"Sun" : l'ombre incandescente d'Hofesh Shechter à la maison de la danse de Lyon
« Sun », nouvel opus tonitruant du chorégraphe Hosfesh Sheschter embarque encore une fois le spectateur dans un univers rythmique, puissant et haletant.
C’est le chorégraphe lui-même qui accueille de sa voix une salle comble, lui dévoilant la dernière séquence du spectacle. Une certaine façon de déjouer avec humour les codes artistiques habituels. Une fausse ouverture pour dire aussi que ce que nous allons voir n’est qu’un leurre, une grande mascarade, une comédie qui s’inspire de la comedia dell’arte.
Que vont charmant masques et bergamasques”
Ce sont ces vers de Paul Verlaine (Clair de Lune, Les fêtes galantes) qui ressurgissent et évoquent ce « Sun » qui décline puis illumine tout au long du spectacle.
Sur le plateau, Hofesh Shechter convoque 14 danseurs qui interprètent une partition pointue et exigeante. Vêtus de costumes de Colombine ou de Pierrot, les personnages assistent à une fête faussement joyeuse perturbée par une menace extérieure et récurrente. Aux danseurs, il mêle des détails et des éléments de décor qui cassent le rythme effréné de la ronde. Un troupeau de brebis, des indigènes, des colons armés et le loup, évidemment. Des cris qui sortent du public et le rire sarcastique d’un maître de jeu devenu fou miment cette lutte permanente entre la cohésion et le délitement du groupe.
Hofesh Schechter casse les codes de la danse contemporaine, y ajoute de la dérision. Une heure dix de spectacle où la musique aux accents wagnériens joue fort (très fort), où l’intrigue se rompt par une déclinaison de pas de danse traditionnelle, où la terre et le ciel vrombissent à l’unisson. De la part des ombres à la puissance solaire
Révélé avec“Up Rising”à la maison de la danse au public lyonnais en 2009, le chorégraphe avait confirmé sa puissance dramatique un an après dans “Political Mother”. Cette nouvelle création cherche à alléger le propos sans pour autant nier la réalité.
Hofesh Shechter excelle dans la danse de groupe. Avec “Sun” il revient en force imposant cette énergie puissante où les corps vibrent dans une unité parfaite.
Un groupe qui se soulève et défend son territoire, mué dans un mouvement tribal quasi chamanique, la musique et la danse sortent de la terre, inondent l’espace. Telle une marche militaire ordonnée par un chef de guerre improvisé, la société un brin dégénérée que nous présente Shechter se trouve dans une posture névrotique et grégaire bien inconfortable. Construite en électrochocs, passant du très lumineux au très sombre, du très bruyant au très silencieux la chorégraphie s’appuie sur un murmure minéral qui gronde et fait tourbillonner la gravité indiquant une fin inexorable. L’extinction du règne animal, la destruction progressive et violente de la race humaine. Un bon direct au droit
Avec “Sun”, Shechter bouscule encore un peu les conventions et assoit son approche chorégraphique utilisant toujours la même transe verticale.
Eclairés par un plafond d’ampoules led ou par la lumière frontale et franche, les 14 danseurs illuminent et occupent pleinement le plateau. Même lorsque cette lumière décline et que la nuit enveloppe la scène, les ombres parées de blanc continuent imperceptiblement leurs soubresauts incessants. C’est là tout le génie d’Hofesh Shechter : révéler la lumière dans la pénombre. Musicien de formation (il signe la plupart des partitions de ses spectacles), Hofesh Shechter accède dans un premier temps à la danse traditionnelle et folklorique de son pays d’origine, Israël. Il intègre rapidement l’éminente Batsheva dance Company de Tel Aviv qui place l’incarnation du corps au coeur de la danse. C’est à ce moment qu’il rencontre des figures phares de la danse moderne, William Forsythe, Wim Vandekeybus ou encore Tero Saarinen. Sa pratique musicale et son approche du geste ne font alors plus qu’un. Chez Hofesh Shechter, musique et danse sont toujours très intimement liées. En 2002, il s’installe en Angleterre où il crée sa propre compagnie. Le postulat de départ d’Hofesh Shechter était donc l’humour et la beauté mais il avouera avec humilité avoir échoué sur pas mal de points. Qu’importe, le résultat final est surprenant, percutant, jouissif et éblouissant.
"Sun" laisse un rayon imprimé sur la rétine et brûle les tympans de longues heures encore après la fermeture des portes.
"Sun" par la compagnie Hofesh Shechter à la Maison de la danse de Lyon jusqu'au 21 janvier 2014
Puis le 24 janvier au Mans à L'espal ; les 28 et 29 janvier à Nantes au Grand T
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