Aurélie Dupont fait danser ses ballerines au milieu des toiles de Degas au Musée d'Orsay
Dans le cadre de l’exposition "Degas à l’Opéra" c’est l’Opéra qui a rendu visite au peintre, et particulièrement les danseurs, pour deux soirs, au long d’un parcours où l’œuvre de Degas trouvait des échos dans les chorégraphies contemporaines d’Aurélie Dupont et de Nicolas Paul.
Belle soirée, un peu étrange, mais qui bénéficiait déjà de la magie du lieu, cette nef d’Orsay peu à peu gagnée par l’ombre où l’on était guidé pas à pas, sans nous laisser distraire, de l’Opéra à Degas… et retour. Et cela commençait librement dès notre arrivée par des "works in progress" : soit la contemplation de portants… porteurs de costumes avec le nom d’un danseur (assez mystérieux, cela !) Soit, dans un autre espace, d’autres costumes déjà portés dans des productions et qui nous attendaient -et l’on se prêtait au jeu du déguisement, des petites filles revêtaient des robes de princesse, un jeune homme mêlait chasuble dorée d’un prêtre russe et… tête de loup !
Quant à nous, nous nous sommes admiré quelques instants dans la noble houppelande rouge d’un personnage majestueux de Verdi. Avant d’aller suivre un groupe d’artistes d’aujourd’hui dessinant (comme l’aurait fait Degas en son temps) une danseuse qui posait… devant L’Atelier du peintre de Courbet ! On avait même le temps de flâner un peu dans l’exposition.
Devenir une danseuse de Degas
Mais le parcours commençait bientôt, en trois étapes chorégraphiées ponctuées de promenades, notre groupe portait un ruban bleu (l’assistance coupée en trois suivant le parcours dans un ordre différent). Nous restâmes donc dans la nef pour "A la barre" joliment imaginé par Aurélie Dupont elle-même pour mesdemoiselles Inès McIntosh, Luna Peigné et Nine Seropian, quadrilles sans doute (le premier niveau hiérarchique). Ces demoiselles ajustent leurs ballerines, contrôlent le pied, attachent le ruban noir autour du cou. Se regardent. Grand nœud bleu, tutu rose. Devenir une danseuse de Degas. Commencer son travail à la barre. Pointes. Plié. Demi-plié. Cercle. Droite, chaussons inversés. Corps en arrière. Pieds opposés. Repos du pied sur la barre. Echange entre elles d’un regard, d’un saut. Le même mouvement en commun. Bras derrière le dos en étirement (comme la sculpture de La petite danseuse de 14 ans, la seule que Degas montra de son vivant).
Mademoiselle Dupont en retrait
Où est Degas ? Où s’est-il installé pour observer ? Là où sont des petites filles, étendues par terre, qui ne perdent rien de ce qu’elles rêvent de devenir ? Et mademoiselle Dupont, discrètement en retrait, satisfaite de cette grâce qu’aurait aimée Degas.
On repart, on s’arrête un instant devant une sorte de défilé de mode à l’envers où des danseurs hiératiques et lents arrivent sur une scène en cercle, paré d’un bel habit qu’ils vont quitter pour repartir en sous-vêtement couleur chair par un escalier qui nous les cache. On regarde cela un peu vite au milieu des autres groupes mais nous voici dirigé en contrebas vers l’amphithéâtre (lieu connu des amateurs de musique) où l’on nous masse sur la scène pour "Attente" (chorégraphie de Nicolas Paul) ou "jeu de renversement".
Stéphane Bullion, pantin possédé
Car c’est le danseur qui est dans la salle (l’étoile Stéphane Bullion), qui devient spectateur, qui devient nous. Ferme les yeux, se fige, change de place. Nous regarde. S’endort. Déambule. Ecarte les bras, fait des cercles. Tournoiement d’une jambe qui oscille, grand saut en arc par-dessus les sièges, en apesanteur. Montée en puissance d’une musique qui fait du Bullion rigoureux une sorte de pantin blême et désarticulé, mutique et agité. Possédé. Danseur sans Degas. Puis le silence. Et non pas noir mais lumière.
Dédale
On remonte. On se perd dans un dédale d’escaliers parfois vertigineux. Qui sont nos compagnons, des amateurs de danse ou des amateurs de Degas ? Les premiers d’entre nous poussent des "Oh !" éblouis devant la "salle des fêtes", ses lustres somptueux, ses colonnes crémeuses, ses dorures et ses dimensions : Représentations (toujours chorégraphiées par Nicolas Paul) pour mesdemoiselles Ida Viikinkoski, Juliette Hilaire et Caroline Osmont, sujet et coryphées, qui sont au milieu de nous, marchent, nous examinent. Sorties du temps de Degas. Attendant l’homme, le rêve, elles rencontreront peut-être le réel sordide qui tue l’illusion. Toutes trois enfin devant les portes crème et or, fermées. Grands jetés, bras noués par le désespoir. Tulle blanc qui tourne autour d’elles, mousse, frémit.
Représentations pour qui ? Pour celui qui viendra ? Un prince dans les rêves d’une bergère, un vieux protecteur dans les rêves d’une danseuse de Degas ? Des colonnes en faux marbre couleur caramel égyptien séparent les portes. Les trois portes s’ouvrent. Les trois filles reculent, ne sortent pas. La lumière est-elle une issue ? L’extérieur est-il un piège ? Quand elles se décident, c’est comme si elles allaient affronter un abîme blanc.
Le corps au delà-des oripeaux
On revient doucement au "défilé de mode". On en comprendra enfin le sens. Durant ce lent défilé un groupe de danseurs de tous niveaux (de l’étoile Emilie Cozette et du premier danseur Florent Magnenet aux quadrilles Lucie Fenwick et Alexandre Carniato) s’habille, parcourt le chemin, se déshabille, repart à nu, s’habille d’un autre costume, d’un autre personnage, d’une autre peau. Au final, tous debout devant nous (et avec les sept danseurs que nous avons vus, qui les ont rejoints), ils sont immobiles, leurs personnages à leurs pieds dans un bouillonnement d’étoffes, acceptant de n’être que leur corps qui, pourtant, au-delà des oripeaux, est leur vrai outil de travail.
Alors retour à Degas : l’exposition, vue l’heure tardive, nous isole avec lui, avec ses danseuses, dont tant d’entre elles viennent de musées américains où nous ne risquons guère d’aller qu’elles ont déjà pour nous un visage de fantômes. Conclusion d’une soirée étrange car pas toujours "grand public", où de vrais tutus rose ont côtoyé des tutus peints verts ou bleus sans que les uns et les autres aient aussi dialogué qu’on l’aurait voulu, malgré le talent de la troupe.
Degas Danse, soirées-parcours de l’Opéra de Paris au musée d’Orsay dans le cadre de l’exposition Degas à l’Opéra, les 11 et 12 octobre
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