"Abigail's Party", une pièce acide de Mike Leigh au Théâtre de Poche
Party carrée
Le décor nous plonge d’emblée dans la banlieue londonienne des années 70, un salon orange très vintage avec son papier peint marronnasse, composé de motifs géométriques "vasaréliens", ses deux reproductions d’"époque" de Van-Gogh et de Renoir accrochées au mur, qui auront leur importance… Beverly, la quarantaine, fête son anniversaire avec son mari Peter. Un jeune couple tout juste installé dans le quartier, Angela et Tony, va les rejoindre, ainsi qu’une voisine, Suzanne, qui trouve l’occasion trop belle d'échapper à la fête qu’organise sa fille Abigail chez elle.Beverly, la meneuse de jeu, minaude à loisir ; Angela, jolie bécasse, aspire à monter dans l’ascenseur social que représente pour elle l’arrivée dans ce nouveau quartier ; Tony, docile et suiveur, fier de son image machiste, se plie à leurs désidératas ; Suzanne se demande bien ce qu’elle fait là, alors que Peter fulmine en silence, jusqu’à…
Tout ce petit monde joue les mondanités, échangent des mots creux, "très intéressants", jusqu’à l’arrivée de Suzanne, une "ancienne" du quartier, assez circonspecte mais bienveillante, alors que Peter fait preuve d'une misanthropie à moitié voilée : ambiance.
Etude de moeurs
Fin limier des rapports sociaux, Mike Leigh distille son venin drolatique tout au long d’un texte qui pointe les postures sociales, le jeu des apparences, jusqu’à ce que tombent les masques dans un pugilat aux motifs ridicules. Le malaise est condensé dans le conflit larvé entre Beverly et Peter que la présence des autres peine à cacher. Beverly impose sa médiocrité comme critère de bon goût, aspirant en vain à se divertir face à un mari raciste qui expose à loisir sa culture superficielle. Angela et Tony s’adaptent et louvoient, pendant que Suzanne, bien seule à garder la tête sur les épaules, fait preuve de sagesse et incarne le point de vue du public confronté à cette faune bigarrée.
Ce qui pourrait passer pour un brûlot cynique prend, grâce à Mike Leigh, une tournure compassionnelle. Il aime ses personnages ; tout comme Cédric Carlier, Dimitri Rataud, Lara Suyeux, Alexie Ribes et Séverine Vincent, qui les défendent à merveille. Les dialogues et réparties fusent, dans une chorégraphie scénique orchestrée avec talent par Thierry Harcourt. Coup de chapeau également au décor estampillé 70’s et à la garde-robe qui sied parfaitement aux profils psychologiques des personnages. L’on rit beaucoup, tout en s'interrogeant constamment sur nous-même... Une comédie de mœurs énergique et grinçante qui passe comme un gin-fizz.
Abigail's Party
De Mike Leigh, Mise en scène : Thierry Harcourt
Adaptation Gérald Sibleyras
Avec : Cédric Carlier, Dimitri Rataud, Lara Suyeux, Alexie Ribes et Séverine Vincent
Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
Décor et accessoires : Marius Strasser
Lumières Jacques Rouveyrollis
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