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Avignon : « 3949 Veuillez patienter », racontée par son danseur, Alexandre Blondel

Quand on "fait" Avignon, on voit pas mal de spectacles, parfois ça accroche, parfois ça n’accroche pas. Et parfois, c’est vraiment un coup de coeur. Quelque chose vous touche, résonne en vous et donne envie d’en savoir plus. C’est ce qui s’est passé avec "39 49 Veuillez patienter", une création de la Cie Carna qui mêle danse et théâtre. Nous avons rencontré son créateur, Alexandre Blondel.
Article rédigé par Chrystel Chabert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
"3949 Veuillez patienter", une création collective de la Cie Carna
 (Sébastien Gaudronneau)

Pour choisir son spectacle à Avignon, on peut éplucher le (gros) catalogue du OFF à condition d'avoir quelques heures devant soi. On peut aussi se laisser guider par le hasard des rencontres. C'est grâce à un reportage sur la distribution des tracts dans la rue (à voir sur Culturebox) qu'on a découvert "3949 Veuillez patienter". Une discussion s'est engagée avec les membres dela Cie Carna qui interpelaient les passants. Avec ces gens ouverts, passionnés, le courant est passé, ils sont su éveiller notre curiosité. Le soir même, on décidait  d'aller voir le spectacle présenté à 18H30 au Théâtre Golovine.  

On en est ressorti touché, bousculé et questionné par ce solo où danse, théâtre, vidéo se complètent durant une heure pour nous plonger dans les coulisses d’une agence Pôle emploi. Une agence vue à travers les yeux d'un homme qui est là pour faire le ménage (voir l'article "3949 Veuillez patienter", danse sous tensions à Pôle emploi").

Alexandre Blondel - Cie Carna
 (Sébastien Gaudronneau)
Le danseur qui est à l’origine du projet, c’est Alexandre Blondel. On a aimé sa démarche de travail, cette approche de la danse à la fois simple, multiple et riche de sens. Une approche où l'expression du corps et les mots s'unissent pour raconter l'être humain et sa complexité. Voilà un chorégraphe qui ne se la raconte pas avec des concepts fumeux. Une belle rencontre qu’on avait envie de partager sur Culturebox. 

Quel a été le point de départ du projet ?
Notre démarche de travail part toujours d’une réflexion autour de l’actualité. En 2008, la fusion ANPE/ Assedic m’avait interpelé. J’’avais envie d’aller questionner ces endroits là, je sentais qu’il y avait matière à réfléchir autour de cette notion de travail. Ensuite, mes recherches bibliographiques m’ont orienté vers le travail de Pierre-Emmanuel Sorignet, un sociologue qui est aussi danseur. J’avais lu son ouvrage sur la vocation de danseur. Mon projet l’a intéressé.  Là-dessus, toute une équipe s’est retrouvée : designer sonore, vidéaste, metteur en scène et un auteur contemporain.

Vous êtes allés rencontrer des gens de Pôle emploi ?
Oui, car pour toutes mes pièces, j’ai besoin s’aller sur le terrain pour bien comprendre les enjeux J’ai contacté des conseillers, on a organisé des entretiens de type enquête pour connaître leur parcours, pour comprendre le fonctionnement interne de la structure et les enjeux de cet organe administratif. Je voulais découvrir ce lieu vu de l’intérieur et savoir pourquoi et comment on devient conseiller à Pôle emploi. Connaître aussi leur point de vue par rapport aux chômeurs, comment ils le perçoivent .

Qu’est ce qui ressortait ?
Une sorte d’incompréhension face à une super-méga structure. Ils se sentaient noyés sous des directives contradictoires. Ce sont des gens qui sont dans l’adaptation permanente, leur travail est très fragmenté avec de plannings qui changent tout le temps. Il y a aussi une violence latente permanente car les usagers peuvent s’en prendre à eux.
  (Sébastien Gaudronneau)
Le héros de l’histoire n’est pas un conseiller mais un ancien chômeur qui devient agent d’entretien dans une agence Pôle emploi. Pourquoi ce choix ? 
On voulait quelqu’un qui soit à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, qui participe mais qui puisse observer, qui soit témoin de ce qui arrive dans l’agence mais sans être " sur le front ". On voulait aussi que cette personne soit présente pendant les horaires d’ouverture et de fermeture. Parce qu'une agence, c’est un espace qui existe aussi quand les usagers ne sont pas là. Que reste t-il quand tout le monde est parti ? Y a t-il des traces de ce passage ?

Il n'y a pas de décors "réels", type cloisons sur le plateau Vous avez structuré cet espace par la vidéo…
Je voulais parler du contrôle social. Et dans ces espaces d’administration où on accueille du public, toute une signalétique a été pensée et mise en place pour contrôler les phénomènes de foule, tout a été aseptisé pour éviter la violence. C’est déterminant dans la façon dont les usagers circulent ou se comportent, comme dans la zone de confidentialité où on baisse la voix. Cest le genre de choses que j’avais envie de questionner. D’où l’idée de délimiter très précisement l’espace par la vidéo... ça ressemble à un plan de secours. Il y a aussi l'idée de voir à travers les murs, sachant qu’à Pôle emploi, il n’y a plus de portes, elles ont été enlevées pour que le conseillers puissent s'échapper face à quelqu'un qui devient violent.
  (Sébastien Gaudronneau)
Sur certaines séquences, vous dansez et vous parlez en même temps grâce à un micro HF. C'est un exercice très exigeant ?
Oui c'est sûr mais on l’avait déjà expérimenté sur d’autres spectacles. Techniquement, il faut gérer des sons parasites. Mais c’est super intéressant notamment sur une séquence comme « Les 3 premiers jours », où je raconte chaque journée en dansant sur de mouvements répétitifs. Sur 4 minutes, on commence à sentir, à "entendre" la fatigue qui s’impose d’elle même. Je ne la joue pas, c’est là, je m’essouffle vraiment et ça colle avec l’épuisement de mon personnage. Ca impose une forme de sincérité, je ne cherche pas à interpréter, l’émotion vient des modifications physiques. 
  (Sébastien Gaudronneau)
Qu’avez vous essayé de raconter à travers les séquences dansées ? 
Nous, on travaille beaucoup par fragmentation. Le texte c’est une chose, la danse, c’en est une autre. Avec Pierre-Emmanuel Sorignet, le sociologue-danseur, on a établi des concepts chorégraphiques mais autour de la notion du travail. Ca veut dire qu’on a réfléchit sur des thème précis, concrets comme la dignité, la question de la reconnaissance ou pas au travail, sur les postures qu’on adopte en fonction du métier qu’on fait. Par exemple : les hommes ou femmes de ménage essaient souvent de se faire oublier, de se fondre dans l’espace. Comment on traduit cette non-existence physiquement ? Sur la notion de dignité, on a travaillé au premier degré : repousser le sol pour s’élever, ne pas plier, résister, d’où un corps debout, en tension extrême sur la pointe des pieds…
Il y a des moments qui s’éternisent comme celui dans la salle d’attente. Vous n’avez pas eu peur que le public se lasse ? 
On a tous vécu ces situations d’attente interminable. Je voulais faire ressentir ça au spectateur. J’avais envie qu’il s’ennuie, qu’on aille à la limite de cet ennui. On a testé différentes longueurs et durées pour voir jusqu’à quel point c’était supportable. Il fallait que ce soit long mais pas trop pour que tout le monde n’ai pas envie de partir ! Ensuite, on a rajouté des éléments perturbateurs : la petite sonnerie, le décompte des numéros de passage, le chrono qui défile...Physiquement, je voulais voir comment un corps peut se déliter de façon quasi imperceptible, cette déconstruction infime, la hanche qui part, un pied qui se pose de côté…Ca force aussi le spectateur à se concentrer pour percevoir ce qui se passe.

Même chose pour le solo de danse finale qui dure 12 minutes, avec une musique qui s’amplifie jusqu’à devenir stressante, des images vidéo qui s’accélèrent…Pour le public c’est presque une épreuve !
Pour moi aussi ! Cette séquence me liquéfie, elle est énorme ! Je monte crescendo donc je dois gérer mon effort, faire monter les choses au bon rythme…C’est un temps très long, de l’ordre de la transe, où on se dépasse. J’avais envie d’aller au bout de quelque chose, quitte à ce que ce soit long, trop fort pour les gens. Parce que je veux aller chercher le spectateur pour l’emmener dans un endroit particulier où il n’irait pas normalement. Etre dans une forme de surenchère intelligente et contrôlée. 
  (Sébastien Gaudronneau)
Vous mêlez danse et théâtre. Certains appellent ça du théâtre physique ? Pourquoi ce choix ?
Oui on défend ce théâtre physique, à la croisée de différents langages, la danse, le texte, l'acrobatie, la vidéo...Mais on a surtout envie de rendre nos créations accessibles. Il faut que ça reste du spectacle On a le droit de se questionner mais on a aussi le droit, nous artistes et le public, d’y prendre du plaisir même si à l’intérieur, on est plongé dans un ascenseur émotionnel. 

Quels sont vos projets ?
Après les migrants, le travail, nous allons aborder la question des croyances, des religions. Ce sera un spectacle pour 3 danseurs cette fois. Il devrait être prêt pour 2017. 
  (Sébastien Gaudronneau)
"3949, veuillez patienter" 
Création Compagnie Carna avec Alexandre Blondel
Jusqu'au 21 Juillet 2015 (relâches les 9 et 15 juillet) 
Théâtre Golovine à Avignon
1 bis rue Ste Catherine - Point Off 67
Réservation au 04 90 86 01 27





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