"Body and Soul" de la chorégraphe Crystal Pite : le corps et l'âme reliés par les mots de Marina Hands à l'Opéra de Paris
Après le solaire "The Seasons' Canon", Crystal Pite enchante à nouveau l'Opéra de Paris avec un spectacle plus sombre et viscéral, "Body and Soul", jusqu'au 20 février.
Les mouvements sont nets. Pensés au millimètre. Les corps des danseurs se meuvent par deux ou par masses compactes telles des étournaux, guidés par la parole. Body and Soul, corps et âmes du ballet de l'Opéra de Paris, sont à Garnier, sur une chorégraphie de la canadienne Crystal Pite jusqu'au 20 février.
Reprenons. Sous la lumière orangée d’un plafonnier, deux hommes vêtus de longs manteaux noirs, d'abord immobiles, s'animent au son d'une voix off. "Figure 1 est étendue au sol, Figure 2 fait les cent pas", articule distinctement l'actrice Marina Hands. En guise de bande sonore, elle prête ses cordes vocales à la chorégraphe, Crystal Pite. Telle une marionnettiste, la comédienne guide les danseurs de l’Opéra de Paris qui obéissent à chacune de ses instructions.
Danser les mots
Le spectateur voit ce qu’il entend et entend ce qu’il voit. Un procédé spécifique à la chorégraphe puisqu’elle utilise du texte dans une vingtaine de créations. "C’est une autre possibilité de connexion avec le public. La plupart des gens se laissent plus facilement toucher par le langage verbal", explique-t-elle. Ici, les paroles prononcées par Marina Hands sont en français, une langue que Crystal Pite ne comprend pas. "Je ressens une sorte de surdité. J’entends la musicalité, le rythme, l’intonation, l’émotion. Mais je dois constamment traduire dans ma tête."
Très attentive au sens de ses spectacles, l'artiste aime jouer avec les mots et voir un même texte évoluer selon la manière dont il est incarné. Au départ, la voix semble inciter les personnages à se battre. Deux hommes s’approchent, s’éloignent, se figent, et l’un d'eux finit au sol. Sur un script identique mot pour mot, une femme déchirée par la tristesse dit cette fois adieu à son amant. L'interprétation change encore lorsqu'une horde d'athlètes s'empare des phrases de Marina Hands.
Effet de masses et réactions en chaîne
Au total, une quarantaine de danseurs entrent et sortent de la scène sur la pointe des pieds. Energiquement. Et pourtant si silencieusement. Bercés par le bruit de la mer, ils s’entrelacent jusqu'à reproduire l'ondulation des vagues. Ils forment une chaîne humaine, d'où emerge une sculpture semblable à celles de Rodin. Crystal Pite joue sur les effets de masse, les réactions en chaîne. Travailler avec un grand nombre de danseurs ne l'effraye pas, au contraire, rien n'est plus grisant que de voir le corps de ballet ne former plus qu'un seul être.
La chorégraphie emprunte tantôt au classique, tantôt au breakdance. Le couple d'étoiles, Hugo Marchand et Léonore Baulac, enchaîne nerveusement les pas de deux sur les préludes de Chopin, avant de se fondre au groupe sur des vibrations électro, et des bruitages semblables à ceux émis par des sous-marins. La voix de Marina Hands s'efface peu à peu, pour n'être plus qu’une succession de syllabes et de souffles à la fin du spectacle. Sons et respirations se superposent jusqu’à reproduire le bruissement des ailes d’un insecte.
Alien
Des grondements gutturaux marquent le début d'un dernier acte plus angoissant, avec l'arrivée d’un danseur recouvert d’une combinaison en silicone noir. Il a tout de ce qu'on imagine être un alien, y compris la démarche : courbée, rapide, et saccadée. Devant de grands panneaux dorés, les créatures s’affrontent à coups de pinces acérées. Jusqu’à l’apparition inattendue et drôle d’un humain au pantalon scintillant : trublion joyeux et pailleté, annonciateur d'un retour sur terre rassurant.
"Body and Soul" de Crystal Pite
Opéra national de Paris
Place de l'Opéra, 75009 Paris
Jusqu'au 20 février 2022
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