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Au Châtelet, la première soirée de la compagnie Alvin Ailey ovationnée

La compagnie d’Alvin Ailey (plus exactement « The Alvin Ailey American Dance Theater » ou AAADT) est à Paris pendant trois semaines. Elle apporte dans ses bagages 18 ballets différents. S’ils sont de la qualité de ce soir de première…
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
"Lift", par la compagnie Alvin Ailey
 (Paul Kolnik/maxppp)

Des oeuvres nouvelles au répertoire

On vient désormais (c’est en tout cas le sentiment que nous avions ce 7 juillet, soir de la première) voir la compagnie d’Alvin Ailey comme de vieux amis qui vont encore nous surprendre ou nous éblouir. Les quartiers d’été que la troupe prend à Paris sont à chaque fois d’une vraie durée et d’une fidélité constante, qui nous honore nous aussi, public parisien.

Mais il y a à chaque visite un intérêt supplémentaire; car, contrairement à certaines compagnies devenues orphelines à la mort de leur créateur, l’AAADT a continué de susciter des œuvres nouvelles, depuis 26 ans (c’était en 1989) qu’Alvin Ailey nous a quittés. D’abord sous la houlette de la très attentive Judith Jamison (interprète vedette de la troupe pendant maintes années) puis, sous l’autorité de Robert Battle nommé il y a quatre ans. Battle est du même coup à l’origine de deux des ballets présentés ce 7 juillet et qui sont des premières en France: « Lift » d’Aszure Barton,  « Four corners » de Ronald K. Brown. Brown est noir (« African-American »); pas Barton.  


Donner une chance aux danseurs noirs

On le dit parce qu’on finirait par oublier que cette vraie institution américaine qu’est la AAADT est encore composée à 99% de danseurs de couleur (et l’on y inclut, si l’on a bien compté, deux latinos et un japonais), ce qui ne peut surprendre à l’aune d’Etats-Unis toujours profondément communautaristes. Et que quand Alvin Ailey, excellent jeune danseur formé chez Martha Graham ou José Limon, a fondé sa compagnie en 1958, il pouvait ainsi donner leur chance à nombre de ses semblables noirs ou métis (mais le terme de « métis », pour une grande partie de l’Amérique blanche, signifiait, et continue de signifier, « noir », voir encore les jugements de ladite Amérique à propos du « métis » Obama !), dans un pays où la scène artistique traditionnelle était tout aussi empreinte de racisme qu’une partie de la société.

Donner une chance, aussi et surtout, de se montrer dans un autre répertoire que les « danses primitives » (qu’Ailey avait commencé par étudier adolescent), c’est-à-dire dans l’écriture classique de la danse où triomphaient alors outre-Atlantique des compagnies à la peau claire sous la houlette de génies comme Balanchine, Robbins et, bientôt, Cunningham.
  (Paul Kolnik/EFE/Newscom/MaxPPP)


Une danse où l'emporte le vertical

On pensait à tout cela, 79 chorégraphies d’Alvin Ailey plus tard. On y pensait en regardant « Lift » et « Four corners », avec leurs proximités et leurs différences : ces arrière-plans où sont toujours présents (omniprésents) le sentiment de l’esclavage et la spiritualité ; ce décor de nuées sombres, ciel de suie trouée par une lumière crue, vive, éblouissante, une lumière d’apparition. Cette danse où l’emporte constamment le vertical, pieds, toujours nus, ancrés dans la terre, dos voutés et bras pendants (souvenir du temps où les travailleurs noirs devaient vivre courbés le regard vers le sol de peur de croiser celui de leur maître?), et puis le danseur se redressant brusquement, les mains, les bras, tendus vers le ciel. Beauté de ces gestes interminables, poussés jusqu’à l’extrême des phalanges, en une tension glorieuse, à la limite de la transe. Souvenir de l’héritage africain dans les rondes des femmes. Position « en oiseau » chez les hommes, bras en arc largement ouverts avec mouvements de balancier des épaules comme des aigles ou des condors prêts à l’envol. Les hommes,  torse nu. Les mouvements du bassin, souples et lents. Et tout à coup une  danse plus purement classique, avec pirouettes en déséquilibre, magnifiques portés, diagonale parfaite du bras et de la jambe incroyablement étirés, jetés, dynamique des sauts…  

La différence entre Barton et Brown? Dans « Lift », Barton passe d’un style à l’autre, magnifie ses danseurs mais sans vraiment choisir, ou de les renvoyer aux racines africaines  ou de jouer (ce qu’ils font admirablement) selon les codes de Balanchine. Cela donne à « Lift » sa force ambigüe, mais avec des instants de malaise. Dans « Four corners » le passage se fait si naturellement qu’on se laisse glisser dans la variété de cette écriture d’une souplesse et d’une beauté que les onze danseurs (quatre garçons, sept filles) restituent comme s’ils les respiraient. 
 Four Corners (Ronald K. Brown) 
 ( Paul Kolnik)


Un merveilleux pas de deux et une apothéose

On sortait d’ailleurs d’une merveille, le pas de deux « After the rain » de l’Anglais (blanc) Christopher Wheeldon que s’approprient les sublimes Linda Celeste Sims et Glenn Allen Sims (Frère et sœur ? Mari et femme ?) La danseuse, dans des portés en déséquilibre incroyablement beaux, est d’une douceur et d’une fluidité de rêve, et quel Prince du « Lac des Cygnes » ferait son partenaire !...
Linda Celeste Sims et Glenn Allen Sims - After the Rain (Christopher Wheeldon) 
 (Paul Kolnik)

Et Alvin Ailey dans ce programme ? «Révélations », un classique. Comment un jeune homme de 29 ans (on était en 1960) nous contait par la danse, sur de somptueux negro spirituals, le passage de l’esclavage à la liberté, de la tristesse à la joie, du péché à la délivrance politique et spirituelle. Avec cette fin éblouissante façon « Show boat », tout en ombrelles blanches, robes jaunes et gilets dorés, où les 2000 spectateurs du Châtelet, déjà conquis, se déchaînent en tapant dans leurs mains. Standing ovation, nous vous l’avons dit. Evidemment méritée, la standing. Et qui pourrait bien se reproduire tous les soirs.  
Revelations (Alvin Ailey) 
 (Nan Melville)


« Alvin Ailey American Dance Theater » au Théâtre du Châtelet (dans le cadre des "Etés de la Danse")
Jusqu’au 1er août
Des programmes différents tous les soirs
   
 

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