Au festival de Syracuse, une passion intacte pour les grands auteurs grecs
C’est Eschyle qui, le premier, cette année ouvrait le cycle des représentations avec « les suppliantes ». Un drame de famille où l’on parle d’exil et de guerre. Modernité garantie. Puis ce fut Euripide avec « Iphigénie en Aulis ». Cela se situe à Thèbes, autrement dit Louxor. On y parle du sacrifice d’une fille par un père également roi, soucieux de l’intérêt de son pays. Il s’agit donc en quelque sorte de raison d’État, re-modernité garantie. Ce fut enfin, la célèbre Médée. Cette fois encore l’Histoire signée Sénèque, un auteur latin, est faite de crimes, de massacres familiaux, le tout se situant en Méditerranée.
Ces textes n’ont rien de plan-plan. La fulgurance y est constante, de même que l’actualité du propos. Voilà qui explique certainement la vivacité de ce rendez-vous. Car, le festival du théâtre grec de Syracuse a 101 ans pour être précis. On serait même tenté de dire que ce n’est que le premier centenaire. En effet, le succès de cette manifestation exclusivement consacrée aux grandes tragédies antiques ne s’est jamais démenti.
Ce haut lieu de l’antiquité fait salle comble avec un public qui brasse les générations, des élèves aux parents, tous amateurs de ces textes que l’on peut bien qualifier aujourd’hui, d’immortels. La folie de ces gens, si c’est ainsi que vous seriez tenté de qualifier leur amour du théâtre, peut aller jusqu’à suivre les représentations en langue grecque antique ou latine. On hallucine. Il est vrai que la Grèce actuelle n’est qu’à 1000 kilomètres de là.
On évoque d’ailleurs beaucoup en ville les restrictions imposées au peuple hellène. Mais ici c’est l’Histoire qui compte, celle qui a laissé son empreinte dans une forte identité culturelle. Et puis, que l’on se rassure, souvent, les spectacles se donnent en italien, et parfois, cela s’est fait, en dialecte sicilien. « L’assistance vient aussi du monde entier », vante le vieux syracusain croisé par hasard, en perpétuelle visite de « son » théâtre grec.
Il est vrai qu’on se donne ici tous les arguments pour réussir la saison. On ne lésine pas sur les effets spéciaux, puissance de la bande son, flammes dévorantes au beau milieu de la scène, et costumes du plus pur gothique. Mais l’essentiel est ailleurs, les grands metteurs en scène, ou les plus remarquables acteurs italiens sont passés par là, y compris Gino Cervi, le Peppone de Don Camillo (et oui, c’était surtout un magnifique homme de théâtre) pour ne citer que celui là.
Par plus de 35 degrés à l’ombre, deux jeunes archéologues s’acharnent à essayer de nouvelles qualités de ciment pour colmater la multitude de trous, brèches et cavités en tout genre qui menacent à terme l’édifice. L’administration des biens culturels est fort sourcilleuse sur le chapitre, confient ils. L’endroit est l’un des plus grands du monde de la Grèce antique avec ses 138 mètres de diamètre. Les herbes folles ne font qu’ajouter à la magie de la place, d’où l’on aperçoit la superbe presqu’île d’Orthigie. Sur scène, quelques éléments de décor évoquent, s’il le fallait encore, une antiquité vivante.
D'ailleurs la présence des auteurs des pièces est quasi perceptible, il paraît qu'ici même Euripide et Echysle ont assisté à leurs propres spectacles. Depuis le 16 avril 1914, la manifestation n’a connu que deux interruptions, pour cause de guerre mondiale, la première et la seconde. La population de Syracuse se réfugiait alors dans des galeries situées sous la piazza del Duomo, le bijou de la ville. Ils étaient des milliers entassés par 20 mètres sous terre à subir les bombardements au gré des alliances changeantes de l’Italie.
C’est là en sous-sol qu’on a réuni les reliques d’un siècle de tragédies et de comédies aussi, avec le truculent Aristophane. Étrangeté de la situation. Exposer ainsi en sous-sol ce qui se donne au grand jour. « C’est parce que le théâtre grec parle du fond des âmes » lance le guide, amoureux éperdu de « ses auteurs contemporains »…
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