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Avignon 2018 : après "Les Damnés", le grand retour d'Ivo Van Hove avec "Les Choses qui passent"

"Les Damnés", d’après le film de Luchino Visconti, montée par la Comédie-Française à Avignon en 2016, mise en scène par Ivo van Hove, avait été le choc de cette 70e édition. Le metteur en scène néerlandais est de retour cette année avec "Les Choses qui passent" ("De Dingen Die Voorbijgan"), d’après Louis Couperus, en version néerlandaise surtitrée. Une tragédie familiale sombre et flamboyante.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
"Les Choses qui passent" de Koen Tachelet d'après Louis Couperus, mis en scène par Ivo van Hove
 (Jan Versweyveld)

Antichambre de la mort

Ivo van Hove est le metteur en scène de l’espace. Sa vision nécessite une largesse et une profondeur spatiales auxquelles la Cour d’honneur convenait parfaitement pour "Les Damnés". Ce n’est pas moins le cas en cette Cour du Lycée Saint-Joseph d’Avignon pour "Les Choses qui passent". Il y a installé un immense plateau carré, prolongé par un miroir qui reflète les acteurs et le public. En pivotant entre les actes, il devient écran de projection. En fond de cour, un instrumentiste égraine une musique percussive et cristalline, au rythme d’une horloge, au cœur du sujet. Des chaises entourent la scène, occupées par les quelque vingt comédiens qui alternativement, selon l’action, viennent au centre, alors qu’au premier plan, un vieux couple en fin de vie est le pivot d’une famille en déliquescence.
A La Haye, le cadet d’une grande famille puritaine s’apprête à se marier. Cette union n’est pas appréciée de tous pour son caractère non conventionnel. Les ancêtres, deux vieux amants très âgés, portent un lourd secret, et sont révérés par trois générations qui tentent cependant de s’émanciper du fardeau familial. Dans cette antichambre de la mort, les non-dits se délient dans l’espoir de tirer un trait sur le passé et d'ouvrir une ère nouvelle.

Fin de siècle

"Les Choses qui passent" adapte "Vieilles gens et choses qui passent" (Éditions Universitaires) de Louis Couperus (1863-1923), figure majeure de la littérature néerlandaise, équivalent d’un Thomas Mann en Allemagne ou d’un Proust en France. Publié en 1906, le roman synthétise l’esprit fin de siècle du XIXe et le passage au XXe, qui va bientôt verser dans l’horreur de la Première Guerre mondiale pour passer d’une ère à une autre. En pleine Belle-époque, celle-ci contient en germe les maux d’une civilisation en fin de course à force de conventions qui vont voler en éclats au sortir du conflit. Louis Couperus écrit une prophétie de l’Histoire à venir, et son adaptation par Koen Tachelet mise en scène par Ivo van Hove s’avère d’une actualité brûlante dans un monde en pleine mutation et qui se cherche.
"Les Choses qui passent" de Koen Tachelet d'après Louis Couperus, mis en scène par Ivo van Hove
 (Jan Versweyveld)
Tous vêtus de noir, les protagonistes sont imprégnés du calvinisme hollandais dominant. Le jeune couple qui se marie incarne la volonté de changement lors d’une nuit de miel torride, où Ivo van Hove n’hésite pas à les dénuder, les aspergeant de Champagne et autre crème Chantilly. Il s'agit du seul moment coloré de la pièce, qui baigne dans une lumière sombre et oppressante. Reflet du puritanisme ambiant, par la sobriété dominante, le metteur en scène parsème la pièce de moments de fulgurance : les pivotements du miroir, les magnifiques projections, la pluie de cendre, les brumes au ras du sol…

Le choix de représenter "Les Choses qui passent" en néerlandais surtitré français est méritoire, mais ne facilite pas l’accès à un texte difficile, surtout à une heure tardive, même si celle-ci fait bénéficier la pièce d’une atmosphère nocturne qui lui sied. Il faut donc un peu "s’accrocher" pour apprécier toute sa puissance, alors que la mise en scène d’Ivo van Hove ne peut que susciter l’adhésion. Ce que le public lui a transmis par une longue ovation.

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