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Jean-Luc Choplin : "Le sophistiqué-populaire, c'est ça l'esprit Châtelet !"
Il est depuis 10 ans le patron d'un théâtre musical chargé d'histoire, le Châtelet. A la tête d'une équipe de 150 permanents, il a fait sienne la devise : "Faire sophistiqué et populaire". Accumulant les succès, avec encore récemment "Singin' in the rain". Rencontre avec un directeur créatif et passionné qui passera le flambeau en 2019.
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Temps de lecture : 17min
La troupe de "Singin' in the rain" vient de partir après 15 représentations triomphales. Elle reviendra plus longuement en fin d'année ?
Je voulais absolument que ce soit Robert Carsen qui fasse la mise en scène de "Singin' in the rain" (le metteur en scène de "My Fair Lady" qui a enchanté le public) et Stephen Mear, la chorégraphie. Leur disponibilité de calendrier ne permettait pas de le faire à la fin de l'année 2014. Les 15 premières dates qui viennent de se jouer sont comme des previews !
C'est étonnant de voir le bonheur que la salle reçoit et qui est communicatif. Vous prenez plein de bonheur, du bonheur des autres. C'est assez rare de voir ça. De sentir dès le début du spectacle cette espèce de joie, de légèreté profonde, quelque chose qui touche le cœur des gens. Ils sont émus par l'excellence de ce qu'ils voient. Ils sont bluffés par la production, la féerie, la magie, l'humour…
Vous avez cette année repris les plus grands classiques de la comédie musicale américaine, vous allez continuer dans cette veine ?
Cette année j'ai donné une petite priorité aux comédies musicales américaines. L'année prochaine ce sera différent, je vais faire une comédie musicale et une pièce de théâtre musicale. Un "Kiss me Kate", enfin un Cole Porter, qui a tant aimé Paris. C'est en fait "La Mégère apprivoisée" de Shakespeare, mise en comédie musicale. Ce qui m'intéresse toujours c'est le décloisonnement des choses. J'ai choisi Lee Blakekey, qui a mis en scène "Into the Woods" de Sondheim.
Et puis je fais "Passion" de Stephen Sondheim, un des géants de ce 20e- 21e siècle. "Passion" est tiré d'un film, "Passion d'amour" d'Ettore Scola, qui lui-même est tiré d'un roman italien de la fin du 19e. C'est un drame, l'histoire d'un homme qui tombe amoureux d'une femme très laide, qui est folle. Normalement c'est Fanny Ardant qui devrait signer la mise en scène, et c'est Natalie Dessay qui incarnera le rôle principal. "Passion" c'est une toute petite forme, 8 solistes et 5 artistes principaux, mais la partition est tellement magique... je pense que l'on peut faire petit mais grandiose.
A propos, comment définissez-vous l'esprit Châtelet ?
Deux jambes pour marcher. Sophistiqué et populaire. Féérique, événementiel, créatif, accessible à tous, d'une excellence dans toutes les composantes de la réalisation. Des œuvres présentées de façon un peu unique. On n'avait jamais vu de "My Fair Lady", de "Singin' in the rain", de Stephen Sondheim… Si j'ai une réussite à mon actif, c'est celle de dire que ce concept n'avait pas été fait. Sophistiqué et populaire, c'est ça l'esprit Châtelet !
Quelle est la journée type du directeur du Châtelet ?
Une arrivée ici à 8h30, qu'il neige qu'il pleuve, qu'il vente et c'est un départ après le spectacle, 6 à 7 jours par semaine. Ce n'est pas un job, c'est une vocation, une mission, une passion. La création c'est 10% du temps par rapport à la gestion qui en représente 90 %. Mais quand vous avez la passion, quand vous travaillez dans ce lieu magique, regardez ce bureau (un vaste espace de 50 m2 dont les quatre immenses fenêtres donnent sur la Seine, face à la Conciergerie), que je n'ai pas rénové ! Vous avez démarré votre mandat avec le "Chanteur de Mexico", revu avec les goûts de notre époque, pourquoi ne pas avoir continué dans l'opérette française ?
J'ai considéré que les opérettes qui m'intéressaient, les Honegger, Riber… certaines avaient déjà été faites et pas toujours avec succès comme "Madame Angot", et puis le public qu'on risquait d'attirer était uniquement âgé, or j'ai voulu créer un public familiale. Je veux que l'on puisse dire "Je suis allé au Châtelet avec ma tante, ma grand-mère". Je veux brasser les générations. Et l'opérette m'a paru un inconvénient à deux niveaux, la taille des œuvres de qualité qui sont petites, et les grandes œuvres qui ne sont pas suffisamment intéressantes.
"Le Chanteur de Mexico" c'était un peu spécial, une sorte de trou noir que je voulais boucher dans l'histoire du Châtelet. On avait mis en enfer Francis Lopez et je trouvais ça idiot, c'est un superbe mélodiste. Un théâtre ne peut pas complètement refuser son histoire. Au fond mon ambition, était de refaire le Châtelet, car il était devenu un autre opéra à Paris, lancé dans une compétition stérile avec les autres. Retrouver un Châtelet qui présentait à la fois les saisons russes de Diaghilev, "Daphnis et Chloé" et qui en même temps faisait "Le tour du monde en 80 jours", "l'Aiglon", l'adaptation des Zola et des Jules Vernes… Ce Châtelet là, mais au goût d'aujourd'hui. Un Châtelet international, qui soit très ouvert sur le monde. Il y a une alternative à l'Opéra qui soit tout de même du grand spectacle.
Et puis il fallait faire tomber ce mur avec le monde anglo-saxon, par goût personnel et par intérêt. Il y avait un boulevard, puisque toutes ces grandes œuvres n'avaient pas été faites.
Je pouvais d'autant plus le faire que j'estime que le cinéma est une des plus grande forme d'art au 20e siècle, il me permettait de faire la passerelle avec ces œuvres.
Vous avez innové dans la façon de produire, notamment pour "Un Américain à Paris" ?
La nécessité est mère de l'invention. Quand il y a quelque chose que l'on ne peut éviter il vaut mieux l'embrasser, disait Shakespeare ! Globalement quand on analyse les fonds publics dans la culture, ceux-ci ont tendance à diminuer, et diminueront. Ce qu'il faut faire c'est élargir les sources de financement qui sont les nôtres et élargir le rayonnement de ce que l'on fait. La production doit être la plus universelle possible.
Pésoa disait : l'universel c'est le local sans les murs. C'est ça l'idée. Produire de l'universel, le sophistiqué populaire que je revendique. Le cinéma américain avait cette fonction d'intégration des communautés, pourquoi ce ne serait pas le cas aujourd'hui. J'essaye de ne pas faire une programmation d'égo, mais une programmation mission. Il y a les modèles bien connus de la coproduction, on en fait beaucoup. On arrive même à convaincre le Marinsky de faire une comédie musicale : "My Fair Lady". Vous voyez où l'universel peut se nicher ! Et jamais le théâtre n'a été aussi rempli de locaux.
Le modèle d'"Un américain à Paris" est de s'installer dans un endroit où un spectacle peut vivre longtemps, cela permet des royalties qui peuvent être réinvess dans des productions. L'association avec deux producteurs de Broadway c'est ça. Permettre à cette création d'être jouée devant un public mondial à Broadway. C'est l'objectif numéro 1, avant l'objectif financier. On est parfois dans un cocon, ça nous fait avancer d'être face à des contraintes. Et puis j'ai un gros projet cubain : une adaptation de Carmen, très caraïbes, avec une troupe essentiellement cubaine. Je vais investir avec des producteurs du monde entier. Je vais à Cuba très prochainement.
Partagez-vous les craintes de Jérôme Clément (qui a démissionné du conseil d'administration, remplacé par Sébastien Bazin) en ce qui concerne la baisse de la contribution de la Ville de Paris (17 millions sur les 25 millions de budget) ?
Il faut qu'on arrête cette polémique idiote. Les subventions publiques diminuent un peu, le Châtelet a été relativement préservé face à cela. On a pas eu d'actualisation, mais c'est ce que m'avait annoncé très clairement Bertrand Delanoé lorsqu'il m'a recruté, ça n'a pas été une surprise.
Le rôle que je me suis donné c'est aussi de développer un modèle économique, j'ai augmenté considérablement les ressources propres du théâtre. Le mécénat, qui existait très peu. On va atteindre 1,5 million d'euros cette année, sans aucun coût. Les locations d'espaces publiques rapportent également beaucoup d'argent. J'ai largement compensé la stagnation des subventions. La ville de Paris a été très fair play, elle a investi au 104, à la Gaité Lyrique et ailleurs pour élargir son offre.
C'est très facile de ne vivre que de subventions. Mon devoir est de travailler à élargir mes ressources. Si demain "Un américain à Paris" marche bien, c'est entre 500 000 et un million d'euros qui vont entrer tous les ans dans les caisses, et ce pendant 10 ans. Si le prochain spectacle cubain marche, c'est aussi un autre million qui entre.
J'ai toujours cette phrase en tête de mon ancien boss, Michael Eisner de la Walt Disney Company : "When there is a will there is a way" (il traduit avec un sourire espiègle et ses yeux se plissent), "Quand il y a une volonté il y a un chemin".
Votre programmation comprend également des opéras peu connus, traités de façon originale ?
Ce sont souvent des projets individuels. J'ai monté 40 opéras et seulement 24 comédies musicales contrairement à ce que l'on dit souvent, dont 15 créations mondiales par rapport à 7 pendant la même période à l'Opéra de Paris.
Dans une maison qui se veut éclectique, l'opéra a sa place mais il faut être très prudent car il ne faut pas que le Châtelet soit dans un cercle vicieux de compétition avec l'Opéra de Paris. Ni l'avec l'Opéra Comique et le théâtre des Champs-Elysées. La niche est étroite, à chaque fois que j'ai fait de l'opéra il faut une bonne raison.
Quand je pense au ballet de Padmâvati, une comédie ballet, je pense au cinéma indien, je contacte Sanjay Bhansali. Et il me répond. Une de mes qualités c'est de savoir vendre des glaces à des eskimos !
Vos choix sont très éclectiques
Il m'est apparu aussi qu'il y avait des trous dans le répertoire, que personne ne faisait. Personne ne voulait monter "Pastorale" de Gérard Pesson. J'ai pensé le monter avec un vidéaste, Pierrick Sorin. Je me suis dit : et si je montais des opéras avec des plasticiens plutôt que des décorateurs.
J'ai aussi monté un opéra avec les pays du Sahel et un orchestre africain, demandé à Damon Albarn de Gorillaz de travailler avec Jamie Hewlett et de proposer des sujets. Ainsi est né "Monkey, Journey to the West" (l'adaptation d'une légende chinoise). Sting est venu proposer "Welcome to the voice" (un opéra du Britannique Steve Nieve, une rencontre entre chant lyrique et les voix de Sting et d'Elvis Costello). Pour "Les Vêpres de la Vierge" de Monteverdi, j'ai fait appel au plasticien russe Oleg Kulik.
Ce qui m'intéresse c'est l'idée du Rhizome, ce petit livre de Deleuze et Guattari : comment penser multiple ? Il faut des entrelacs, mettre ensemble des choses qui ne sont pas forcément reliées en apparence.
Avec du flair parfois ! C'est vrai que ce projet cubain j'y pense depuis quelque temps, et brusquement les américains et les cubains se réconcilient. Quand j'accueille Benjamin Millepied et sa petite troupe de Los Angeles, je ne sais pas qu'il va devenir directeur de la danse à l'Opéra de Paris. I have a lucky star above me peut être !
Vous allez continuer à ouvrir le Châtelet à des concerts, comme celui de M.Pokora par exemple ?
Ce sont des locations d'espaces (Il passe très vite, un peu gêné). Youn Sun Nah (la chanteuse de jazz coréenne), Juliette Greco, Foresti, je suis très content de les accueillir. Foresti fait entrer des publics qui ne sont jamais venus au Châtelet. L'objectif ce n'est pas de louer très cher à Gad Elmaleh pour un soir, comme il l'a fait à l'Opéra. C'est de faire tomber les barrières, gagner de l'argent et réinvestir. Je ne fais jamais les choses dans un pur objectif économique, tout doit se tenir.
En quoi vont consister les travaux de rénovation prévus en 2017-2019 ?
Le théâtre n'a pas eu de rénovation depuis les années 80. Il y a de vrais travaux à effectuer. On ne peut pas faire une rénovation totale par manque de moyens, mais pour l'essentiel des travaux de sécurité : électricité, accessibilité, ventilation, climatisation qui sont dans des états avancés de délabrement. Ceci est nécessaire pour que ce joyau parisien ne parte pas en fumée, c'est à ce point là. Merci à la Ville de Paris de faire ces travaux. Le cintre, toute la machinerie sera revue également, la fosse hydraulique de l'orchestre qui est à bout.
Avec notre nouveau président, Sébastien Bazin, nous allons travailler à élargir l'enveloppe des travaux (pour l'instant 26.5 millions d'euros), pour avoir une belle enveloppe privée. Car il y a aussi des travaux à effectuer dans les espaces publics et des réfections de façade à envisager, des pierres menacent.
Autre aménagement important : tout l'amphithéâtre hau,t situé au centre de la salle, on va y remettre des sièges en enlevant les projecteurs et gagner ainsi 250 places avec une très belle visibilité. Des places à 10 ou 15 euros.
On entend ici ou la que vous partirez à ce moment là ?
A l'heure actuelle mon mandat n'a pas de fin définie, j'ai 65 ans (c'est dans la presse alors que je pensais taire coquettement cet âge !). Des successeurs vont commencer à se presser. S'ils savaient tout ce qu'il faut faire pour gagner de l'argent avec les productions, ils se presseraient moins !
Je vais me préoccuper des travaux et de cet entracte de la fermeture. Etre un peu l'âme qui défend un modèle de création et de production publique, dans une structure qui ne passera pas au privé. Et tranquillement passer la main à un successeur. Je vais travailler essentiellement à ce que les personnels vivent cette interruption comme une opportunité. On va maintenir toute une série d'activités. L'atelier de décors et de costumes va travailler pour d'autres théâtres. Des personnels techniques pourront même rejoindre cet atelier.
Tous les emplois seront maintenus ?
La ville garantie aujourd'hui la totalité des emplois pendant toute la période de la fermeture, c'est formidable. On va essayer que les personnels ne soient pas payer à ne rien faire. Certains pourront être appelé à travailler pour d'autres institutions publiques. Le plan n'est pas fait, tout se fera par un accord avec les représentants du personnel.
La seule certitude est que je ne ferai pas la réouverture. Je vous l'annonce. En septembre 2019 je ne serai pas là. C'est une décision prise, place aux jeunes. J'aurai aidé le Châtelet jusqu'au bout, j'aurai installé un répertoire, je passerai le relai.
Tout l'extérieur me pousse à continuer. C'est l'âge du capitaine, le désir de faire d'autres choses et j'ai des tas de petits enfants, que je ne veux pas voir mariés avant d'en avoir profité. C'est très prenant le Châtelet…
Je voulais absolument que ce soit Robert Carsen qui fasse la mise en scène de "Singin' in the rain" (le metteur en scène de "My Fair Lady" qui a enchanté le public) et Stephen Mear, la chorégraphie. Leur disponibilité de calendrier ne permettait pas de le faire à la fin de l'année 2014. Les 15 premières dates qui viennent de se jouer sont comme des previews !
C'est étonnant de voir le bonheur que la salle reçoit et qui est communicatif. Vous prenez plein de bonheur, du bonheur des autres. C'est assez rare de voir ça. De sentir dès le début du spectacle cette espèce de joie, de légèreté profonde, quelque chose qui touche le cœur des gens. Ils sont émus par l'excellence de ce qu'ils voient. Ils sont bluffés par la production, la féerie, la magie, l'humour…
Vous avez cette année repris les plus grands classiques de la comédie musicale américaine, vous allez continuer dans cette veine ?
Cette année j'ai donné une petite priorité aux comédies musicales américaines. L'année prochaine ce sera différent, je vais faire une comédie musicale et une pièce de théâtre musicale. Un "Kiss me Kate", enfin un Cole Porter, qui a tant aimé Paris. C'est en fait "La Mégère apprivoisée" de Shakespeare, mise en comédie musicale. Ce qui m'intéresse toujours c'est le décloisonnement des choses. J'ai choisi Lee Blakekey, qui a mis en scène "Into the Woods" de Sondheim.
Et puis je fais "Passion" de Stephen Sondheim, un des géants de ce 20e- 21e siècle. "Passion" est tiré d'un film, "Passion d'amour" d'Ettore Scola, qui lui-même est tiré d'un roman italien de la fin du 19e. C'est un drame, l'histoire d'un homme qui tombe amoureux d'une femme très laide, qui est folle. Normalement c'est Fanny Ardant qui devrait signer la mise en scène, et c'est Natalie Dessay qui incarnera le rôle principal. "Passion" c'est une toute petite forme, 8 solistes et 5 artistes principaux, mais la partition est tellement magique... je pense que l'on peut faire petit mais grandiose.
A propos, comment définissez-vous l'esprit Châtelet ?
Deux jambes pour marcher. Sophistiqué et populaire. Féérique, événementiel, créatif, accessible à tous, d'une excellence dans toutes les composantes de la réalisation. Des œuvres présentées de façon un peu unique. On n'avait jamais vu de "My Fair Lady", de "Singin' in the rain", de Stephen Sondheim… Si j'ai une réussite à mon actif, c'est celle de dire que ce concept n'avait pas été fait. Sophistiqué et populaire, c'est ça l'esprit Châtelet !
Quelle est la journée type du directeur du Châtelet ?
Une arrivée ici à 8h30, qu'il neige qu'il pleuve, qu'il vente et c'est un départ après le spectacle, 6 à 7 jours par semaine. Ce n'est pas un job, c'est une vocation, une mission, une passion. La création c'est 10% du temps par rapport à la gestion qui en représente 90 %. Mais quand vous avez la passion, quand vous travaillez dans ce lieu magique, regardez ce bureau (un vaste espace de 50 m2 dont les quatre immenses fenêtres donnent sur la Seine, face à la Conciergerie), que je n'ai pas rénové ! Vous avez démarré votre mandat avec le "Chanteur de Mexico", revu avec les goûts de notre époque, pourquoi ne pas avoir continué dans l'opérette française ?
J'ai considéré que les opérettes qui m'intéressaient, les Honegger, Riber… certaines avaient déjà été faites et pas toujours avec succès comme "Madame Angot", et puis le public qu'on risquait d'attirer était uniquement âgé, or j'ai voulu créer un public familiale. Je veux que l'on puisse dire "Je suis allé au Châtelet avec ma tante, ma grand-mère". Je veux brasser les générations. Et l'opérette m'a paru un inconvénient à deux niveaux, la taille des œuvres de qualité qui sont petites, et les grandes œuvres qui ne sont pas suffisamment intéressantes.
"Le Chanteur de Mexico" c'était un peu spécial, une sorte de trou noir que je voulais boucher dans l'histoire du Châtelet. On avait mis en enfer Francis Lopez et je trouvais ça idiot, c'est un superbe mélodiste. Un théâtre ne peut pas complètement refuser son histoire. Au fond mon ambition, était de refaire le Châtelet, car il était devenu un autre opéra à Paris, lancé dans une compétition stérile avec les autres. Retrouver un Châtelet qui présentait à la fois les saisons russes de Diaghilev, "Daphnis et Chloé" et qui en même temps faisait "Le tour du monde en 80 jours", "l'Aiglon", l'adaptation des Zola et des Jules Vernes… Ce Châtelet là, mais au goût d'aujourd'hui. Un Châtelet international, qui soit très ouvert sur le monde. Il y a une alternative à l'Opéra qui soit tout de même du grand spectacle.
Et puis il fallait faire tomber ce mur avec le monde anglo-saxon, par goût personnel et par intérêt. Il y avait un boulevard, puisque toutes ces grandes œuvres n'avaient pas été faites.
Je pouvais d'autant plus le faire que j'estime que le cinéma est une des plus grande forme d'art au 20e siècle, il me permettait de faire la passerelle avec ces œuvres.
Vous avez innové dans la façon de produire, notamment pour "Un Américain à Paris" ?
La nécessité est mère de l'invention. Quand il y a quelque chose que l'on ne peut éviter il vaut mieux l'embrasser, disait Shakespeare ! Globalement quand on analyse les fonds publics dans la culture, ceux-ci ont tendance à diminuer, et diminueront. Ce qu'il faut faire c'est élargir les sources de financement qui sont les nôtres et élargir le rayonnement de ce que l'on fait. La production doit être la plus universelle possible.
Pésoa disait : l'universel c'est le local sans les murs. C'est ça l'idée. Produire de l'universel, le sophistiqué populaire que je revendique. Le cinéma américain avait cette fonction d'intégration des communautés, pourquoi ce ne serait pas le cas aujourd'hui. J'essaye de ne pas faire une programmation d'égo, mais une programmation mission. Il y a les modèles bien connus de la coproduction, on en fait beaucoup. On arrive même à convaincre le Marinsky de faire une comédie musicale : "My Fair Lady". Vous voyez où l'universel peut se nicher ! Et jamais le théâtre n'a été aussi rempli de locaux.
Le modèle d'"Un américain à Paris" est de s'installer dans un endroit où un spectacle peut vivre longtemps, cela permet des royalties qui peuvent être réinvess dans des productions. L'association avec deux producteurs de Broadway c'est ça. Permettre à cette création d'être jouée devant un public mondial à Broadway. C'est l'objectif numéro 1, avant l'objectif financier. On est parfois dans un cocon, ça nous fait avancer d'être face à des contraintes. Et puis j'ai un gros projet cubain : une adaptation de Carmen, très caraïbes, avec une troupe essentiellement cubaine. Je vais investir avec des producteurs du monde entier. Je vais à Cuba très prochainement.
Partagez-vous les craintes de Jérôme Clément (qui a démissionné du conseil d'administration, remplacé par Sébastien Bazin) en ce qui concerne la baisse de la contribution de la Ville de Paris (17 millions sur les 25 millions de budget) ?
Il faut qu'on arrête cette polémique idiote. Les subventions publiques diminuent un peu, le Châtelet a été relativement préservé face à cela. On a pas eu d'actualisation, mais c'est ce que m'avait annoncé très clairement Bertrand Delanoé lorsqu'il m'a recruté, ça n'a pas été une surprise.
Le rôle que je me suis donné c'est aussi de développer un modèle économique, j'ai augmenté considérablement les ressources propres du théâtre. Le mécénat, qui existait très peu. On va atteindre 1,5 million d'euros cette année, sans aucun coût. Les locations d'espaces publiques rapportent également beaucoup d'argent. J'ai largement compensé la stagnation des subventions. La ville de Paris a été très fair play, elle a investi au 104, à la Gaité Lyrique et ailleurs pour élargir son offre.
C'est très facile de ne vivre que de subventions. Mon devoir est de travailler à élargir mes ressources. Si demain "Un américain à Paris" marche bien, c'est entre 500 000 et un million d'euros qui vont entrer tous les ans dans les caisses, et ce pendant 10 ans. Si le prochain spectacle cubain marche, c'est aussi un autre million qui entre.
J'ai toujours cette phrase en tête de mon ancien boss, Michael Eisner de la Walt Disney Company : "When there is a will there is a way" (il traduit avec un sourire espiègle et ses yeux se plissent), "Quand il y a une volonté il y a un chemin".
Votre programmation comprend également des opéras peu connus, traités de façon originale ?
Ce sont souvent des projets individuels. J'ai monté 40 opéras et seulement 24 comédies musicales contrairement à ce que l'on dit souvent, dont 15 créations mondiales par rapport à 7 pendant la même période à l'Opéra de Paris.
Dans une maison qui se veut éclectique, l'opéra a sa place mais il faut être très prudent car il ne faut pas que le Châtelet soit dans un cercle vicieux de compétition avec l'Opéra de Paris. Ni l'avec l'Opéra Comique et le théâtre des Champs-Elysées. La niche est étroite, à chaque fois que j'ai fait de l'opéra il faut une bonne raison.
Quand je pense au ballet de Padmâvati, une comédie ballet, je pense au cinéma indien, je contacte Sanjay Bhansali. Et il me répond. Une de mes qualités c'est de savoir vendre des glaces à des eskimos !
Vos choix sont très éclectiques
Il m'est apparu aussi qu'il y avait des trous dans le répertoire, que personne ne faisait. Personne ne voulait monter "Pastorale" de Gérard Pesson. J'ai pensé le monter avec un vidéaste, Pierrick Sorin. Je me suis dit : et si je montais des opéras avec des plasticiens plutôt que des décorateurs.
J'ai aussi monté un opéra avec les pays du Sahel et un orchestre africain, demandé à Damon Albarn de Gorillaz de travailler avec Jamie Hewlett et de proposer des sujets. Ainsi est né "Monkey, Journey to the West" (l'adaptation d'une légende chinoise). Sting est venu proposer "Welcome to the voice" (un opéra du Britannique Steve Nieve, une rencontre entre chant lyrique et les voix de Sting et d'Elvis Costello). Pour "Les Vêpres de la Vierge" de Monteverdi, j'ai fait appel au plasticien russe Oleg Kulik.
Ce qui m'intéresse c'est l'idée du Rhizome, ce petit livre de Deleuze et Guattari : comment penser multiple ? Il faut des entrelacs, mettre ensemble des choses qui ne sont pas forcément reliées en apparence.
Avec du flair parfois ! C'est vrai que ce projet cubain j'y pense depuis quelque temps, et brusquement les américains et les cubains se réconcilient. Quand j'accueille Benjamin Millepied et sa petite troupe de Los Angeles, je ne sais pas qu'il va devenir directeur de la danse à l'Opéra de Paris. I have a lucky star above me peut être !
Vous allez continuer à ouvrir le Châtelet à des concerts, comme celui de M.Pokora par exemple ?
Ce sont des locations d'espaces (Il passe très vite, un peu gêné). Youn Sun Nah (la chanteuse de jazz coréenne), Juliette Greco, Foresti, je suis très content de les accueillir. Foresti fait entrer des publics qui ne sont jamais venus au Châtelet. L'objectif ce n'est pas de louer très cher à Gad Elmaleh pour un soir, comme il l'a fait à l'Opéra. C'est de faire tomber les barrières, gagner de l'argent et réinvestir. Je ne fais jamais les choses dans un pur objectif économique, tout doit se tenir.
En quoi vont consister les travaux de rénovation prévus en 2017-2019 ?
Le théâtre n'a pas eu de rénovation depuis les années 80. Il y a de vrais travaux à effectuer. On ne peut pas faire une rénovation totale par manque de moyens, mais pour l'essentiel des travaux de sécurité : électricité, accessibilité, ventilation, climatisation qui sont dans des états avancés de délabrement. Ceci est nécessaire pour que ce joyau parisien ne parte pas en fumée, c'est à ce point là. Merci à la Ville de Paris de faire ces travaux. Le cintre, toute la machinerie sera revue également, la fosse hydraulique de l'orchestre qui est à bout.
Avec notre nouveau président, Sébastien Bazin, nous allons travailler à élargir l'enveloppe des travaux (pour l'instant 26.5 millions d'euros), pour avoir une belle enveloppe privée. Car il y a aussi des travaux à effectuer dans les espaces publics et des réfections de façade à envisager, des pierres menacent.
Autre aménagement important : tout l'amphithéâtre hau,t situé au centre de la salle, on va y remettre des sièges en enlevant les projecteurs et gagner ainsi 250 places avec une très belle visibilité. Des places à 10 ou 15 euros.
On entend ici ou la que vous partirez à ce moment là ?
A l'heure actuelle mon mandat n'a pas de fin définie, j'ai 65 ans (c'est dans la presse alors que je pensais taire coquettement cet âge !). Des successeurs vont commencer à se presser. S'ils savaient tout ce qu'il faut faire pour gagner de l'argent avec les productions, ils se presseraient moins !
Je vais me préoccuper des travaux et de cet entracte de la fermeture. Etre un peu l'âme qui défend un modèle de création et de production publique, dans une structure qui ne passera pas au privé. Et tranquillement passer la main à un successeur. Je vais travailler essentiellement à ce que les personnels vivent cette interruption comme une opportunité. On va maintenir toute une série d'activités. L'atelier de décors et de costumes va travailler pour d'autres théâtres. Des personnels techniques pourront même rejoindre cet atelier.
Tous les emplois seront maintenus ?
La ville garantie aujourd'hui la totalité des emplois pendant toute la période de la fermeture, c'est formidable. On va essayer que les personnels ne soient pas payer à ne rien faire. Certains pourront être appelé à travailler pour d'autres institutions publiques. Le plan n'est pas fait, tout se fera par un accord avec les représentants du personnel.
La seule certitude est que je ne ferai pas la réouverture. Je vous l'annonce. En septembre 2019 je ne serai pas là. C'est une décision prise, place aux jeunes. J'aurai aidé le Châtelet jusqu'au bout, j'aurai installé un répertoire, je passerai le relai.
Tout l'extérieur me pousse à continuer. C'est l'âge du capitaine, le désir de faire d'autres choses et j'ai des tas de petits enfants, que je ne veux pas voir mariés avant d'en avoir profité. C'est très prenant le Châtelet…
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