Denis Lavant impressionne dans "La Dernière bande", un Beckett radical à l'Athénée
Créé au festival d’Avignon en juillet dernier, "La Dernière bande" est repris au Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet à Paris jusqu’au 30 novembre avec un Denis Lavant époustouflant.
En attendant Godot ou Fin de partie de Samuel Beckett font encore les belles heures du Théâtre. C’est une de ses œuvres moins connues, La Dernière bande, qui se joue au Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet à Paris jusqu’au 30 novembre. Un seul en scène où Denis Lavant impressionne, au carrefour du clownesque et de la pantomime, avec cette expressivité dont il est seul détenteur.
Fondu au noir
D’abord le vide, un espace noir durant de longues secondes. Finalement, un plafonnier s’allume au-dessus d’un homme amorphe assis devant un magnétophone à bande sur son bureau. Pas un geste, pas un mot durant de longues minutes. Tellement longues que cela en devient drôle. Enfin, il extrait de sa poche un trousseau de clés - très importantes, les clés -, se lève, fait le tour du meuble, farfouille dans un tiroir pour en extraire une banane. Il se plante face au public, et la dépiaute méticuleusement avant de la prendre en bouche, sans la mordre. Puis il la dévore, non sans avoir préalablement jeté la peau sur laquelle il glissera plus tard…
Cette immobilité, ces gestes minutés, cette pantomime délectable, introduisent un festival tragi-comique. Un homme écoute une bande magnétique extraite de son journal intime, où il a enregistré le souvenir d’un amour passé. La bande 5 de la boîte 3, on ne peut pas l’oublier. C’est tout Beckett d’inscrire dans des choses triviales des strates essentielles de nos vies. La bande 5 de la boîte 3, l’échelle de Fin de Partie, le banc près de l’arbre d’En attendant Godot. Beckett tire le suc de l’existence de son insignifiance. Ce qui va à merveille à Denis Lavant, avec sa tronche de traviole et sa silhouette cabossée, derrière son bureau suranné.
Dans la barque amouraché
Lavant dit peu de choses en direct, il fait tourner la bande magnétique 5 de la boîte 3 qui résonne de sa voix d’il y a 30 ans. Quand il a aimé. "Foutaise", dit-il. Puis en s’écoutant, il se ravise. Il en serait ému, lui, le petit escogriffe abîmé de la vie, réfractaire, naturellement misanthrope, alcoolique esseulé. Il se revoit à cette seule évocation verbale, dans cette barque avec elle, allongé, sa main sous un corsage, effleurant la naissance d’un sein…
Souvenir insupportable d’un bonheur fugitif, aussitôt refoulé. Quel imbécile il a été cet après-midi d’été mémorisé sur la bande, La Dernière bande. Elle lui traverse le cœur, car elle signifie qu'il est passé à côté de l'amour. Le temps fait son travail. Il n'engendre pas le regret, mais une révélation. Celle d'un autre possible. Une note d'espoir, rare chez Beckett.
Comme toujours chez l'auteur, aucun pathos ne vient charger un propos subtil, où l’humour est comme un vecteur de sens. Denis Lavant est ce passeur d’histoire. Son art se diffuse jusqu'au pigeonnier, par son seul regard, ses seuls traits, puis ses déplacements syncopés, au rythme de ses pas quand il part en fond de cour et que leur cliquetis résonnent. Fascinant. Très belle pièce, très beau texte, très belle performance et mise en scène épurée de Jacques Osinski. Tout ce que le minimalisme peut exprimer de sentiments. Émouvant et puissant : tout Beckett.
La Dernière bande
De Samuel Beckett
Mise en scène : Jacques Osinski
Interprète : Denis Lavant
Jusqu'au 30 novembre 2019
Théâtre de l'Athénée Louis-Jouvet
7 Rue Boudreau, 75009 Paris
Réservations : 01 53 05 19 19
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.