Quand des jeunes humoristes changent de statut grâce à Facebook
A la différence de stars comme Norman ou Cyprien, qui cartonnent avec leurs sketchs publiés sur YouTube, des comiques en herbe ont préféré miser sur Facebook pour promouvoir leurs vidéos. Et ça marche.
"C'est quoi cette nouvelle mode ?! (...) Les meufs de 14 ans qui disent : 'J'veux un bébé'. Toi, t'es déjà un bébé ! Où vous avez vu un bébé qui s'occupe d'un bébé ?!" Publiée vendredi 10 octobre sur internet, la vidéo de Léris Luketo, humoriste de 16 ans, affiche des statistiques impressionnantes : 628 000 vues, 45 000 "j'aime" et 5 300 partages sur Facebook.
Plus modeste, Wilhem, 19 ans, empile aussi les dizaines de milliers de vues sur sa page avec ses saynètes de quelques secondes qui tournent son quotidien en dérision. A titre de comparaison, l'article le plus partagé la semaine passée sur francetv info n'a récolté "que" 4 500 "j'aime".
Si Léris et Wilhem publiaient leurs vidéos sur YouTube, ils seraient déjà classés dans la catégorie des apprentis Norman ou Cyprien, ces jeunes humoristes dont les sketches collectionnent les millions de vues. Mais à la différence de leurs aînés, ils ont préféré Facebook pour diffuser leurs productions. Une stratégie pas toujours réfléchie mais payante : en quelques semaines seulement, ils se sont fait connaître de dizaines de milliers de collégiens et de lycéens.
Des chroniques qui atteignent parfois le million de vues
"Merci d'avoir pensé à moi !" Lorsqu'on le contacte pour aborder sa soudaine notoriété sur Facebook, Wilhem est surpris, presque gêné. "J'ai fait beaucoup de théâtre, et le monde du cinéma et de l'humour m'a toujours attiré", explique à francetv info ce Francilien de 19 ans, étudiant en troisième année de mathématiques.
"J'ai commencé à réaliser de petites vidéos sur Vine [le réseau de partage de vidéos de 6 secondes, lancé par Twitter en 2011] en juillet, pour m'amuser. Elles y ont connu un certain succès, mais des amis m'ont fait remarquer qu'elles étaient très partagées sur Facebook, poursuit le jeune homme. J'ai donc décidé d'y créer une page en septembre."
Un pari gagnant. Sous le pseudonyme de Wil Aime, il poste des versions plus longues de ses sketches, dans lesquels il s'amuse des tracas quotidiens des ados. Potes qui chambrent devant la salle de classe, profs qui interrogent leurs élèves en plein bavardage, égos blessés par une rupture amoureuse... Les vidéos du jeune homme font un tabac auprès des 13-19 ans, qui sont, en France, environ 5 millions à être inscrits sur Facebook, selon les chiffres de la plateforme publicitaire du réseau social. En six semaines, plus de 30 000 personnes s'abonnent à sa page.
L'emballement a été encore plus frénétique pour Léris Lekuto. Après s'être essayé aux sketches vidéo en 2013, il a vu sa notoriété exploser à la rentrée lorsqu'il a installé sur son iPhone l'application Momentica, qui permet de réaliser, en quelques minutes, des séquences au montage très nerveux.
"Franchement, je ne m'explique pas ce succès, confie à francetv info cet élève bourguignon de seconde, qui recense 160 000 abonnés à son compte Facebook. Deux à trois fois par semaine, je m'allonge dans ma chambre, je raconte ce qui m'a fait rire au lycée ou ailleurs, sans rien écrire, et j'envoie la vidéo." Ses brèves chroniques, dans lesquelles il parodie, entre deux éclats de rire, les niaiseries de certains couples de son âge ou la manière dont se mettent en scène les ados sur Facebook, atteignent parfois le million de vues.
Notifications et "likes" propices au succès
Mais si les deux jeunes humoristes doivent d'abord leur succès à leur sens de la réplique et de la mise en scène, certaines fonctionnalités spécifiques à Facebook ont, sans aucun doute, boosté leur carrière. A commencer par l'identification des amis dans les commentaires. Sous les vidéos de Wilhem, comme sous celles de Léris, la plupart des ados égrainent les noms des amis qui, selon eux, se reconnaîtront dans le sketch.
Chacun des contacts ainsi identifié recevra une notification, et se rendra généralement sur la page de la vidéo pour la regarder à son tour, faisant ainsi gonfler le nombre de vues. Un système identique existe sur YouTube, mais cette fonctionnalité y est moins utilisée par les ados, qui sont en revanche parfaitement familiarisés avec les usages de Facebook. "Quand je vois qu'un pote 'like' ou m'identifie sur une vidéo, j'ai l'impression de rire avec lui", explique ainsi Wilhem, bien conscient de la viralité de cette technique.
Autre fonctionnalité qui agit comme un piège à clics sur les vidéos de ces jeunes humoristes : la lecture automatique, dont sont privés les films postés sur YouTube. Depuis le printemps 2014, les vidéos publiées directement sur Facebook et qui apparaissent sur le fil d'actualité sont, en effet, lancées automatiquement, sans le son, dès qu'elles entrent dans le champ de vision de l'utilisateur. Un simple clic, et la vidéo se relance, cette fois avec la bande-son. Dans ces conditions, difficile de résister à la tentation de jeter un œil à une vidéo "likée" par un ami.
Ni Léris, ni Wilhem ne semblent avoir choisi Facebook plutôt que YouTube en raison de ces fonctionnalités avantageuses. "Je ne voyais pas l'intérêt d'aller sur YouTube, affirme le premier. J'utilise Facebook tous les jours, ça me semblait naturel d'y mettre mes vidéos."
Des propositions de partenariats
Le second, lui, ne se sentait pas à la hauteur de la plateforme-star de la vidéo en ligne. "La plupart des producteurs qui marchent bien sur YouTube créent des vidéos de qualité semi-professionnelle, ça me fait un peu peur, reconnaît-il. J'essaierai peut-être de m'y installer lorsque j'aurai plus de temps, pour réaliser des films plus longs et élaborés, si je vois que les internautes continuent de bien m'aimer."
Car à la différence de Facebook, YouTube permet aux producteurs de vidéos à succès d'être rémunérés par la publicité en fonction de leur nombre de vues. Norman, dont la chaîne YouTube compte plus de 5 millions d'abonnés et dont les sketches dépassent régulièrement les 6 millions de vues, indiquait ainsi à Slate.fr gagner "dans les 100 000 euros" par an grâce à ce procédé.
Une professionnalisation qui n'est pas encore à l'ordre du jour pour Wilhem, qui compte "privilégier [ses] études pour l'instant". Léris Lekuto, qui se voyait encore il y a quelques semaines "devenir attaché commercial", est moins affirmatif. "Je continue à faire des vidéos pour délirer, mais j'ai récemment reçu des propositions qui me font réfléchir", avoue-t-il, évoquant une émission de télévision et des marques intéressées par des partenariats. Autant de professionnels qu'un vivier de jeunes internautes prêts à partager en masse des vidéos ne pouvait laisser indifférents.
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