"Così fan tutte" à l’Opéra Garnier : Anne Teresa De Keersmaeker revisite Mozart
A l’heure de MeToo et des luttes féministes, le dernier opéra de Mozart peut sembler pour le moins anachronique. Hors contexte historique, Così fan tutte (Ainsi font-elles toutes) a des difficultés à habiter le présent. Les normes sociales ont évolué, le statut des femmes aussi. Le livret de Lorenzo da Ponte, écrit en 1789, peut paraître un peu poussiéreux.
Mais, pour reprendre le titre, que font donc toutes les femmes ? Trahir, être infidèles. Ces mêmes femmes sont comparées, lors de la seizième scène, à des gallinacés. "Et (les aimables épousées) qu’à la manière des poules, elles soient prolifiques d’enfants, qui les égalent en beauté", entonne joyeusement le chœur.
Désir et amours
Pour Anne Teresa De Keersmaeker, l'oeuvre est loin d'être sexiste. "Certaines féministes vilipendent cet opéra pour son supposé sexisme avec la même hargne que les moralisateurs du XIXe siècle. (...) Les deux interprétations -misogynie et excès de frivolité- témoignent à mon sens d'une lecture supercielle. Surtout d'une écoute superficielle. Prima la musica, dopo le parole. La musique d'abord, les paroles ensuite", écrit, dans le livret, la metteuse en scène et chorégraphe.
Comment adapter cet opéra, donné pour la première fois à Vienne en 1790 ? C’est sur un plateau vide, un décor nu peint en blanc, qui évoque la froideur d’une clinique qu’Anne Teresa De Keersmaeker installe la trame. Les artistes évoluent dans cet espace intemporel. Dans la mise en scène de la chorégraphe belge, chaque personnage est doublé d’un danseur. Ainsi la danse prolonge le chant, l’espace vide est habité par la voix et le mouvement. Le corps devient langage. L’ultime opéra de Mozart, un marivaudage léger, prend une autre dimension.
Que raconte Così fan tutte ? Pour leur troisième collaboration après Les Noces de Figaro et Don Giovanni, le librettiste Lorenzo Da Ponte et Wolfgang Amadeus Mozart se sont attelés à une œuvre plus légère qui questionne le désir et la trahison. La trahison côté féminin, car l’infidélité masculine n’est perçue que comme séduction.
Ainsi, Don Alfonso, personnage cynique et blasé, veut convaincre deux jeunes officiers très amoureux que leurs fiancées sont, selon lui, comme toutes les autres femmes, soit infidèles. Pour les convaincre, il leur demande de se déguiser en riches Albanais pour séduire les deux sœurs. Le temps de changer de chemise, les voilà méconnaissables. Et, plus tard, ils redeviennent eux-mêmes en changeant, cette fois, de veste.
Enthousiasme
Ce mardi 18 juin, le public de l’Opéra Garnier tombe sous le charme de la performance des artistes. Les applaudissements sont francs et nourris tout au long du spectacle. Point d’orgue : le final du premier acte qui soulève littéralement un grand enthousiasme.
L’orchestre enfiévré dirigé par Pablo Heras-Casado et la prestation de tous les chanteurs reçoivent une longue ovation. La soprano sud-coréenne Hera Hyesang Park, formidable en Despina espiègle et profonde, réussit à mettre le public de son côté à chaque apparition.
Sur scène, six interprètes, et donc douze avec leurs doubles en danseurs, mais aussi la musique qui a quitté la fosse pour occuper tout l’espace. Sa présence est palpable à chaque instant. Così fan tutte, version Anne Teresa De Keersmaeker, un spectacle profond sous ses airs légers.
Fiche
Titre : Così fan tutte
Langues : Italien sous-titré en français
Musique : Wolfgang Amadeus Mozart
Livret : Lorenzo Da Ponte
Direction musicale : Pablo Heras-Casado
Mise en scène et chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker
Distribution : Vannina Santoni, Angela Brower, Hera Hyesang Park, Josh Lovell, Gordon Bintner, Paulo Szot, et les danseurs de la compagnie Rosas : Cynthia Loemij, Samantha van Wissen, Marie Goudot, Julien Monty, Michaël Pomero, Boštjan Antončič et Carlos Garbin.
Lieu : Opéra Garnier, Place de l'Opéra, 75009 Paris
Dates : Jusqu’au 9 juillet.
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