"Jours de joie" au Théâtre de l'Odéon : seize personnages en quête de bonheur
Au Théâtre de l’Odéon, Stéphane Braunschweig met en scène pour la cinquième fois le Norvégien Arne Lygre dans "Jours de joie", une pièce chorale où chaque spectateur retrouvera un peu de lui-même dans les personnages.
Dans Jours de joie, du dramaturge norvégien Arne Lygre, seize personnages un peu perdus dans leur vie mais tous à la recherche du bonheur se croisent dans un jardin public. Les retrouvailles du directeur de l'Odéon, Stéphane Braunschweig avec son auteur de prédilection sont jubilatoires pour le spectateur
C’est l’automne sur le vaste plateau nu de l’Odéon. Un épais tapis de feuilles mortes recouvre la scène. Pas de décor, murs et cintres sont apparents, et au milieu, un banc de jardin public. Nous sommes, semble-t-il, au bord d’une rivière et d’un cimetière. C’est sur et autour de ce simple banc que pendant la première partie vont se succéder et se croiser huit personnages en quête de bonheur puis huit autres dans la seconde partie, située cette fois dans un intérieur stylisé, une table, sept chaises, un canapé. Tous ne se connaissent pas, il y a en gros trois groupes, familiaux ou amicaux, mais le hasard des rencontres dans ce jardin public les amène à entamer la conversation, parfois malgré eux.
Ces seize personnage ne se connaissent certes pas tous mais ils ont un point commun qu’ils vont explorer ensemble dans "une choralité paradoxale", comme l’écrit joliment Stéphane Braunschweig, la recherche de ces Jours de joie souvent insaisissables. En réalité, tous sont surtout, chacun à sa façon, au bord de la chute : une mère touchante de maladresse retrouve sa fille, longtemps expatriée, et attend son fils qui ne vient pas, un couple qui se sépare et se déchire, une voisine un peu envahissante, une (trop) jeune veuve et ses beaux-enfants adultes englués dans un deuil compliqué... Et un jeune homme qui a choisi de tout plaquer, famille et compagnon compris, pour disparaître, partir loin, très loin. C’est lui qui servira de fil conducteur entre tous les personnages.
Ces fragilités tellement humaines qui nous touchent
Autant de situations délibérément banales en apparence mais c’est précisément la "normalité" de ces êtres, tellement humains dans leurs fragilité respectives, qui nous touche et chacun dans la salle peut, tour à tour, se reconnaître dans un ou plusieurs de ces hommes et femmes et dans les situations qu’ils et elles vivent.
Peu à peu, dans ces rencontres de hasard, le dialogue s’installe, même si ce n’est pas facile de parler de sa vie et de ses tourments à des inconnus. Les remarques fusent, les engueulades aussi. Rien de tragique pourtant dans ces instants de vie, où on rit souvent. Là encore, sans doute parce qu’il n’est pas difficile de trouver en soi des résonnances à ce qui se joue sur le plateau. Chacun fait comme il peut...
La langue est simple, limpide. Chemin faisant, la pièce explore aussi la cruauté du langage (peut-on / doit-on tout se dire dans un couple, une famille, entre amis ?) ou les différences de niveau social (l’ex-mari qui voit dans la différence de fortune, à son détriment, l’origine de l’échec de son couple), au risque peut-être de quelques redites dans le début de la seconde partie.
Au milieu de ces scènes en apparence ordinaires, une situation elle échappe à la normalité : c'est cet homme qui disparaît, pour dit-il partir à la recherche de lui-même. Où, comment, pourquoi ? On ne le saura pas. Mais le choc abyssal que représente cette inconcevable disparition pour tous ceux qui le connaissent (puisqu'il est le seul à relier tous les personnages) ouvre une ultime perspective. Et ce n'est pas la moindre de la pièce.
Un auteur plus tchékhovien que nature
Seize personnages, joués par huit comédiens, tous attachants, avec une mention particulière pour Virginie Colemyn et Pierric Plathier, formidables dans leurs deux duos successifs mère/fils, qui offrent un saisissant effet miroir.
Stéphane Braunschweig retrouve ici pour la cinquième fois l’auteur norvégien, Arne Lygre, 54 ans, dont il a co-traduit et mis en scène toutes les pièces notamment à l’Odéon, qu’il dirige. Un compagnonnage artistique fructueux et qui se révèle sur le plateau dans la fluidité de la scénographie.
Arne Lygre est norvégien donc, comme l’était Ibsen, le grand dramaturge du XIXe siècle mais c’est plutôt à Tchékhov et ses Trois Sœurs que l’on pense : "Il faut vivre… il faut vivre !". Car même au bord de l’abîme, c’est cette semblable note d’espoir qui conclut le spectacle : "Nous sommes heureux malgré tout, nous allons maintenant vers la joie. La joie existe".
"Jours de joie", de Arne Lygre, mise en scène Stéphane Brausnchweig
avec Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Grégoire Tachnakian, Jean-Philippe Vidal - Au Théâtre de l'Odéon, place de l'Odéon Paris 6e - tél. 01 44 85 40 40
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