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Interview : Didier Bezace démarre sa nouvelle vie avec un hommage à Duras
Didier Bezace a dirigé pendant seize ans le théâtre de la Commune à Aubervilliers, une scène nationale, où il a pu librement mettre en oeuvre un théâtre engagé. "Marguerite, les trois âges", qu'il met en scène à l'Atelier, amorce un nouveau chapitre dans sa carrière. Pourquoi Duras? Comment a-t-il travaillé sur ce projet? Comment vit-il sa nouvelle vie théâtrale "sans maison"? Entretien.
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Temps de lecture : 14min
Comment est né ce projet "Marguerite, les trois âges"?
C'est l'histoire d'une rencontre artistique. D'un côté le désir de la directrice du théâtre de l'Atelier, Laura Pels, de monter Savannah avec Emmanuelle Riva et Anne Consigny, de l'autre le travail que j'avais déjà fait sur des pièces de Duras, et notamment "Le Square". Je leur ai donc proposé ce parcours, parce que ça me paraissait intéressant de mettre en relation ces écritures et ces personnages de Duras, qui sont très différents à travers les trois pièces. Et le théâtre de l'Atelier s'est jeté dans cette aventure avec énormément d'appétit artistique.
Pourquoi ces trois pièces?
J'ai choisi de travailler autour des trois âges. "Le square" est un texte de 1955, un texte de jeunesse de Marguerite Duras. La pièce a été écrite pour une très jeune fille. Il m'a semblé intéressant et plus touchant encore que ce soit une femme pas si jeune que ça, et quand même toujours dans l'attente de démarrer cette existence qu'elle n'arrive pas à mettre en œuvre. Par ailleurs, pour les conversations avec François Mitterrand, j'ai fait le choix de faire jouer le rôle de Marguerite Duras par une toute jeune actrice, elle a 11 ans (elle est exceptionnelle d'ailleurs), parce qu'il me semblait qu'à travers ces conversations, il y avait une forme de candeur et de provocation qui était d'un ordre enfantin. Il y a toujours eu chez Duras un rapport à un âge très avancé, une espèce de sagesse comme ça, un peu millénaire, et en même temps quelque chose d'une enfance. Et d'ailleurs on retrouve ça dans "Savannah Bay". Il y a une part d'enfance chez cette très vieille dame. Donc ça me paraissait intéressant de mettre en rapport les trois âges, c'est ce qui m'a fait choisir ces trois pièces. C'est une sorte de reconstitution de ce qu'était Duras?
J'aurais pu intituler ça les mondes ou les cycles de Marguerite, ça aurait été possible aussi. Parce que ce qui m'intéressait, c'est que Duras se mêlait de tout. Tout l'intéressait. La politique l'intéressait. Les gens l'intéressaient, la société l'intéressait. On lui a même reproché, d'ailleurs, par moments. Donc il me semblait que quitte à faire faire un voyage au spectateur, c'était bien de l'entraîner dans ces différents mondes, dans ces différentes curiosités qu'elle avait, à la fois des gens et puis de certains mystères opaques qu'il y a en nous, qu'elle traite un peu dans Savannah. Et quand on fait le parcours complet le dimanche, l'intégrale, les gens font ce voyage de manière extrêmement agréable et en même temps ce n'est pas lourd.
Ces trois pièces sont aussi trois dialogues
Oui. Ce qui lie ces trois projets aussi, c'est l'idée de la conversation. La conversation, chez Duras, c'est quelque chose de vital. Evidemment dans "Le square", on le sent très fortement puisque ces deux personnes ne vivent un moment dans le présent que parce qu'ils se parlent. Autrement ils sont reclus dans un silence qui les tue en quelque sorte. Mais je dirais que dans "Savannah Bay", c'est un autre type de conversation : cette jeune femme amène les mots pour pousser sa compagne plus âgée vers la clarté et l'aveu et du souvenir. Dans les conversations avec le président, c'est pareil. Le président parle avec un humanisme politique très élégant, très fort mais il emploie une langue politique. Elle, elle emploie une langue morale, elle ne parle que de morale, donc il y a un dérapage dans la conversation. C'est ce qui fait son charme et son humour. Elle déstabilise celui qui construit un discours raisonnable, humaniste.
"Le Square" aussi est un texte presque politique
Dans "Le square", tout ce qui est mis dans la bouche de cette jeune femme appartient vraiment fortement à la personnalité de Duras, sur la révolte, sur le sentiment d'injustice, sur la façon de chercher sa place dans le monde. C'est vraiment tout à fait proche de la Duras qu'elle était à cette époque-là. C'est un texte à la fois existentiel et politique, comme elle l'était à ce moment-là. Elle l'a écrit en 1955, peu de temps avant elle était encore au parti communiste, elle faisait partie de cette bande d'intellectuels extrêmement actifs, autour de Mascolo, (son mari, le père de son fils Jean). Donc c'est un texte de révolté d'une certaine façon. Je ne sais pas si on peut dire que c'est un texte politique au sens politicien du terme, certainement pas, mais c'est un texte, oui de révolté, qui a une radicalité à la fois dans l'espoir et dans la violence, qui est très propre à la jeune Marguerite Duras. Le parti pris théâtral qu'elle prend est très fort, elle le dit d'ailleurs, "j'ai écrit cette pièce en écoutant les gens se taire dans le square", et évidemment elle ne les fait pas parler comme si elle faisait un documentaire sur la condition des domestiques et des voyageurs de commerce, elle les fait parler comme elle, elle converse avec elle-même, d'une certaine façon. Et "Savannah Bay" ?
C'est une autre période d'écriture, où Duras laisse les mots faire des ondes et aller dans plusieurs directions. Et elle nous laisse nous débrouiller avec ça. Elle est beaucoup plus dramaturgique dans "Le Square", où elle pose des choses qui sont plus claires théâtralement. Mais là, elle est à une période de l'écriture où elle laisse les choses se promener dans nos têtes, dans nos cœurs et créer des résonnances. Il y a beaucoup d'entrées dans ce texte. Nous, ce qu'on a assez vite perçu c'était principalement articulé autour de cette chose que Duras affirme très clairement, c'est que la vie c'est le théâtre et que le théâtre c'est la vie. Elle a quelques propos à l'intérieur de la pièce extrêmement clairs là-dessus, extrêmement forts. "La salle a payé, on lui doit le spectacle", C'est bien ça qui est le cœur de la représentation, c'est-à-dire qu'en essayant de faire resurgir les éléments d'un fait divers qui est presque un fait de légende, puisque ça tourne autour de l'amour fou : ces deux jeunes qui se retrouvent sur une pierre blanche au milieu de la mer et qui décident de se suicider parce qu'il n'y a rien qui peut venir interférer dans leur amour, c'est de l'ordre de la légende. Mais cette légende-là, elle est portée par une femme qui en a vécu le traumatisme, et c'est ce traumatisme-là qu'elle joue et en faisant ça elle fait du théâtre. Et ça c'est vraiment très très radical chez Duras.
Comment avez-vous travaillé sur ce texte?
Duras a écrit deux versions de ce texte. J'ai travaillé sur les deux versions, parce que je voulais réintroduire des éléments de la première version, qui apportent une forme d'humour de Duras, de légèreté qui me paraissait plutôt être un gain pour la pièce. Ces éléments autour de la robe, autour de ces tissus (le petit froncé), dont on se sert à la fois pour se parer et pour parler aussi, et qui amènent une forme d'humour. Et puis j'ai déplacé les deux dernières répliques de la pièce pour en faire un épilogue, parce qu'il me semblait que c'était intéressant de revenir en boucle et qu'enfin cette jeune femme offre presque le fantôme de sa mère, pour que se fasse comme ça une reconnaissance mutuelle. J'ai pris cette liberté avec le texte.
Et le travail avec Emmanuelle Riva?
Je n'ai pas choisi les deux comédiennes. Mais si j'avais eu l'idée de monter Savannah Bay, j'aurais sans doute pensé à Emmanuelle Riva et à Anne Consigny. Je n'ai donc pas eu de mal à accueillir cette distribution que j'aurais pu faire moi-même. Et elles m'ont fait confiance dans la manière dont j'ai essayé de mettre en œuvre "Savannah Bay", qui est une pièce qui appartient à la période durassienne un peu mythique. Lors de sa création, c'était une sorte de messe autour de Madeleine Renaud. Moi, je voulais que ce soit quelque chose d'à la fois plus simple, plus mystérieux peut-être. Elles m'ont tout à fait suivi là-dedans. Emmanuelle est une comédienne qui aime comprendre les choses, qui aime énormément essayer, même des tentatives diverses, elle s'approche du travail comme ça, par couche, en ne rechignant pas du tout à aller dans tel ou dans tel sens, et Anne non plus. On a fait ce travail, je ne dirais pas sereinement -parce qu'on ne l'est jamais quand on se lance dans un chantier pareil- mais on l'a fait en étant prospectifs dans notre manière d'apprivoiser ce texte un peu étrange, un peu volatile. J'ai toujours dit aux comédiennes, ce qui constituera l'enjeu principal de la pièce, c'est les relations qui se créeront entre vous, par le récit que vous faites, et c'est finalement la conquête de cette femme absente dans sa mémoire délabrée, par cette jeune femme qui veut l'aimer, qui veut en être aimée, qui est aussi un des sujets de la pièce. Ce projet est le premier depuis que vous avez quitté le théâtre de la Commune à Aubervilliers, que vous avez dirigé pendant 16 ans. Comment s'opère cette transition?
Je pourrais dire que c'est plutôt la transition qui m'opère ! Je n'ai pas eu le temps de m'inquiéter. J'ai commencé à travailler sur ce projet tout en faisant la transition à Aubervilliers. Et je voulais quitter la Commune en saluant le public avec un spectacle où je jouais moi-même. Et en même temps je répétais déjà ces trois pièces. Donc, comme on dit des moribonds je ne me suis pas vu partir (rires). C'était un enjeu lourd, mais une manière comme une autre de plonger dans autre chose, et qui en même temps n'est pas vraiment autre chose. Moi j'ai l'impression de continuer mon travail, tel que je l'ai fait jusqu'à présent.
Comment envisagez-vous l'avenir?
Quand on sort d'une direction comme ça d'une scène nationale, il y a un protocole. J'ai signé ce qu'on appelle une convention de compagnie, avec le ministère, dans laquelle la compagnie que je viens de créer, "L'entêtement amoureux", sera subventionnée. Ce qui doit en principe me permettre d'amorcer des projets de production jusqu'à 2016. Donc l'enjeu est là, et je réfléchi à ce que je vais mettre en œuvre en 2015. Il y aura sans doute déjà une tournée de "La dernière neige" que j'avais monté en partant de la Commune, justement.
Ca vous fait peur?
Non, pas peur. Mais je sais que c'est une manière différente de travailler. J'ai toujours conçu mon travail avec une maison. Je pense que le théâtre, c'est à la fois un art très éphémère, très voyageur, en même temps c'est un art très sédentaire. Ca se fabrique dans une maison avec des équipes autour et j'ai toujours beaucoup aimé ça. J'aime travailler avec les techniciens, avec les équipes. Là, évidemment, étant en compagnie, je suis davantage seul. Entouré d'un noyau de gens fidèles, qui vont continuer à travailler avec moi, mais nous sommes seuls et sans lieu. Voilà…Mais, on peut élire des lieux, c'est tout à fait possible et moi je dois dire que je me sens très bien là, au théâtre de l'Atelier. C'est un lieu avec une équipe artistique formidable, qui a envie de projets ambitieux… Je ne dis pas par là que je continuerai à y travailler, je n'en sais rien. Mais je me suis rendu compte qu'à partir du moment où on mettait le projet en œuvre là, je m'y sentais très bien et je pouvais travailler avec les gens comme j'ai travaillé ailleurs.Mais c'est vrai que la réalité d'une compagnie, c'est qu'elle est comme un oiseau sur sa branche. Donc, il faut trouver les bonnes branches pour se poser !
Marguerite, les trois âges, mise en scène Didier Bezace
Théâtre de l'Atelier jusqu'au 9 mars
C'est l'histoire d'une rencontre artistique. D'un côté le désir de la directrice du théâtre de l'Atelier, Laura Pels, de monter Savannah avec Emmanuelle Riva et Anne Consigny, de l'autre le travail que j'avais déjà fait sur des pièces de Duras, et notamment "Le Square". Je leur ai donc proposé ce parcours, parce que ça me paraissait intéressant de mettre en relation ces écritures et ces personnages de Duras, qui sont très différents à travers les trois pièces. Et le théâtre de l'Atelier s'est jeté dans cette aventure avec énormément d'appétit artistique.
Pourquoi ces trois pièces?
J'ai choisi de travailler autour des trois âges. "Le square" est un texte de 1955, un texte de jeunesse de Marguerite Duras. La pièce a été écrite pour une très jeune fille. Il m'a semblé intéressant et plus touchant encore que ce soit une femme pas si jeune que ça, et quand même toujours dans l'attente de démarrer cette existence qu'elle n'arrive pas à mettre en œuvre. Par ailleurs, pour les conversations avec François Mitterrand, j'ai fait le choix de faire jouer le rôle de Marguerite Duras par une toute jeune actrice, elle a 11 ans (elle est exceptionnelle d'ailleurs), parce qu'il me semblait qu'à travers ces conversations, il y avait une forme de candeur et de provocation qui était d'un ordre enfantin. Il y a toujours eu chez Duras un rapport à un âge très avancé, une espèce de sagesse comme ça, un peu millénaire, et en même temps quelque chose d'une enfance. Et d'ailleurs on retrouve ça dans "Savannah Bay". Il y a une part d'enfance chez cette très vieille dame. Donc ça me paraissait intéressant de mettre en rapport les trois âges, c'est ce qui m'a fait choisir ces trois pièces. C'est une sorte de reconstitution de ce qu'était Duras?
J'aurais pu intituler ça les mondes ou les cycles de Marguerite, ça aurait été possible aussi. Parce que ce qui m'intéressait, c'est que Duras se mêlait de tout. Tout l'intéressait. La politique l'intéressait. Les gens l'intéressaient, la société l'intéressait. On lui a même reproché, d'ailleurs, par moments. Donc il me semblait que quitte à faire faire un voyage au spectateur, c'était bien de l'entraîner dans ces différents mondes, dans ces différentes curiosités qu'elle avait, à la fois des gens et puis de certains mystères opaques qu'il y a en nous, qu'elle traite un peu dans Savannah. Et quand on fait le parcours complet le dimanche, l'intégrale, les gens font ce voyage de manière extrêmement agréable et en même temps ce n'est pas lourd.
Ces trois pièces sont aussi trois dialogues
Oui. Ce qui lie ces trois projets aussi, c'est l'idée de la conversation. La conversation, chez Duras, c'est quelque chose de vital. Evidemment dans "Le square", on le sent très fortement puisque ces deux personnes ne vivent un moment dans le présent que parce qu'ils se parlent. Autrement ils sont reclus dans un silence qui les tue en quelque sorte. Mais je dirais que dans "Savannah Bay", c'est un autre type de conversation : cette jeune femme amène les mots pour pousser sa compagne plus âgée vers la clarté et l'aveu et du souvenir. Dans les conversations avec le président, c'est pareil. Le président parle avec un humanisme politique très élégant, très fort mais il emploie une langue politique. Elle, elle emploie une langue morale, elle ne parle que de morale, donc il y a un dérapage dans la conversation. C'est ce qui fait son charme et son humour. Elle déstabilise celui qui construit un discours raisonnable, humaniste.
"Le Square" aussi est un texte presque politique
Dans "Le square", tout ce qui est mis dans la bouche de cette jeune femme appartient vraiment fortement à la personnalité de Duras, sur la révolte, sur le sentiment d'injustice, sur la façon de chercher sa place dans le monde. C'est vraiment tout à fait proche de la Duras qu'elle était à cette époque-là. C'est un texte à la fois existentiel et politique, comme elle l'était à ce moment-là. Elle l'a écrit en 1955, peu de temps avant elle était encore au parti communiste, elle faisait partie de cette bande d'intellectuels extrêmement actifs, autour de Mascolo, (son mari, le père de son fils Jean). Donc c'est un texte de révolté d'une certaine façon. Je ne sais pas si on peut dire que c'est un texte politique au sens politicien du terme, certainement pas, mais c'est un texte, oui de révolté, qui a une radicalité à la fois dans l'espoir et dans la violence, qui est très propre à la jeune Marguerite Duras. Le parti pris théâtral qu'elle prend est très fort, elle le dit d'ailleurs, "j'ai écrit cette pièce en écoutant les gens se taire dans le square", et évidemment elle ne les fait pas parler comme si elle faisait un documentaire sur la condition des domestiques et des voyageurs de commerce, elle les fait parler comme elle, elle converse avec elle-même, d'une certaine façon. Et "Savannah Bay" ?
C'est une autre période d'écriture, où Duras laisse les mots faire des ondes et aller dans plusieurs directions. Et elle nous laisse nous débrouiller avec ça. Elle est beaucoup plus dramaturgique dans "Le Square", où elle pose des choses qui sont plus claires théâtralement. Mais là, elle est à une période de l'écriture où elle laisse les choses se promener dans nos têtes, dans nos cœurs et créer des résonnances. Il y a beaucoup d'entrées dans ce texte. Nous, ce qu'on a assez vite perçu c'était principalement articulé autour de cette chose que Duras affirme très clairement, c'est que la vie c'est le théâtre et que le théâtre c'est la vie. Elle a quelques propos à l'intérieur de la pièce extrêmement clairs là-dessus, extrêmement forts. "La salle a payé, on lui doit le spectacle", C'est bien ça qui est le cœur de la représentation, c'est-à-dire qu'en essayant de faire resurgir les éléments d'un fait divers qui est presque un fait de légende, puisque ça tourne autour de l'amour fou : ces deux jeunes qui se retrouvent sur une pierre blanche au milieu de la mer et qui décident de se suicider parce qu'il n'y a rien qui peut venir interférer dans leur amour, c'est de l'ordre de la légende. Mais cette légende-là, elle est portée par une femme qui en a vécu le traumatisme, et c'est ce traumatisme-là qu'elle joue et en faisant ça elle fait du théâtre. Et ça c'est vraiment très très radical chez Duras.
Comment avez-vous travaillé sur ce texte?
Duras a écrit deux versions de ce texte. J'ai travaillé sur les deux versions, parce que je voulais réintroduire des éléments de la première version, qui apportent une forme d'humour de Duras, de légèreté qui me paraissait plutôt être un gain pour la pièce. Ces éléments autour de la robe, autour de ces tissus (le petit froncé), dont on se sert à la fois pour se parer et pour parler aussi, et qui amènent une forme d'humour. Et puis j'ai déplacé les deux dernières répliques de la pièce pour en faire un épilogue, parce qu'il me semblait que c'était intéressant de revenir en boucle et qu'enfin cette jeune femme offre presque le fantôme de sa mère, pour que se fasse comme ça une reconnaissance mutuelle. J'ai pris cette liberté avec le texte.
Et le travail avec Emmanuelle Riva?
Je n'ai pas choisi les deux comédiennes. Mais si j'avais eu l'idée de monter Savannah Bay, j'aurais sans doute pensé à Emmanuelle Riva et à Anne Consigny. Je n'ai donc pas eu de mal à accueillir cette distribution que j'aurais pu faire moi-même. Et elles m'ont fait confiance dans la manière dont j'ai essayé de mettre en œuvre "Savannah Bay", qui est une pièce qui appartient à la période durassienne un peu mythique. Lors de sa création, c'était une sorte de messe autour de Madeleine Renaud. Moi, je voulais que ce soit quelque chose d'à la fois plus simple, plus mystérieux peut-être. Elles m'ont tout à fait suivi là-dedans. Emmanuelle est une comédienne qui aime comprendre les choses, qui aime énormément essayer, même des tentatives diverses, elle s'approche du travail comme ça, par couche, en ne rechignant pas du tout à aller dans tel ou dans tel sens, et Anne non plus. On a fait ce travail, je ne dirais pas sereinement -parce qu'on ne l'est jamais quand on se lance dans un chantier pareil- mais on l'a fait en étant prospectifs dans notre manière d'apprivoiser ce texte un peu étrange, un peu volatile. J'ai toujours dit aux comédiennes, ce qui constituera l'enjeu principal de la pièce, c'est les relations qui se créeront entre vous, par le récit que vous faites, et c'est finalement la conquête de cette femme absente dans sa mémoire délabrée, par cette jeune femme qui veut l'aimer, qui veut en être aimée, qui est aussi un des sujets de la pièce. Ce projet est le premier depuis que vous avez quitté le théâtre de la Commune à Aubervilliers, que vous avez dirigé pendant 16 ans. Comment s'opère cette transition?
Je pourrais dire que c'est plutôt la transition qui m'opère ! Je n'ai pas eu le temps de m'inquiéter. J'ai commencé à travailler sur ce projet tout en faisant la transition à Aubervilliers. Et je voulais quitter la Commune en saluant le public avec un spectacle où je jouais moi-même. Et en même temps je répétais déjà ces trois pièces. Donc, comme on dit des moribonds je ne me suis pas vu partir (rires). C'était un enjeu lourd, mais une manière comme une autre de plonger dans autre chose, et qui en même temps n'est pas vraiment autre chose. Moi j'ai l'impression de continuer mon travail, tel que je l'ai fait jusqu'à présent.
Comment envisagez-vous l'avenir?
Quand on sort d'une direction comme ça d'une scène nationale, il y a un protocole. J'ai signé ce qu'on appelle une convention de compagnie, avec le ministère, dans laquelle la compagnie que je viens de créer, "L'entêtement amoureux", sera subventionnée. Ce qui doit en principe me permettre d'amorcer des projets de production jusqu'à 2016. Donc l'enjeu est là, et je réfléchi à ce que je vais mettre en œuvre en 2015. Il y aura sans doute déjà une tournée de "La dernière neige" que j'avais monté en partant de la Commune, justement.
Ca vous fait peur?
Non, pas peur. Mais je sais que c'est une manière différente de travailler. J'ai toujours conçu mon travail avec une maison. Je pense que le théâtre, c'est à la fois un art très éphémère, très voyageur, en même temps c'est un art très sédentaire. Ca se fabrique dans une maison avec des équipes autour et j'ai toujours beaucoup aimé ça. J'aime travailler avec les techniciens, avec les équipes. Là, évidemment, étant en compagnie, je suis davantage seul. Entouré d'un noyau de gens fidèles, qui vont continuer à travailler avec moi, mais nous sommes seuls et sans lieu. Voilà…Mais, on peut élire des lieux, c'est tout à fait possible et moi je dois dire que je me sens très bien là, au théâtre de l'Atelier. C'est un lieu avec une équipe artistique formidable, qui a envie de projets ambitieux… Je ne dis pas par là que je continuerai à y travailler, je n'en sais rien. Mais je me suis rendu compte qu'à partir du moment où on mettait le projet en œuvre là, je m'y sentais très bien et je pouvais travailler avec les gens comme j'ai travaillé ailleurs.Mais c'est vrai que la réalité d'une compagnie, c'est qu'elle est comme un oiseau sur sa branche. Donc, il faut trouver les bonnes branches pour se poser !
Marguerite, les trois âges, mise en scène Didier Bezace
Théâtre de l'Atelier jusqu'au 9 mars
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