"L’Araignée" : une joute historique et contemporaine entre Charles Quint et Martin Luther, au Studio Hébertot à Paris
Lors d’un voyage à Worms, en Allemagne, Rémi Delieutraz a découvert que Charles Quint y avait convoqué Martin Luther dans le cadre de la Diète des princes-électeurs convoquée par le nouvel empereur, à la suite de son élection à la tête du Saint-Empire en octobre 1520. Cette rencontre entre le nouvel élu de 23 ans et le prêtre vétéran réformateur de l’Eglise est à ses yeux une clé pour comprendre l’histoire occidentale. Humant le potentiel dramatique de la situation, mais faute de traces de leurs échanges, Rémi Delieutraz s’est passionné à les inventer dans une pièce puissante, passionnante et contemporaine.
Duel au sommet
Le jeune empereur du Saint Empire fraîchement élu, Charles V, attend Martin Luther qu’il a convoqué. Ce dernier arrive en retard, alors que Charles lui affirme qu’il est l'instigateur de cette audience et que le prêtre, confus, s’en défend. C’est que l’affaire est délicate, car si Charles est prêt à souscrire aux idées réformistes, il voit en Luther l’agent d’une scission au sein de l’Empire qu’il a pour devoir de garder unie. S’ensuit une joute sans merci entre le jeune conservateur d’un empire ancestral et le réformateur d’une Eglise corrompue.
Fruit de cinq années de recherches, L’Araignée aboutit à une synthèse remarquable des enjeux historiques de l’époque, qui résonnent encore aujourd’hui. La mise en scène de Julien Breda se détache du décorum du XVIe siècle, dont il ne reste qu’une aiguière. Il installe un cadre moderne minimaliste relevé de beaux effets, dans les éclairages brumeux d’Amélie Mao, sur une musique atmosphérique de Soliman Doré. Jean-Nicolas Gaitte campe un Charles Quint encore juvénile, apprenti manipulateur mais inflexible, et Maxime Gleizes est un Martin Luther au faîte de ses moyens et à la force de conviction ogresque.
Ventre à terre
Le mystère de ce dialogue imaginaire est dramatisé par le subterfuge maladroit du prince, initiateur de cette rencontre qu’il accuse le prêtre augustin d’avoir demandée. Un mensonge qui le fragilise face au théologien aguerri, qui ne jure que par la quête de vérité. Le différend digéré, les arguments fusent des deux côtés dans une véhémence exponentielle, où les deux partis en viendront aux mains, dans une lutte physique jusqu’à ce qu'ils se retrouvent ventre à terre. Ce choix de mise en scène de Julien Breda, passablement trivial au vu du prince et de l’ecclésiastique, transcrit la violence du débat que la réforme engendra dans toute l’Europe, quand la guerre des mots allait bientôt devenir guerre de religion, une sauvagerie.
Le texte puissant de Rémi Delieutraz sert Maxime Gleizes dans une prestation impressionnante. Sa voix tonitruante au phrasé rythmé n’a pas l’excès des hurlées souvent de mise. Jean-Nicolas Gaitte a le mauvais rôle, non dans son interprétation mais dans son personnage, plus frêle, moins convaincant et par moments indécis, alors que Luther est un roc. L’étoffe que donne Jean-Nicolas Gaitte de Charles est fragile, tout en restant autoritaire, à la hauteur de son rang. Sa peur verse dans la colère puis la violence, mais c’est Luther qui portera le premier coup. Le sort en est alors jeté. Le prêtre sera banni et excommunié : la guerre peut commencer.
L'Araignée
De Rémi Delieutraz
Mise en scène : Julien Breda
Avec Maxime Gleizes et Jean-Nicolas Gaitte
Lundi, mardi 19h et dimanche 17h (relâche 28 février)
Studio Hébertot
78 bis Bd des Batignolles, 75017 Paris
Tél : 01 42 93 13 04
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