Avignon : l’Antigone japonaise défie la démesure de la Cour d’honneur
L’immense scène de la Cour d’honneur disparait sous un miroir d’eau. Des silhouettes aux costumes d’une blancheur translucide glissent doucement entre des rochers gris qui forment une sorte de jardin zen. Ce sont des combinaisons découpées reproduisant le squelette humain et recouvertes de voiles aériens : superbe travail sur les costumes ! Le contraste va se montrer saisissant entre la sérénité de cette image et l’austérité du mur vertigineux qui la surplombe.
En préambule et de façon inattendue, l'une des comédiennes japonaises résume dans un français curieusement prononcé et sur le mode burlesque le destin d’Antigone. Bravant le roi Créon, son oncle, elle choisit d’obéir aux lois des dieux plutôt qu’à celle des hommes, transgressant le décret qui lui interdit d’enterrer son frère. "Le français est une langue difficile je vais avoir besoin de réconfort" s’époumone la comédienne, aussitôt applaudie par le public. "Antigone c’est moi", conclut-elle avec un humour ravageur !
Personnages dédoublés
Le Metteur en scène japonais Satoshi Miyagi, féru de Kabuki et de théâtre Nô, a dédoublé les personnages principaux : Antigone, Ismène sa sœur, Créon son oncle, Hémon fils de Créon et à qui elle est promise. L’un des deux assure la parole, l’autre le mouvement projeté en ombre gigantesque sur le mur du palais des Papes.On est très vite happé par ce rituel qui se déroule devant nous, par la grâce et la force qui s’en dégagent. Antigone, longue perruque blonde est placé au centre de la scène, souvent au sommet d’un rocher. Petit corps gracile face à la démesure du lieu, défiant l’autorité, refusant de juger.
La musique en rythmes ondulés et en percussions légères participe de l’envoûtement : la trentaine de comédiens-musiciens en fond de scène joue les pieds dans l’eau.
Satoshi Miyagi explore cette partition stricte que l’Occident opère entre bons et mauvais. "Ce dualisme véhiculé par les religions monothéistes qui produit beaucoup de tueries et de batailles", dit-il en opposant les pratiques religieuses du monde occidental et de l’Extrême-Orient.
Antigone : bouddhiste ?
"L’Antigone de Sophocle n’était pas bouddhiste mais, dans ses répliques nous trouvons des pensées similaires au bouddhisme japonais aujourd’hui ; particulièrement sa volonté d’aimer tous les êtres humains sans les diviser".Dans la dernière scène cette Antigone à la sauce nippone prend des libertés : tous les vivants franchissent le fleuve Achéron qui sépare notre monde de l’au-delà. Entre la vie et la mort l’harmonie l’emporte sur le chaos. Satoshi Miyagi sublime son Antigone "symbole de résistance"… et d’espérance. "Dans l’au-delà, on est tous égaux, appelés à devenir des bouddhas", affirme Satoshi Miyagi.
Cette Antigone a donc ouvert le 71e Festival d’Avignon qui met à l’honneur les femmes et leurs combats. Et l’histoire si connue de la fille d'Œdipe, roi de Thèbes, vue ainsi par d’autres yeux venus d’autres latitudes, prend pour nous une nouvelle force rendue encore plus puissante par la beauté plastique qui fait aussi de ce spectacle, un enchantement pour les yeux.
Qui est Satoshi Miyagi ?
Le metteur en scène japonais dirige la compagnie "Le Centre des arts de la scène de Shizuoka" (spac), ville située au pied du mont Fuji.
C’est avec sa troupe de comédiens-musiciens qu’il revient cette année et cette fois dans la cour d’Honneur.
Il est par ailleurs l’organisateur du festival international de théâtre de Shizuoka. Satoshi Miyagi a monté "Electre" de Sophocle en 2004 au théâtre antique de Delphes et "Médée" d’Euripide à Shizuoka en 2011.
Son Mahabharata en 2014 à Avignon a fait sensation.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.