Anouk Grinberg, le retour d'une "Molly Bloom" pleine de vie
Sur la scène, un lit avec un homme qui dort (Antoine Régent) et une femme, qui parle. Nous sommes en présence de deux grandes figures, l’une du théâtre et l’autre de la littérature. La diction très singulière d’Anouk Grinberg associée à un phrasé sans respirations, peu paraître au départ un peu effrayant, à l’image de l'énorme "Ulysse" de Joyce, et ses plus de mille pages au style très expérimental.
Mais, une fois le défi posé, le rythme change, ralentit, s’accélère à nouveau, prend vie. La voix se fait tantôt grave, drôle, malicieuse, et de fortes émotions succèdent aux éclats de rire du public, face à une actrice qui s'empare du texte avec intensité et sublilité.
Une histoire intime et universelle
Ecrit sur soixante-dix pages sans aucune ponctualition, ce monologue intérieur de Molly Bloom est le 18e et dernier chapitre du livre de Joyce. Cette femme, qui vient de tromper son mari endormi, semble se confier sur sa vie et sur elle-même. Nous sommes à Dublin, au début du 20e siècle. Il est 4 heures du matin et Molly, pétillante et ultra sensible, dit comment son couple ne fait plus l’amour, comment son mari la délaisse pour l’alcool et la politique, comment elle rêve de son amant...
Courage et modernité
Tantôt femme et épouse, mère blessée et séductrice, le personnage de Molly s’attaque très librement et frontalement aux questions des inégalités homme / femmes, à la dépendance amoureuse et sociale, aux choses de l’amour et du corps de la femme dans ses aspects les plus intimes. Des thèmes qui étaient éminemment plus difficiles à aborder en 1922 qu’aujourd’hui, surtout dans le style très direct de Joyce, qui ne s’encombrait pas de précautions inutiles, ni de morale, pour écrire ce qu’il avait à écrire, de manière parfois très crue.
Un monument de la littérature
James Joyce s’est directement mis en danger en écrivant Ulysse, il risquait la prison. Après 7 ans d’écriture il a fallu la persévérance de deux femmes parisiennes pour que le livre existe. L’œuvre, jugée obscène à l’époque, est restée interdite jusqu’en 1931 aux Etats-Unis. Elle est depuis considérée comme un tournant important de la littérature moderne.
Son style , déstabilisant, s'appuie sur les dialogues produits par les cerveaux de ses personnages, selon la technique du "courant de conscience" ou "flux de pensée", qui fait souvent de cet énorme ouvrage une véritable épreuve pour le lecteur non averti.
Dans ce contexte, cette pièce est une vraie chance. Ce qui paraît impossible à lire devient subitement très agréable à entendre et tout prend sens, grâce à l’impressionnant travail d’adaptation réalisé avec Jean Torrent, Marc Pacquien et Blandine Masson.
A l’issue de la représentation, Anouk Grinberg nous a confié avoir planché sur le texte de soixante-dix pages durant quatre à cinq mois, très intensément. Encore aujourd’hui, elle le répète chaque jour intégralement, même quand il n'y a pas de représentation.
Après avoir travaillé le monologue de manière classique, en imaginant les ponctuations inexistantes, Anouk Grinberg a fait le choix d’appréhender le texte comme un véritable corps à corps, dans le flux, sans filet.
La comédienne, qui a très peu de moments de respiration dans le spectacle, compare sa performance à celle d’un cavalier de rodéo. Le texte, si difficile à dompter paraît ici totalement apprivoisé, et proposé très généreusement au public, avec une douceur et une force toute particulière.
"Molly Bloom" d’après Ulysse de James Joyce (Gallimard)
Avec Anouk Grinberg - Adaptation : Jean Torrent , Marc Pacquien , Anouk Grinberg et Blandin Masson.
En tournée :
Au TNP de Villeurbanne jusqu’au 14 décembre 2013
Au Théâtre des Bouffes-du-Nord (Paris) du 14 au 24 janvier 2014
Au Renens-Malley (Suisse) du 29 janvier au 2 février 2014
Au théâtre de Grasse (Alpes-Maritimes) les 7 et 8 février 2014
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.