"12 Hommes en colère" : une adaptation intense au Théâtre Hébertot
A l’issue du procès d’un jeune homme de 16 ans accusé d’avoir tué son père, douze jurés doivent se prononcer sur sa culpabilité qui peut le mener sur la chaise électrique. Le premier tour de table le condamne à onze voix contre une. Ce récalcitrant, qui ne l’innocente pas pour autant, émet la notion de doute qui va au fil du débat gagner chacun des participants.
Pièce capitale
Le succès la pièce de Reginald Rose ne se démentit pas au fil des ans car elle pose la question universelle de la pertinence de l’institution judicaire. La Justice est vieille comme le monde, tout comme le débat confrontant celle des hommes à celle de Dieu. Etonnamment, toutes deux font l’objet de croyance. Ne dit-on pas je crois, ou non, en la Justice, tout comme je crois, ou non, en Dieu ? C’est l’équation que pose "12 Hommes en colère" avec une puissance dramatique qui met comme rarement sur scène le suspense au service d’une réflexion philosophique, sur une instance au coeur de la condition humaine.Vieille de 64 ans, cette pièce majeure du répertoire américain n’a pas pris une ride. Sa problématique recoupe celle de la peine de mort, condamnation suprême encore appliquée dans 57 pays en 2017, 104 l’ayant aboli, 29 ne l’ayant pas pratiquée depuis une décennie, 8 autres la conservant aux seuls motifs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et/ou actes de terrorisme. Les plus récalcitrants, et non des moindres, restent les Etats-Unis (23 exécutions en 2017), et la Chine (nombre d’exécutions indéterminé, Pékin ne donnant aucun chiffre, mais Amnistie Internationale les estime par milliers). Combien d’erreurs judicaires ou d’exécutions sommaires dans ces chiffres ? L’Arabie Saoudite et le Pakistan se trouvent juste derrière ces deux géants qui sont aussi les deux plus grandes puissances économiques et militaires mondiales.
12 personnages en quête de doute
Impossible de ne pas évoquer cet état des lieux avec "12 Hommes en colère". Encore faut-il faire passer le message. La version de Francis Lombrail mise en scène par Charles Tordjman, y parvient à plus d’un titre. Pas facile de convoquer sur scène douze personnages dans un huis-clos d’une heure-et-demi. Respectant l’époque où fut écrite la pièce, le décor reste abstrait, ne comportant qu’un banc où sont alignés les jurés, avec une grande ouverture horizontale sur l’extérieur au-dessus d’eux, d’où parviendront des éclairs et le grondement de l’orage, plus la tension monte.Tous d’origine sociale différente, chacun faisant appel à des arguments se référant à leur culture, leur profession ou expérience personnelle. Les costumes américains des années 50 évoquent ces origines socio-professionnelles et dessinent les personnages. Un souci du détail très bénéfique au spectacle, alors que la mise en scène joue sur la frontalité constante des acteurs avec le public. L’on est d’autant plus absorbé par ces joutes verbales qui en viennent aux mains, avec une nervosité croissante au fil des échanges, jusqu’à une résolution libératrice.
L’interprétation remarquable, tant orale que très physique de tous les comédiens, la sobriété de la mise en scène qui valorise le texte, et une dramaturgie tout en suspense, font de ces "12 Hommes en colère" un spectacle de très haute tenue, en émotions et réflexion. Comme en écho, André Malraux constatait : "Juger, ce n’est pas comprendre, parce que si l’on comprenait, on ne pourrait pas juger".
Avec : Jeoffrey Bourdenet – Antoine Courtray – Philippe Crubezy
Olivier Cruveiller – Adel Djemaï – Christian Drillaud
Claude Guedj – Roch Leibovici – Pierre Alain Leleu
Francis Lombrail – Pascal Ternisien – Bruno Wolkowitch
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