Avignon off : « Rester vivant » ou Baudelaire dans le noir, par Yves-Noël Genod
L’expérience commence toujours par une coupe de champagne offerte par l’hôte des lieux. Dandy grand et mince, un air d’Iggy Pop, mais en plus raffiné, une veste brillante sur les épaules et un haut de forme noir sur le chef à l’occasion, Yves Noël accueille comme il se doit et puis prévient : la promenade avec Baudelaire se fera dans le noir total, claustrophobes s’abstenir. Puis l’acteur récite, avec grâce et bienveillance, une heure durant, des poèmes qui disent les soleils marins, les montagnes et les étangs, mais aussi les soubresauts de l’âme, la mort… Les vers dits avec la voix caverneuse mais limpide de Yves-Noël Genod circulent littéralement dans l’espace, aidés par un silence que seul le bruissement des blousons en cuir ou quelques toussotements peuvent interrompre. L’obscurité pousse sans doute au recueillement et à l’intimité avec le texte. « C’est troublant » dit une femme, le spectacle terminé. Cette autre est touchée par la voix « hallucinante » du comédien. Ou ce spectateur qui a vécu cela comme dans « une bulle, dans l’agitation du Festival. Le noir est comme le non-spectacle. Les mots de Baudelaire, dits avec cette élégance sont un petit refuge étrange et agréable ». « Ce n’est pas reposant », conclut une dernière spectatrice : « Car c’est un texte qui nous interpelle, nous rappelle au souvenir et nous fait découvrir aussi. Sa portée sombre et lumineuse est décuplée dans le noir ».
Nous avons rencontré après le spectacle ce comédien qui, il est vrai, n’en est pas à ses premières armes. Formé auprès de Claude Régy, ou dans l’école d’Antoine Vitez, l’homme a longtemps travaillé en troupe, notamment avec Régy puis François Tanguy, avant de monter à partir de 2003, ses propres spectacles.
Comment choisissez-vous vos poèmes et leur ordre d’apparition ?
Ce sont des poèmes des « Fleurs du mal » que je choisis par coup de cœur et que je renouvelle régulièrement ; par exemple, je viens de rajouter « J’ai plus de souvenirs que si j’avais 1000 ans ». La construction de l’ensemble, elle, n’est pas importante. Houellebecq fait remarquer que la mesure de la poésie, ce n’est pas le livre, c’est le poème. Je partage cela, même si on est parfois contraint de construire des ensembles structurés, comme dut le fait Baudelaire.
Les poèmes ont un lien avec l’espace où vous les dites…
Bien sûr, le choix des poèmes est défini par ce lieu, à l’acoustique exceptionnelle. Je peux jouer à 360° et quand je me retourne vers le mur, j’ai un effet de micro ! J’ai été donc sensible aux poèmes qui résonnent ici, comme dans un tombeau. Quand je parle d’un « caveau d’insondable tristesse » (Yves-Noël à ce moment déclame les mots en s’appuyant sur les syllabes, ndr), ça tombe sous le sens. De même, quand Baudelaire dit qu’il « cherche le vide et le noir et le nu », c’est magnifique dans ce lieu. Ou un dernier : « Comme je t’aimerais oh nuit sans ces étoiles dont la lumière parle un langage connu ». Cet espace offre une grâce, une atmosphère vraiment sombre.
L’enfermement dans ce lieu sans lumière vous a incité aussi à choisir des poèmes qui au contraire chantent l’immensité, la liberté, « L’Albatros » et d’autres poèmes marins…
Oui, j’adore quand Baudelaire dit par exemple que son esprit se meut avec agilité « comme un bon nageur qui sillonne gaiement l’immensité profonde ».
Pourquoi jouer dans le noir ? Avez-vous été marqué par les expériences sur l’obscurité de Claude Régy, ce metteur en scène avec lequel vous avez eu un long parcours ?
Oui j’ai été marqué par Claude Régy mais aussi par François Tanguy qui travaille également avec le noir total. Et je me souviens qu’à l’époque, dans les festivals, on était souvent accueilli dans des hangars avec des verrières où on passait dix jours à fabriquer du noir total ! On a perdu cette habitude-là, mais la boîte noire est la définition même du théâtre. André Malraux disait à Pierre Soulages que le noir le plus profond qu’il connaissait était le noir velours de théâtre. Le noir est reconnu comme une matière du théâtre.
Comment vous-mêmes vivez-vous l’expérience ?
C’est plus difficile que de réciter dans la lumière, parce qu’en général je m’appuie beaucoup sur la vision du public. Surtout dans ce lieu, où j’ai déjà joué l’année dernière « Le parc intérieur ». C’est vrai que j’aime beaucoup le premier poème que je dis encore dans la lumière, et les derniers que je récite en éclairant peu à peu l’espace.
Vous regrettez donc la lumière ?
(Rires). Oui et non, disons que le regard des spectateurs me manque…
"Rester vivant". Variations d’après "Les Fleurs du mal" de Baudelaire, par Yves-Noël Genod.
Au Théâtre de la Condition des soies, Avignon OFF, jusqu’au 27 juillet à 19h.
Entrée gratuite, sortie payante.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.