Cet article date de plus de dix ans.
A Avignon le "Mahabarata" est résolument japonais grâce à Satoshi Miyagi
Dans le cadre majestueux de la carrière Boulbon, non loin d’Avignon, le metteur en scène japonais Satoshi Miyagi présente un « Mahabarata » qu’il s’est magistralement approprié, jouant de ce récit épique indien, comme d’un élément du patrimoine japonais. Avec un grand sens du conte, un jeu d’acteurs très maîtrisé et beaucoup d’humour.
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Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Reportage : F.Poret, T.Guery, A.Despretz
Le parcours en navette pour se rendre du centre d’Avignon à la carrière de Boulbon, à une quinzaine de kilomètres de là, où se produit le « Mahabarata » de Satoshi Miyagi, est quelque peu chargé d’émotion. C’est là qu’il y a trente ans cet espace géologique devait commencer une… carrière dans le théâtre, découverte pour l’occasion par Peter Brook pour y loger justement son « Mahabarata » nocturne. Depuis, cet antre minéral est l’un des musts d’Avignon, plébiscité par les festivaliers et souvent recherché par les metteurs en scène, y compris venus (déjà) du Japon, comme ce Hiroshi Teshigahara qui y installa, en 1994, 3600 bambous d’Anduze pour les besoins de son théâtre nô.
Un Mahabarata réduit à un seul épisode Mais revenons à Satoshi Miyagi : l’expérience de Brook de 1985 dans cet espace naturel fut marquante, décisive même pour celui qui à l’époque ne faisait alors que du théâtre amateur. Il avait rêvé d’y revenir en metteur en scène, c’est donc chose faite. Mais le rapprochement avec Peter Brook s’arrête là, la mise en scène du japonais n’ayant rien à voir avec celle de son aîné britannique. Le « Mahabarata » de 1985 durait 12 heures et se référait à l’ensemble de ce poème épique indien de 2200 avant J-C, qui en 18 livres fait le récit de l’histoire très mouvementée de deux branches d’une famille royale. Satoshi Miyagi, lui, n’a voulu adapter – en moins de deux heures de spectacle - qu’un seul épisode, le « Nalacharitam », sorte de miniature du « Mahabarata », un condensé de l’esprit de l’œuvre mais à une distinction (capitale) près : celui-ci ne contient pas de récit de guerre et offre, de ce fait, une place importante aux personnages féminins. C’est l’histoire du roi Nala et de sa jeune et splendide épouse Damayanti. Leur union attire contre le roi les foudres des Dieux, jaloux de ne pas avoir pu se réserver pour l’un d’eux la si belle princesse. Puni par un sortilège, le roi Nala joue et perd tous ses biens au profit de son frère, roi d’une province voisine. Il parvient à conserver son aimée mais, honteux, la fuit pour ne la retrouver qu’au terme d’une longue épopée. Voilà pour l’histoire. Maintenant oubliez l’Inde et plongez dans le Japon ancien, imaginez un plateau et des costumes blancs et des silhouettes qui rappellent les marionnettes du théâtre traditionnel nippon. « J’ai essayé d’imaginer quel aurait été le « Mahabarata » s’il avait été introduit au Japon à cette époque du Moyen Age. C’est ce qui m’a servi de première approche pour la mise en scène de ce grand texte. Dans ma recherche artistique, je réalise de plus en plus que chaque culture est l’hybridation de plusieurs cultures », a expliqué Satoshi Miyagi au Festival d’Avignon.
La scène nue, magnifiée par la carrière
La scène est conçue en demi-cercle, pas plus large qu’un podium de défilé et nue de tout décor. Elle est simplement magnifiée par la carrière qui l’encercle, écrin parfait pour des histoires de forêts et de montagne. Sur les parois rocheuses défilent les ombres des personnages qui font tout au long du spectacle leur entrée sur le plateau : des monstres de papier, le tigre, un python, des éléphants, joliment représentés par leur trompe. Le roi Nala et son épouse, enveloppés dans leur kimono de papier (ou ce qu’il reste au cours des péripéties), comme bon nombre des 25 acteurs-danseurs de la troupe récitent tout en conservant des postures statuaires, car la parole leur est confisquée. La mise en scène de Satoshi Miyagi en effet sépare les acteurs qui jouent, sans parler donc, et les conteurs. Une dissociation qui emprunte aux codes du théâtre traditionnel japonais, du nô, du kabuki et du bunraku (grandes marionnettes), mais que le metteur en scène s’est appropriée en en faisant sa marque de fabrique depuis près de 25 ans. La narration de ce « Mahabarata » - au début chorale puis confiée au seul conteur - est l’un des grands plaisirs offerts aux spectateurs qui, même sans en comprendre le contenu (qui, lui, est transmis par les sous-titres), saisissent les subtilités de l’accentuation et des variations de ton, de volume, de rythme. Le rire qui se déploie dans le public n’est pas une réaction à des gags, mais l’expression de bonheur. Parfois, quand elle est saccadée, cette logorrhée verbale rappelle les flows du rap. Et fait écho aux rythmes des percussions qui, tout au long du spectacle sont assurés par des musiciens placés quelques mètres en dessous du plateau.
« Mahabarata – Nalacharitam » de Satoshi Miyagi
Jusqu’au 19 juillet à 22h à la Carrière Boulbon
Le 12 juillet, le spectacle est annulé en solidarité avec le mouvement des intermittents du spectacle. Mais les interprètes japonais "considérant que jouer est un acte sacré ont décidé de donner des extraits devant le Petit Palais (près du Palais des Papes) gratuitement", a précisé Olivier Py dans sa conférence de presse du 12 juillet.
Un Mahabarata réduit à un seul épisode Mais revenons à Satoshi Miyagi : l’expérience de Brook de 1985 dans cet espace naturel fut marquante, décisive même pour celui qui à l’époque ne faisait alors que du théâtre amateur. Il avait rêvé d’y revenir en metteur en scène, c’est donc chose faite. Mais le rapprochement avec Peter Brook s’arrête là, la mise en scène du japonais n’ayant rien à voir avec celle de son aîné britannique. Le « Mahabarata » de 1985 durait 12 heures et se référait à l’ensemble de ce poème épique indien de 2200 avant J-C, qui en 18 livres fait le récit de l’histoire très mouvementée de deux branches d’une famille royale. Satoshi Miyagi, lui, n’a voulu adapter – en moins de deux heures de spectacle - qu’un seul épisode, le « Nalacharitam », sorte de miniature du « Mahabarata », un condensé de l’esprit de l’œuvre mais à une distinction (capitale) près : celui-ci ne contient pas de récit de guerre et offre, de ce fait, une place importante aux personnages féminins. C’est l’histoire du roi Nala et de sa jeune et splendide épouse Damayanti. Leur union attire contre le roi les foudres des Dieux, jaloux de ne pas avoir pu se réserver pour l’un d’eux la si belle princesse. Puni par un sortilège, le roi Nala joue et perd tous ses biens au profit de son frère, roi d’une province voisine. Il parvient à conserver son aimée mais, honteux, la fuit pour ne la retrouver qu’au terme d’une longue épopée. Voilà pour l’histoire. Maintenant oubliez l’Inde et plongez dans le Japon ancien, imaginez un plateau et des costumes blancs et des silhouettes qui rappellent les marionnettes du théâtre traditionnel nippon. « J’ai essayé d’imaginer quel aurait été le « Mahabarata » s’il avait été introduit au Japon à cette époque du Moyen Age. C’est ce qui m’a servi de première approche pour la mise en scène de ce grand texte. Dans ma recherche artistique, je réalise de plus en plus que chaque culture est l’hybridation de plusieurs cultures », a expliqué Satoshi Miyagi au Festival d’Avignon.
La scène nue, magnifiée par la carrière
La scène est conçue en demi-cercle, pas plus large qu’un podium de défilé et nue de tout décor. Elle est simplement magnifiée par la carrière qui l’encercle, écrin parfait pour des histoires de forêts et de montagne. Sur les parois rocheuses défilent les ombres des personnages qui font tout au long du spectacle leur entrée sur le plateau : des monstres de papier, le tigre, un python, des éléphants, joliment représentés par leur trompe. Le roi Nala et son épouse, enveloppés dans leur kimono de papier (ou ce qu’il reste au cours des péripéties), comme bon nombre des 25 acteurs-danseurs de la troupe récitent tout en conservant des postures statuaires, car la parole leur est confisquée. La mise en scène de Satoshi Miyagi en effet sépare les acteurs qui jouent, sans parler donc, et les conteurs. Une dissociation qui emprunte aux codes du théâtre traditionnel japonais, du nô, du kabuki et du bunraku (grandes marionnettes), mais que le metteur en scène s’est appropriée en en faisant sa marque de fabrique depuis près de 25 ans. La narration de ce « Mahabarata » - au début chorale puis confiée au seul conteur - est l’un des grands plaisirs offerts aux spectateurs qui, même sans en comprendre le contenu (qui, lui, est transmis par les sous-titres), saisissent les subtilités de l’accentuation et des variations de ton, de volume, de rythme. Le rire qui se déploie dans le public n’est pas une réaction à des gags, mais l’expression de bonheur. Parfois, quand elle est saccadée, cette logorrhée verbale rappelle les flows du rap. Et fait écho aux rythmes des percussions qui, tout au long du spectacle sont assurés par des musiciens placés quelques mètres en dessous du plateau.
« Mahabarata – Nalacharitam » de Satoshi Miyagi
Jusqu’au 19 juillet à 22h à la Carrière Boulbon
Le 12 juillet, le spectacle est annulé en solidarité avec le mouvement des intermittents du spectacle. Mais les interprètes japonais "considérant que jouer est un acte sacré ont décidé de donner des extraits devant le Petit Palais (près du Palais des Papes) gratuitement", a précisé Olivier Py dans sa conférence de presse du 12 juillet.
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