Adieux flamboyants : Claire Lasne-Darcueil quitte le Conservatoire de Paris... mais pas avant un dernier Tchekhov avec ses élèves
Avant même les derniers raccords, Claire Lasne-Darcueil lâche une larme. Ce Tchekhov aura un goût d’au revoir. Dimanche 2 avril, au Conservatoire national d’art dramatique, les élèves de Troisième année font leurs adieux. La directrice aussi, heureuse de laisser sa place en juillet prochain à Sandy Ouvrier.
Metteuse en scène de talent, première femme à diriger le Conservatoire, Claire Lasne-Darcueil a su changer le visage de la prestigieuse institution, désormais plus ouverte à la diversité. L'heure du bilan approche, elle soupire : "C’est un peu énorme là. C'est vraiment dix ans de ma vie, et sur ces dix ans, j'en aurais passé presque quatre avec cette promotion, parce qu’avec la pandémie, on a prolongé leur cursus et en plus, j'ai remplacé quelqu'un pour mettre en scène ce spectacle... donc ça rapproche profondément."
Dans une jolie salle boisée, l’ambiance est bonne enfant. Pour faire passer le temps, on chante Tous les cris, les S.O.S. de Balavoine. "Comme lors d’une dernière réunion de famille", commente Shekina Mangatalle-Carey, 22 ans. "Allez, sérieux, sérieux", lance Claire Lasne-Darcueil. Les jeunes comédiens répètent le final sur un air de Rameau. Leurs corps dansent en rythme, puis s’arrêtent. "On va trop vite", juge l’un d’eux. "Hier, Théo s’est pris une jambe", prévient une autre.
Sur scène, "le passé n’existe plus"
Arrive alors l'heure de jouer leur dernière création : L’Amour et les forêts. Une pièce de trois heures jonglant entre deux versions d’un même texte de Tchekhov, L’Homme des Bois et Oncle Vania. On y parle d’amours impossibles, de rêves contrariés sur fond d’écologie. "Le passé n’existe plus […] et le présent est monstrueux d’absurdité". Elena, "seul personnage libre de la pièce", sombre dans le désespoir. Georges (ou Oncle Vania selon la version) consacre sa vie à un domaine pour "un salaire de famine". Jeu remarquable de Théo Delezenne exprimant toute la détresse de ce dandy alcoolique au bord du suicide.
De grands draps blancs sont tendus, un piano et une machine à écrire de chaque côté. Le tout éclairé par une multitude de bougies. Décor classique pour une plongée hors du temps. Tout au long de la pièce, certains personnages, dont un ange (Léna Tournier-Bernard) et un sosie de Chaplin (Julie Tedesco), tantôt observent, tantôt écrivent, tantôt commentent, telles des Sibylles de Michel Ange.
Ivresse et plaisir d'être ensemble
Sur scène comme en coulisse, l'allure de ces jeunes est parfois grave. Mais l’atmosphère n’en reste pas moins chaleureuse. Les silences, pesants, sont bien vites remplacés par l’ivresse et le plaisir d’être ensemble. "On peut penser que Tchekhov a quelque chose de très lourd, explique Myriam Fichter. Mais justement ce qu’on cherchait là-dedans, c'était de voir là où la vie renait malgré tout".
Pour la première fois, Ryad Ferrad a eu l'opportunité de traduire et jouer certains passages en arabe. Shekina Mangatalle-Carey et Chara Afouhouye en créole. Un geste fort pour la metteuse en scène. "Ça fait entendre quelque chose de la vitesse de cet auteur, remarque Claire Lasne-Darcueil. La grammaire française a tendance à être trop explicative avec des : 'car, parce que, pourquoi'. Alors que là, tout d’un coup, le style est plus direct, extrêmement imagé, notamment en créole, et ça fonctionne beaucoup plus avec la langue russe". Privilège du Conservatoire, André Markowicz, le traducteur de Tchekhov en langue française, les a accompagnés.
"Je me réjouis d'aller au théâtre et au cinéma dans les années qui viennent."
Claire Lasne-Darcueille 2 avril 2023
Il y a un indéniable plaisir à découvrir ces jeunes talents. Hermine Dos Santos, Clyde Yeguete, Vincent Alexandre, Mikaël-Don Giancarli, Eva Lallier Juan, Padrig Vion... La liste est longue, mais à retenir. Pour eux, le conservatoire finira dans quelques heures, et déjà plein de projets. "J’ai 26 ans, je suis allé à l’école toute ma vie donc là ça va être le grand bain", lance Basile Sommermeyer, excité par cette idée. Il part jouer un spectacle à Tahiti. De son côté, Chloé Besson s'amuse : "Picasso disait : 'Si l'on sait exactement ce qu'on va faire, à quoi bon le faire ?'".
À quelques pas, Claire Lasne-Darcueil confie : "J’ai vraiment l'impression que ces dix années font que je vais mourir moins bête. J’ai tellement appris à leur côté, ça m’a fait grandir. [...] Je sais que le théâtre et le cinéma français vont aller beaucoup mieux avec eux [...] et je me réjouis d'aller au théâtre et au cinéma dans les années qui viennent".
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