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Avignon : 12 heures de traversée douloureuse et exaltante avec Julien Gosselin

Il y avait foule hier à la première de "2666" de Julien Gosselin (qui avait connu un triomphe en 2013 avec "Les Particules élémentaires"). Une foule prête à embarquer pour 12 heures de spectacles (avec quelques entractes), prête à en découdre ! Et Parmi eux, Quentin et Gaspard, 23 et 27 ans. Nous avons vécu avec eux cette aventure exaltante, douloureuse parfois, prenante jusqu'au bout. VIDEO.
Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Gaspard et Quentin, 12 heures de traversée avec Julien Gosselin
 (Sophie Jouve/Culturebox)

Ils ont quitté les remparts, direction la Fabrica, profitant du ciel voilé et d'une température clémente pour parcourir les quelques kilomètres par une marche bienvenue, avant de s'embarquer pour une toute autre aventure : la traversée par Julien Gosselin et sa troupe de "2666", le livre monde, le livre testament du Chilien Roberto Bolano, qui explore la question du mal.

Quentin, étudiant en théâtre à Mons s'installe. Il a entrainé sa sœur et une copine, Fany et Gloria. "Moi ce sont les 12 heures qui m'attirent, une expérience collective sur la durée. On sait quand on arrive, que ce seront les mêmes gens autour de nous 12 heures plus tard, c'est fascinant et en décalage complet avec ce qui se passe dans nos sociétés contemporaines", me dit-il, le plus sérieusement du monde.

Quentin (à gauche), Fany, Gloria, Gaspard
 (Sophie Jouve/Culturebox)

Gaspard, lui, a étudié les Arts du spectacle. Il vient au festival depuis quatre ans et a déjà vu trois pièces cette année : "Les Damnés" de Ivo van Hove, Angélica Liddell et Maëlle Poesy. Il a trouvé les trois "extraordinaires".

14H : Le spectacle démarre comme un brulant polar. Dans un congrés international de littérature allemande, à la Sorbonne, quatre universitaires européens (qui deviendront amis), partagent leur fascination pour un auteur que personne n'a jamais rencontré. On sait de lui qu'il est né en 1920, qu'il est prussien, qu'il était un jeune homme pendant la 2e guerre mondiale et qu'il a pris pour pseudonyme : Benno von Archimboldi. Ils sont prêts à tout pour le retrouver.


Cette première des 5 parties que compte le spectacle (comme les 5 chapitres du livre ) est halletante. Avec une incroyable intensité, les comédiens nous entrainent dans leur enquête qui les conduira de Paris au Mexique, dans une ville frontière, Santa Teresa, où depuis des années sont assassinées des centaines de femmes anonymes. Ce déplacement géographique se double de relations intimes complexes, puisque ces universitaires sont composés de trois hommes, tous amoureux de Linda, la femme du groupe, la numéro 4 (Noémie Gantier).
  (Boris Horvat/AFP)

16H15 : 1er entracte. Mais Quentin nous met en garde : "Je n'aime pas parler d'un spectacle à l'entracte, parcequ'il s'agit d'un objet incomplet". Au contraire Martine, psychologue dans la vie, partage son enthousiasme : "J'adore pour l'instant. Quand je rentre dans un bon bouquin j'ai envie d'aller jusqu'au bout, là c'est pareil, alors que j'étais venue à reculons à cause de la longueur." 
Martine et Roger
 (Sophie Jouve/Culturebox)

16H45 :  Le spectacle reprend avec de nouveaux personnages : un professeur de Barcelone, Oscar Amalfitano et ses filles dont le destin va aussi croiser le Mexique et sa corruption généralisée. Nous voilà en Amérique du Sud, ventilateurs à pales, narcotraficants et climat tropical, un autre monde.

Les comédiens jouent tous plusieurs personnages, faisant preuve d'un engagement et d'un art du dédoublement qui force l'admiration. Comme Denys Euriey, qui passe de l'universitaire au boxeur mexicain, avec la même crédibilité.

18H : 2e entracte et premiers coups de fatigue. A l'extérieur, le soleil brûle à nouveau.
  (Sophie Jouve/Culturebox)

18H30 : 3e partie. Un journaliste américain de Detroit est dépéché au Mexique pour couvrir un match de boxe… à Santa Teresa. Tout l'acte se déroule dans la fièvre d'une boite de nuit et par immenses écrans interposés.

Gosselin tisse sa toile, ose les digressions, multiplie les mondes. En utilisant la vidéo et les effets lumineux, la musique et les sons, jusqu'à saturation. Le metteur en scène, qui n'a pas encore 30 ans, avait prévenu : "J'aimerais emporter le spectateur dans mon plaisir et inconfort quand je lis 2666".
  Vidéo, musique et effets sonores
 (Boris Horvat/AFP)

20H15 : 3e entracte, d'une heure celui là, car il est temps de se restaurer. L'organisation et le service ont beau ne pas être à la hauteur, l'ambiance est détendue et bon enfant. Et puis il y a encore 7 heures de spectacle à vivre !
La bonne humeur malgré une organisation qui laisse à désirer
 (Sophie Jouve/Culturebox)
  (Sophie Jouve/Culturebox)

21H15 : La collation a été frugale, heureusement. Car cette quatrième partie nous plonge en enfer. Pendant deux heures et dans l'obscurité, s'incrustent en projection la liste des jeunes femmes assassinées entre 1993 et 2000 dans cette ville du nord du Mexique. La litanie de leurs noms, énumérés les uns après les autres, leur âge, leurs sévices, dans le moindre détail. Une overdose de musique et de supplices, d'autant plus osée et insupportable qu'il s'agit là d'un fait divers réel, relaté dans le livre de Bolano.

23H15 : 4e entracte. La fatigue et le choc de ce qui vient de se vivre se lisent sur les visages. On grille une cigarette, on oublie de rallumer son portable.
  (Sophie Jouve/Culturebox)

23H45 : Un peu soulagé à l'idée d'aborder la dernière ligne droite, on regagne son siège et ses voisins, devenus compagnons de traversée. Nous irons encore du siège de Sébastopol à la Roumanie, de l'Italie au Mexique, sur les traces d'Archimboldi. Des monde surgissent, vertigineux, mais Gosselin ne nous perd pas.

2H00 : C'est l'ovation. Dans les travées, très peu de défections. Fany et Gloria ont lâché Quentin, après tout de même 4 heures de spectacle.
  (Sophie Jouve/Culturebox)

Quentin est maintenant assis à côté de Gaspard, tels de bons vieux copains. "Il y a des moments superbes et des moments où je me suis ennuyé", confie Gaspart un peu sonné, "les propos finissent par se déliter". Les yeux de Quentin, eux, pétillent : "La 4e partie est très dure, il y a des moments où c'est une soufffrance, mais ça fait partie de l'expérience globale. C'était gigantesque !" 

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