nous elle donne à voir les dysfonctionnements de la schizophrénie. Les moments d’hallucination, comme ceux d’apaisement. Peu à peu la tête et le corps semblent totalement dissociés. Jann Gallois invente avec une extrême richesse des gestes et des figures pour nous rendre palpable la maladie qui gangrène son personnage. « L’humanité persiste toujours sous la folie » dit-elle, « certains y lisent une malédiction, personnellement je préfère y voir un ferment de génie ». 

On se dit qu’il n’y a que le hip-hop, avec cette dissociation physique, tête d’un côté corps de l’autre, bras à l’inverse des jambes, qui peut rendre aussi parfaitement le sentiment double du schizophrène.
"La schizophrènie... une énigme quant au foisonnement imaginatif..."
 (Anne-Sylvie Bonnet)
Mais Jann Gallois est bien loin des figures qu’on a trop l’habitude de voir. Elle est dans son sujet jusqu'au bout. Une très belle découverte ce dimanche, dans une salle « Aéroplane » archi-comble où l’émotion comme le malaise était palpable.

Rencontre avec Jann Gallois à l’issue du spectacle  
Jann Gallois au festival Suresnes cités danse
 (Anne-Sylvie Bonnet)
Culturebox : Pour ce solo vous êtes allée explorer le fonctionnement du cerveau et ses pathologies ?

Jann Gallois : J’ai toujours été fascinée par les sciences cognitives et la cohabitation souvent étrange et conflictuelle entre le corps et l’esprit. Comme je suis danseuse, je m’intéresse au vocabulaire du corps et à l’instant où le mouvement ne se contrôle plus ou ne se contrôle pas. En étudiant ces mécanismes de contrôle et de perte de contrôle de la pensée, je me suis rendu compte que la maladie qui rendait le mieux compte de ça, c’était le schizophrénie. J’ai découvert un monde absolument incroyable, que je ne connaissais pas du tout.

On se fait souvent une idée fausse de la schizophrénie par rapport au dédoublement de la personnalité. Ce n’est pas que ça. Du coup j’ai rencontré des schizophrènes et des psychiatre, ça été des rencontres extrêmement riches, extrêmement belles. J’ai tout de suite vu un champ infini pour la danse.

Vous faites un parallèle avec la création ?

Il y a des parallèles avec la torsion du réel, l’imaginaire. Ensuite je reste une chorégraphe, je m’intéresse à l’expression du corps, comment ça pouvait se traduire par le corps. J’ai trouvé matière à pétrir, j’ai découvert un vocabulaire corporel qui était à développer.

J’ai créé un personnage de toute pièce, un personnage standard, plutôt haut standing pour montrer que la schizophrénie peut atteindre tout le monde. Les schizophrènes que j’ai rencontrés sont des personnes étonnamment intelligentes, souvent on les mélangent avec des personnes qui ont des retards mentales, c’est une grosse erreur. Il y a beaucoup de choses qu’on peut apprendre d’eux.

Vous arrivez à nous faire ressentir tous les états, les différentes phases…

Les schizophrènes sont lucides, ils comprennent même s’ils ne peuvent pas l’expliquer. Ils sont conscients des moments incontrôlables de folie qu’ils subissent. Ils sont conscients.

Quand on vous voit, on se dit que le hip-hop est la danse qui peut exprimer tout cela ?

C’est ma technique. Je ne me suis pas dit : ok je vais faire du hip hop en parlant de ça. Je me suis dit : je vais parler de ça et ensuite on va voir ce qui va naître de mon corps, de ma technique. Je ne me dis pas est-ce que c’est du hip hop ou bien du contemporain ? Pour moi l’important est le fond que je mets dans le mouvement, dans la danse. C’est la recherche du mouvement qui me passionne. Mais j’ai une technique hip hop et c’est irréversible !

Qu’est ce qui vous a happé dans cette danse ?

C’est la danse pure. Le hip-hop a été pour moi la porte d’entrée dans le milieu de la danse. Je ne me revendique pas forcément du hip-hop et je n’en ai pas tous les codes, et ce n’est pas grave. Tant mieux. On évolue tous. 

Pour être honnête au début c’est le côté fun qui m’a attiré. J’ai commencé le hip-hop adolescente. Le hip-hop c’est à la mode et quand on est jeune on veut être à la mode. Et surtout c’est l’antithèse totale de ce que je vivais à l’époque. J’ai une famille qui n’écoute pas ce genre de musique, j’ai fait de la musique classique pendant 10 ans et j’ai voulu rejeter ça. J’ai voulu faire de la danse, on me l’interdisait aussi. Et du coup je me suis dit que j’allais faire l’opposé de ce qu’on voulait de moi, et j’ai du hip hop. C’était revendicatif, c’était à l’arrache, j’avais besoin d’exploser les bordures et je me suis construite toute entière dans le hip hop. J’ai découvert une façon de penser, une liberté.

Vous êtes vous senti acceptée dans ce monde très virile, très masculin du hip-hop ?

C’était vrai il y a 10 ans. Aujourd’hui il y a autant de danseuses femmes que de danseurs hommes. J’ai jamais senti de discrimination parce que je suis une fille, parce que je ne viens pas de la banlieue. Je viens d’un milieu normal, même s’il est modeste.

Quels sont vos prochains projets ? Toujours des solos ?

C’est un besoin de constamment chercher, créer, transmettre. C’est la plus belle chose. Je me suis intéressée à l’exercice du solo parce que je crois que c’est important de savoir se diriger soi même avant de savoir diriger d’autres danseurs. Et j’avais besoin de me connaître en tant qu’auteur chorégraphe, quelle était ma signature artistique. J’ai déjà pas mal de projets en tête, pour plusieurs danseurs.

"Cités danse connexions #2" au festival Suresnes cités danse 
Avec "Diagnostic F20.9" de Jann Gallois et "Ce que le jour doit à la nuit" d'Hervé Koubi ( Durée 1H30, Salle Aéroplane )
Samedi 24 janvier à 18h30, dimanche 25 janvier à 15h et lundi 26 janvier à 21h

Au théâtre Suresnes Jean Vilar
16 place Stalingrad, 92150 Suresnes
Réservation : 01 46 97 98 10


Après Suresnes, "Diagnostic F20.9" de Jann Gallois sera :
Le 12 avril 2015 au festival Le Grand Bain à Lille
Le 12 juin 2015 à l'Atelier de Paris de Carolyn Carlson, dans le cadre du festival June Events à la Cartoucherie

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