Suresnes Cités Danse : prodige de la danse urbaine, Salim Mzé Hamadi Moissi célèbre les Comores
Des bandes de tissu rouges et blanches forment un triangle sur la scène. Ce tissu, c’est le Chiromani, une toile en coton bicolore prisé par les femmes aux Comores. Il a donné le nom au nouveau spectacle de Salim Mzé Hamadi Moissi, qui a été l'un des temps forts de la 31e édition du Suresnes Cités Danse.
Salim Mzé Hamadi Moissi est un danseur autodidacte qui apprend la danse dans la rue. A la tête de la compagnie Tchéza, il soutient le développement de la danse aux Comores dont il est originaire. Il créé en 2021 la première école de danse des Comores, la Tcheza School.
Lien masculin/féminin indéfectible
Avec ce nouveau spectacle, Salim a une intention claire : "Je voulais une vraie conversation entre hommes et femmes. A chaque fois qu'on parle de la femme aux Comores ou même en Afrique sur les plateaux télé, c’est toujours en son absence. Cette image me pose problème et je voulais créer ce dialogue avec ce spectacle", explique-t-il.
Salim le fait dès la scène d’ouverture. Deux femmes et un homme se tiennent à chaque coin du triangle en tissu. L’homme en attrape l’extrémité et teste sa solidité. "Je voulais parler de ce qui nous lie et on est lié par la femme. Même les tueurs ou les criminels, sont attachés à leur mère. Ça les renvoie à une forme de vulnérabilité, même s’ils ont commis les pires atrocités au monde. On aura toujours un lien indéfectible avec la femme", songe Salim.
Dans une scène de duel spectaculaire, deux danseurs s’affrontent ou se cherchent. L’un est attaché à la cheville par le Chiromani et tente désespérément de s’enfuir, alors que son adversaire le retient en tirant sur le tissu. Les danseurs volent et chutent dans une lutte ponctuée par des moments de silence où leurs regards se croisent, pleins d’amour et de compassion. Les corps sont souples, les mouvements précis. Beaucoup d’entre eux sont issus du hip-hop et du breakdance.
Salim tourne en dérision la virilité avec beaucoup d’humour. L’un des danseurs attrape un rouge à lèvres et se maquille, la main devant son visage comme un miroir fictif. Ses camarades, en file indienne, s’en passe à tour de rôle. "J’avais envie de parler de la difficulté pour les hommes de parler de notre côté féminin qui existe quoi qu’on en dise, comme les femmes ont un côté masculin. Je voulais aborder tous ces tabous", précise Salim.
Danses unisexes
Les cinq danseurs masculins, dont Salim lui-même présent sur scène, alternent entre d’intenses moments de communion, où chacun chante et s’encourage pendant le solo de leur camarade, et des moments de démence proches de la bagarre. Les hommes ont l’air en pleine contradiction avec leurs émotions qu’ils parviennent difficilement à contrôler. L'irruption des deux danseuses féminines inverse complètement la donne : "On retrouve ce lien avec notre côté féminin, et surtout lorsque la femme n’est plus là on se sent tout de suite complètement perdu", explique Salim.
Les danses et les chants traditionnels comoriens, réservés à l’origine aux femmes, sont ici pratiqués par des hommes : "Normalement, ce sont les femmes qui mettent l’ambiance en tapant des mains et en chantant, et les hommes qui dansent. Là j’ai fait l'inverse."
Connexion aux esprits
L’identité de la femme comorienne s’est construite autour des cultures africaines bantoues et musulmanes apparues au 16e siècle. La spiritualité est fondamentale aux Comores. Les danseurs lèvent souvent les yeux et les bras au ciel : "Le mdiridji est une danse religieuse et spirituelle. Elle est connectée aux esprits que l’on essaye de chasser grâce à la danse. Ce sont des danses anciennes et protectrices pour se défendre du mal qui nous entoure", raconte le chorégraphe.
Les moments où la troupe danse ensemble sont hors du temps. La synchronisation est remarquable, les gestes sont affirmés et puissants. Chaque danseur se dépasse, se transcende, à la limite de la possession. Pour Salim ces danses joyeuses et fortes sont une forme de rituel : "J’ai incorporé ces danses en reprenant les symboliques. Le meneur est comme l’imam qui dirige les autres pour essayer de sortir le mal du danseur possédé. Je tourne ces danses traditionnelles façon hip-hop."
Chiromani à découvrir pour une dernière représentation, mardi 7 février à 20h à l’Espace Paul Eluard de Stains.
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