"Médée" à l'Opéra Garnier : 300 ans plus tard, un triomphe pour l'œuvre de Marc-Antoine Charpentier, version David McVicar

Le metteur en scène écossais transpose la légende grecque durant la Seconde Guerre mondiale. Portée notamment par Lea Desandre et Laurent Naouri, "Médée " a reçu un accueil enthousiaste du public. L'événement lyrique du moment à ne pas rater.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Lea Desandre (Médée) pendant les répétitions. (ELISA HABERER / OPERA DE PARIS)

Elle en a laissé des cadavres derrière elle. Médée aime à faire mourir, faire périr pour faire souffrir. Médée, trompée et abandonnée par Jason, va chercher la vengeance, jusqu'à l'infanticide. D'amoureuse, la magicienne deviendra meurtrière. Médée, l'opéra de Marc-Antoine Charpentier, est donné au Palais Garnier jusqu'au 11 mai 2024.

Derrière ce terrible portrait peu flatteur, la responsabilité de Jason est éclipsée. On peut aussi le voir comme un opportuniste qui, pour accéder au pouvoir, abandonne épouse et enfants pour s'unir à une princesse plus jeune et son royaume pour dot. "Il y a aussi une réflexion politique sur les femmes et les hommes dans cette histoire, ce qui la rend si puissante et si fascinante. Dans le monde du mythe grec antique, supprimer la lignée d'un homme, c'est l'anéantir absolument. La vengeance qu'elle exerce est donc absolue et dévastatrice", explique David McVicar, metteur en scène. Médée brûle d'amour et de haine. Elle, qui a tout donné à Jason, gloire et pouvoir, vit son abandon comme une injustice, une trahison.

Charles de Gaulle, roi de Corinthe

Médée à l'Opéra de Paris est un événement : 300 ans après avoir été créé au sein de son ancêtre l'Académie royale de musique, l'œuvre de Marc-Antoine Charpentier est de retour à Paris.

L'unique tragédie lyrique du compositeur baroque, conçue en 1693 sur un livret de Thomas Corneille, frère cadet du célèbre dramaturge, dans une version de William Christie à la direction musicale et David McVicar à la mise en scène, est un triomphe à l'applaudimètre. Le public a réservé une longue ovation de plusieurs minutes aux artistes.

Comment adapter une tragédie aussi puissante ? Le metteur en scène assume un grand pas de côté en prenant appui sur la dystopie en transposant la tragédie grecque durant la Seconde Guerre mondiale.

"Je voulais aussi trouver un monde où il est très clair que des alliés se rassemblent pour préparer une guerre. J'ai fait marcher mon imagination et je me suis dit : et si nous étions en 1947 et que la Seconde Guerre mondiale continuait encore ? Et si les événements s'étaient déroulés différemment ? Nous présentons donc Oronte en américain, comme les GI, l'armée de l'air, Jason et les Argonautes sont la marine britannique. Et le monde de Créon et de Corinthe, c'est le monde de Charles de Gaulle", explique le metteur en scène écossais.

Lea et les autres

La mise en scène plonge Médée dans la modernité. L'ingéniosité des décors, l'éclairage subtil, le travail titanesque sur les costumes d'époque et l'introduction du chant et de la danse à la fin des premiers actes donnent une nouvelle dimension au spectacle.

Et surtout, la présence scénique et vocale des artistes est époustouflante. La mezzo-soprano Lea Desandre dans le rôle-titre est extraordinaire, particulièrement lors du troisième acte qu'elle porte presque seule. Son jeu de tragédienne est remarquable de justesse. C'est l'acte disruptif, le moment-clé où, dans sa grande détresse, elle oscille entre la raison et l'aliénation. Lea Desandre ne joue pas Médée, elle est Médée. Elle est cette femme trahie, qui va puiser dans la folie les moyens de faire souffrir pour apaiser ses propres tourments. Elle convoque la mort. Le public, conquis, applaudit sa prestation.

Scène de "Médée" pendant les répétitions. (ELISA HABERER / OPERA DE PARIS)

Autre artiste, mais ce n'est pas une surprise, qui domine son rôle, Laurent Naouri. Le baryton français, comme à l'accoutumée, est remarquable de présence. Il incarne un Charles de Gaulle à la fois majestueux et roublard, amoureux de sa fille. Veillant sur son royaume et ne craignant pas le ridicule. Quant à Reinoud Van Mechelen, lui, est tout en nuances. L'artiste belge laisse entrevoir les déchirements de Jason, partagé entre son devoir et sa passion.

Si l'opéra de Charpentier n'a connu que dix représentations lors de sa création, et une seule reprise à Lille en 1700, la version de David McVicar est appelée à connaître un grand succès, eu égard à l'accueil triomphal du public.

La fiche

Titre : Médée

Genre : Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes (1693)

Durée : 3h40 avec 2 entractes

Langue : français

Surtitrage : français/anglais

Musique : Marc-Antoine Charpentier

Livret : Thomas Corneille

Direction musicale : William Christie

Mise en scène : David McVicar

Distribution : Lea Desandre, Reinoud van Mechelen, Laurent Naouri, Ana Vieira Leite, Gordon Bintner, Emmanuelle de Negri, Paule Constable et Lynne Page.

Dates : jusqu'au 11 mai 2024

Lieu : Opéra Garnier, place de l'Opéra, 75009 Paris

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