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Jacques Attali et Christophe Barbier s’égarent dans les "Présents parallèles"

L’affiche était cependant intrigante : un titre de science-fiction promettant des développements inédits sur les ruptures spatio-temporelles, un esprit brillant de ce temps à la plume (Jacques Attali), un passionné de théâtre à la mise en scène (Christophe Barbier), et des acteurs de belle réputation.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
 Jean Alibert, Xavier Gallais, Marianne Basler
 (Pascal Gély)

Et cela commence de jolie manière, avec une publicité automobile qui sent le monde futur tel qu’on l’imaginait dans les séries B des années 60. Nous sommes pourtant bien en 2016 même si un détail, d’emblée, nous frappe : sur l’Arc de Triomphe deux bannières nazies. Le nom de la voiture apparait : "Luftwagen", la voiture volante, la petite sœur moderne de la voiture du peuple ("Volkswagen"). C’est donc une uchronie.

Définition du Larousse : "Uchronie, reconstruction fictive de l’histoire, relatant les faits tels qu’ils auraient pu se produire" En faisant preuve d’une grande imagination narrative pour inventer ce qui se serait passé si Napoléon avait gagné à Waterloo, si Vercingétorix avait écrabouillé César (peut-être aidé par Astérix et Obélix), etc…

Si les nazis avaient gagné la guerre

Et évidemment si les nazis et leurs alliés avaient gagné la guerre: c’est l’uchronie la plus fascinante pour un auteur de fiction comme dans "Le maître du Haut-Château" où, en 1962, Philip K. Dick imagine que les Japonais occupent la Californie et les successeurs d’Hitler New-York et la côte Est, sans parler du sort de l’Europe, laissé dans une ombre noire.

Jacques Attali part du même postulat pour nous décrire ces "Présents parallèles", celui, comprend-on assez vite, d’un 2016 uchronique (tout de même 76 ans de nazisme "paisible", est-ce totalement vraisemblable?), celui de 2016 comme… nous le vivons. Avec l’esprit brillant d’Attali, cela nous promet de beaux paradoxes et quelques développements stimulants. Sauf qu’il ne s’agit pas de cela et que l’uchronie se révèle un vague prétexte.

En scène un couple lit un texte de théâtre sans intention et sans mise en scène (ce qu’on appelle une "italienne"). C’est un théâtre style "Dernier métro" 2016 puisque la France est occupée, un peu lugubre et assez pauvret. On comprend que la femme est la propriétaire des lieux : elle y accumule les "bides" (lui rappelle l’homme) mais voilà, elle a découvert un texte formidable où il est question (uchronie dans l’uchronie!) de la victoire de de Gaulle et des alliés, du triomphe des démocraties, de femmes auteurs et de mariages entre hommes. Avec un personnage pour elle, l’actrice qu’elle est, qui est amoureuse d’un des homos.

L’homme (le mari, qui a les pieds sur terre, qui sait qu’il n’y a que le boulevard qui marche et que le peuple, dans un monde sinistre, n’a qu’une envie, rire, et surtout pas entendre manier de grandes idées, surtout aussi subversives) n’espère qu’une chose, c’est que le visiteur mystérieux qu’ils attendent tienne sa promesse de financer au moins 50 représentations pour satisfaire au caprice de l’épouse. Il y a des développements amusants (surtout pour happy fews) sur Céline et Rebatet désormais étudiés au bac et Drieu la Rochelle secrétaire perpétuel de l’Académie. On ne saura pourtant rien de l’état de la France, de sa situation économique, politique et morale car on en reste à une grande scène de ménage d’ailleurs assez bien troussée, sur fond d’échanges, là aussi pas trop "prise de tête", sur les idéaux créateurs et les nécessités mercantiles, mais qu’on a déjà entendus souvent.

Arrive le financier, lunettes noires et grand manteau couleur poussin, très "le méchant Olrik" dans les aventures de Blake et Mortimer. Xavier Gallais compose une silhouette amusante et assez improbable d’autant qu’une fois admis le principe qu’il va y perdre sa fortune (et peu importe que la pièce ne puisse jamais passer la censure puisqu’on imagine mal les nazis validant, par exemple, le Mariage pour tous), une seule chose l’intéresse : devenir l’amant et enlever la femme au mari, tel Zorro surgissant de la nuit et non du placard. On se demande encore si tout cela est du lard ou du cochon quand brusquement…
                            
Brusquement on revient en arrière. On n’est plus dans l’uchronie (croit-on) mais dans la réalité de 1943  Comme on est très gentil, on ne va pas vous dévoiler la suite de l’histoire. Sachez seulement que c’est le même cas de figure qui est posé, les Alliés vont gagner la guerre, sauf que là on s’ennuie vraiment parce qu’on sait que c’est vrai et qu’Attali, en outre, toujours concentré sur son trio, fait de Gallais une figure christique de résistant comme on en a vu dans les pires films d’après-guerre. Et puis encore un coup de théâtre… qui n’en est pas un ; et puis une fin… qui n’en est pas une et qu’on a vue cent fois, après quelques rebondissements en forme de poupées-gigognes où les présents parallèles s’égarent en passés perpendiculaires de sorte qu’on ne comprend plus grand-chose. Mais comme ce que l’on parvient à comprendre n’est pas très passionnant…

Et l’on est finalement un peu triste, car l’idée n’avait rien d’absurde. Mais voilà : au lieu de jouer au dramaturge, qu’il n’est pas, en voulant vaguement subvertir les codes amoureux, pourquoi Attali ne nous a-t-il pas entretenu du pouvoir, sujet où on l’attend? Christophe Barbier, le patron de "L’Express", l’homme à l’écharpe rouge qui, en-dehors de la politique, a, on le sait, le théâtre pour passion, signe la mise en scène : il est plus inspiré par quelques idées de décor que par la direction d’acteurs ; le manque visible de moyens ne l’aide pas non plus. Mais cela n’excuse ni l’absence de rythme ni certains déplacements hasardeux des comédiens.
Xavier Gallais et Marianne Basler
 (Pascal Gély)

Et justement les comédiens sont un peu en roue libre, surtout Marianne Basler qui, malgré quelques jolis moments, peine à donner cohérence à son personnage multiple de femme lancée dans des amours impossibles et qu’elle essaie de sauver en criant parfois sans raison. Gallais s’amuse à nous dessiner des caricatures mais lui aussi tombe dans des tics d’emphase et de pathos qu’on a commencé à remarquer chez lui ces dernières années : cet habitué des grands textes doit trouver celui-ci un peu petit pour sa personne. Le meilleur est finalement le moins connu, Jean Alibert, bien en mari cynique comme en homo façon Marais (le quartier, et Jean un peu aussi !), même si sa tirade sur la tyrannie contemporaine du vide et de l’argent comparée à la tyrannie des barbares a du mal à passer (mais ça, c’est la faute d’Attali qui, pour le reste, est assez nuancé dans ce genre de comparaison).

En sortant on a entendu un spectateur dire à sa compagne : "Après la Résistance, la libération". On a ri. Ce n’est pas très gentil mais c’est un peu le résumé d’une soirée qu’on aurait espérée en forme de bonne surprise. Et qui s’est révélée, hélas! en forme d’occasion ratée.

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