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Avignon Off : "Bérénice" de Racine sublimée par le transgenre
Le metteur en scène Frédéric Fage tenait à ce projet depuis dix ans : incarner Bérénice, l’héroïne tragique de Racine, par un transgenre. Provocation ? Loin de là. Il a trouvé en Estelle Roederer la comédienne idéale. Le dilemme de Titus, entre épouser la reine de Palestine ou devenir empereur, au cœur de "Bérénice", recoupe celui de vivre un amour hors normes ou de se soumettre aux conventions.
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L’Antique
Titus doit devenir empereur de Rome à la mort de son père Vespasien, et s’apprête à épouser Bérénice, reine de Palestine. Son ami Antiochus aime cette dernière en secret et lui avoue son amour avant de lui apprendre que le Sénat s’oppose à son unio avec Titus. Celui-ci décide alors de se plier à cette décision, priant Bérénice de rester tout de même à son côté hors mariage, ce qu’elle lui refusera.Dès la découverte de la scène conçue par Frédéric Fage, le charme opère. Un espace aéré, encadré de longs tulles vaporeux ouverts sur un écran blanc, restitue l’Antique. Le théâtre classique prend ses assises dans l’épure. Hormis cette aire abstraite, aucun décorum. Les somptueux costumes sont le décor. Cette ascèse respecte Racine dans ses intentions de "faire quelque chose à partir de rien" tel qu’il l’annonce dans la préface de sa pièce.
Frédéric Fage respecte le tragédien en tout point. Il transmet les enjeux de l’intrigue dès l’introduction, dans les vers d’Antiochus que lance avec une distinction remarquable Pascal Persat. C’était l’intention de Racine de réduire au maximum l’expression pour en décupler l’impact. Un sens de l’œuvre éminemment valorisé par le metteur en scène. Sans que le travail ne se fasse sentir, les comédiens déclament avec merveille les alexandrins selon un rythme admirable, en évitant l'académisme ou le pompier.
Résignation
Tous les comédiens témoignent d’une égale rigueur légère, entraînant le texte dans une musicalité poétique où l’amour et le pouvoir s’entrechoquent dans une lutte tragique. Avec le verbe, le geste remplit cette "Bérénice" de grâce. Les comédiens semblent se mouvoir à dix centimètres du sol. Estelle Roederer, qui vient du cabaret et apparaît pour la première fois dans le répertoire classique, semble en son jardin. Sa gestuelle, ses pas, son port, joueent par exemple d’une écharpe légère qui glisse sur ses épaules, autour de la taille, jusqu’à la faire choir et traîner derrière elle, tel le voile délaissé d’une mariée contrariée. Les lumières d’Olivion Oudiou illuminent de chaleur la scène et de contrastes les acteurs, en continuité avec des personnages déchirés entre deux mondes.Il n’y a pas de mort dans "Bérénice", seulement de la résignation, comme une petite mort. Celle de Titus qui préfère le pouvoir à un amour interdit. Il renvoie, vue la nature transgenre d’Estelle Roederer, aux préjugés moraux et à la thématique dominante du festival d’Avignon 2018. Il ne faut voir aucune opportunité de la part de Frédéric Fage dans une telle adaptation, ce projet étant porté de longue date. Elle témoigne de la modernité de "Bérénice" et de Racine dans une évanescence poétique de tous les instants. Un des beaux moments du Off.
Bérénice
De Jean Racine
Mise en scène : Frédéric Fage
Avec : Estelle Roedrer, Amandine Rousseau, Pascal Parsat, Benjamin Lhommas, Hugo Miard
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