Cet article date de plus de neuf ans.
Jean-Pierre Vincent nous rend amoureux de sa "Dame aux jambes d’azur"
Un Labiche inconnu –il y en a encore. Une pièce oubliée, mettant en scène les vrais acteurs de la création portant leurs vrais noms : c’est, bien avant la mode, du « théâtre dans le théâtre » ou plutôt de la « loufoquerie dans la loufoquerie ». Par bonheur Jean-Pierre Vincent est aux commandes.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Jean-Pierre Vincent fait ressortir le jus comique
Et Vincent respecte Labiche, son écriture. On le dit d’autant qu’on a été élevé dans cet auteur, par la grâce d’une bibliothèque familiale où maints volumes d’époque tombaient en lambeaux d’avoir été lus, réunissant grandes comédies et pochades, chacune avec leur subtil parfum critique, leur cocasserie inattendue. On a été élevé dans Labiche, assez pour savoir qu’il est différent de Feydeau.
Feydeau emporte ses personnages dans une mécanique où leur mauvaise conscience les entraîne à la catastrophe. Feydeau est un tourbillon. Le seul tourbillon de Labiche est d’ailleurs une merveille, le « Chapeau de paille d’Italie ». Labiche est plus statique. Il décrit le bourgeois satisfait de sa médiocrité et tout à coup confronté à une situation qu’il comprend mal, qui écrabouille sa logique. Le langage de Labiche dérape alors; au milieu d’un discours paisible fuse une absurdité qui provoque l’hilarité. Peu de metteurs en scène écoutent Labiche, qu’ils prennent pour un Feydeau plus ancien. Ils font de ses personnages des créatures bizarres ou inquiétantes. On ne compte plus les ratages « labichiens », de Peter Stein ou Klaus Michael Grüber à Jérôme Deschamps.
Jean-Pierre Vincent écoute le texte. Cette « dame aux jambes d’azur » est la fille du doge de Venise qui a fui son affreux mari, le duc d’Este, et s’est réfugiée dans la forêt vénitienne, à la recherche d’un magicien qui connait la vertu des « simples décolorants » : « Mais il n’y a pas de forêt à Venise – Venise est construite sur pilotis, un pilotis, c’est du bois, le bois, on le trouve dans les forêts, donc il y a des forêts à Venise ». Logique imparable d’Arnal, mauvais acteur qui s’est réveillé auteur, écrivant « en 12 jours 149 pages et sans rature » et « de ce jour-là j’ai cessé de me considérer comme un imbécile ». C’est la dernière répétition, le malheureux Arnal touche au but après que le directeur du théâtre « a mis cinq ans à lire mes pages pour finir par me crier « c’est une ordure ». Ultime répétition. Mais les acteurs, habituels partenaires d’Arnal, ont d’autres obsessions, le duc d’Este son chien, le doge son logement des Batignolles dont il sera expulsé le soir même; la fille du doge, elle, ne veut pas jouer avant d’avoir fini sa saucisse. Epatante Julie Sicard qui n’a rien d’une aristo, tricote en scène et refuse de montrer ses « jambes d’azur » (un accident, l’héroïne a trempé ses mignons mollets dans une teinture indélébile !).
L’idée formidable de Labiche (et de Marc Michel, son collaborateur), c’est de nous intégrer, nous, spectateurs, à l’histoire. Par le biais de Ravel (excellent Pierre-Louis Calixte, dans l’équilibre délicat du bon sens populaire et de la bêtise hébétée), acteur lui-même qui jouait ailleurs ce soir-là, venu voir les potes et qui tombe en plein travail, sans toujours le comprendre et avec un enthousiasme souvent hors de propos tant la confusion est grande entre la médiocrité de l’oeuvre et les péripéties du réel. Pas toujours dupe non plus des suffisantes insuffisances de l’auteur : « Les lacunes de Venise… -Tu veux dire les lagunes – Non. Ce sont des canaux pleins d’eau, la terre manque, ce sont les lacunes de Venise » Enoncé avec un sérieux de pape. "Déjà ?"
Et c’est avec sérieux que Jean-Pierre Vincent monte cette pièce si peu sérieuse. Attentif au rythme, implacablement exigeant sur la manière de frapper les phrases, d’en faire ressortir le jus comique (dans un coin de la salle, à cette 3e représentation, pour resserrer encore, au point qu’on se dit au bout de ces 55 minutes : « Déjà ? » Et l’on en a connu, des 55 minutes qui duraient trois heures…) Labiche respecté et le résultat, la salle rit beaucoup. Troupe parfaite, menée par le parfait Gilles David. Citons les autres : Gérard Giroudon, Jérôme Pouly, Benjamin Lavernhe, Noam Morgensztern, les délicieux musiciens Pascal Sangla et Philippe Briegh et la grande Claude Mathieu dans un rôle d’une minute et demie !
Un apéritif qui coule en bouche –avant une « Phèdre », un « Hamlet »? Peut-être une soirée entre amis où l’on arrivera en avouant, le sourire aux lèvres : « J’ai vu une pièce, c’était charmant »
« La dame aux jambes d’azur » au Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Jusqu’au 8 mars
Dans la galerie du Carrousel du Louvre
De Labiche, mise en scène de Jean-Pierre Vincent
Réservation : 0825 10 16 80
Et Vincent respecte Labiche, son écriture. On le dit d’autant qu’on a été élevé dans cet auteur, par la grâce d’une bibliothèque familiale où maints volumes d’époque tombaient en lambeaux d’avoir été lus, réunissant grandes comédies et pochades, chacune avec leur subtil parfum critique, leur cocasserie inattendue. On a été élevé dans Labiche, assez pour savoir qu’il est différent de Feydeau.
Feydeau emporte ses personnages dans une mécanique où leur mauvaise conscience les entraîne à la catastrophe. Feydeau est un tourbillon. Le seul tourbillon de Labiche est d’ailleurs une merveille, le « Chapeau de paille d’Italie ». Labiche est plus statique. Il décrit le bourgeois satisfait de sa médiocrité et tout à coup confronté à une situation qu’il comprend mal, qui écrabouille sa logique. Le langage de Labiche dérape alors; au milieu d’un discours paisible fuse une absurdité qui provoque l’hilarité. Peu de metteurs en scène écoutent Labiche, qu’ils prennent pour un Feydeau plus ancien. Ils font de ses personnages des créatures bizarres ou inquiétantes. On ne compte plus les ratages « labichiens », de Peter Stein ou Klaus Michael Grüber à Jérôme Deschamps.
Jean-Pierre Vincent écoute le texte. Cette « dame aux jambes d’azur » est la fille du doge de Venise qui a fui son affreux mari, le duc d’Este, et s’est réfugiée dans la forêt vénitienne, à la recherche d’un magicien qui connait la vertu des « simples décolorants » : « Mais il n’y a pas de forêt à Venise – Venise est construite sur pilotis, un pilotis, c’est du bois, le bois, on le trouve dans les forêts, donc il y a des forêts à Venise ». Logique imparable d’Arnal, mauvais acteur qui s’est réveillé auteur, écrivant « en 12 jours 149 pages et sans rature » et « de ce jour-là j’ai cessé de me considérer comme un imbécile ». C’est la dernière répétition, le malheureux Arnal touche au but après que le directeur du théâtre « a mis cinq ans à lire mes pages pour finir par me crier « c’est une ordure ». Ultime répétition. Mais les acteurs, habituels partenaires d’Arnal, ont d’autres obsessions, le duc d’Este son chien, le doge son logement des Batignolles dont il sera expulsé le soir même; la fille du doge, elle, ne veut pas jouer avant d’avoir fini sa saucisse. Epatante Julie Sicard qui n’a rien d’une aristo, tricote en scène et refuse de montrer ses « jambes d’azur » (un accident, l’héroïne a trempé ses mignons mollets dans une teinture indélébile !).
L’idée formidable de Labiche (et de Marc Michel, son collaborateur), c’est de nous intégrer, nous, spectateurs, à l’histoire. Par le biais de Ravel (excellent Pierre-Louis Calixte, dans l’équilibre délicat du bon sens populaire et de la bêtise hébétée), acteur lui-même qui jouait ailleurs ce soir-là, venu voir les potes et qui tombe en plein travail, sans toujours le comprendre et avec un enthousiasme souvent hors de propos tant la confusion est grande entre la médiocrité de l’oeuvre et les péripéties du réel. Pas toujours dupe non plus des suffisantes insuffisances de l’auteur : « Les lacunes de Venise… -Tu veux dire les lagunes – Non. Ce sont des canaux pleins d’eau, la terre manque, ce sont les lacunes de Venise » Enoncé avec un sérieux de pape. "Déjà ?"
Et c’est avec sérieux que Jean-Pierre Vincent monte cette pièce si peu sérieuse. Attentif au rythme, implacablement exigeant sur la manière de frapper les phrases, d’en faire ressortir le jus comique (dans un coin de la salle, à cette 3e représentation, pour resserrer encore, au point qu’on se dit au bout de ces 55 minutes : « Déjà ? » Et l’on en a connu, des 55 minutes qui duraient trois heures…) Labiche respecté et le résultat, la salle rit beaucoup. Troupe parfaite, menée par le parfait Gilles David. Citons les autres : Gérard Giroudon, Jérôme Pouly, Benjamin Lavernhe, Noam Morgensztern, les délicieux musiciens Pascal Sangla et Philippe Briegh et la grande Claude Mathieu dans un rôle d’une minute et demie !
Un apéritif qui coule en bouche –avant une « Phèdre », un « Hamlet »? Peut-être une soirée entre amis où l’on arrivera en avouant, le sourire aux lèvres : « J’ai vu une pièce, c’était charmant »
« La dame aux jambes d’azur » au Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Jusqu’au 8 mars
Dans la galerie du Carrousel du Louvre
De Labiche, mise en scène de Jean-Pierre Vincent
Réservation : 0825 10 16 80
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.