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"La Dame de la mer" à la Comédie-Française : dépérir d'amour, la grande illusion

"La Dame de la mer", mise en scène par Géraldine Martineau, se penche sur des rêves inaboutis, le libre choix et le patriarcat. Une pièce intelligente, intense.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4min
"La dame de mer" au théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, le 18 janvier 2023. (VINCENT PONTET)

On est saisi dès l’ouverture par une force invisible qui plane au long des presque deux heures que dure La Dame de la mer du Norvégien Henrik Ibsen. Dans un décor gris, humide, souvent déserté par le soleil, se retrouvent plusieurs vies emprisonnées dans un passé douloureux et un présent vacillant. S’y déroulent aussi plusieurs drames silencieux.

Un fantôme nommé l’Étranger

Nous sommes dans une maison située au bord d’un fjord, en Norvège, à la fin du XIXe siècle. La maîtresse de maison Ellida, interprétée par Géraldine Martineau, se réfugie dans les bains de mer, d’où son surnom, la dame de la mer, pour fuir son quotidien. Son mari, médecin et père de deux filles d'un premier mariage, Hilde et Bolette, est plus âgé qu’elle. Il est le symbole même de la bonté, de l’empathie et de l’abnégation. Pourtant, Ellida n’arrive pas à l’aimer. On comprend assez vite qu’elle est sous l’emprise d’un marin américain reparti depuis longtemps au large, un fantôme nommé l’Étranger. Alors, Ellida erre comme une âme en peine dans une vie qu’elle refuse de vivre. Deux personnages, Lyngstrand, ancien ami et amoureux éconduit d’Ellida, et Arnholm, le sculpteur qui n’a jamais rien sculpté, bouleversent la monotonie de la famille Wangel.

La Dame de la mer n’est pas un vaudeville comme peut le supposer le résumé, loin de là, et Ellida n’est pas Emma Bovary . "La Dame de la mer est une pièce très complète, avec une vaste palette de registres, et une part de surnaturel et d’effroi qui la teinte de mystère. L’histoire des Wangel et de leurs proches nous parvient à un moment de crise, à travers des préoccupations silencieuses, pétries de mensonges et de dénis", note, très justement, Géraldine Martineau, metteuse en scène et premier rôle. Henrik Ibsen aborde de nombreux thèmes, certains très en avance sur son époque : déterminisme social, comment s’élever dans la société sans se renier, liberté, place des femmes, patriarcat…

Écho

Écrite en 1888, La dame de la mer est d’une grande modernité et fait écho à l’actualité. " De telles pièces nous parlent d’aujourd’hui sans être dans un rapport frontal à l’actualité ; leur imaginaire élargit la pensée, avec ici une réflexion particulièrement intéressante sur la question du féminin, et du féminisme. Offrir le rôle-titre à une femme, Ellida, n’était pas rien il y a cent trente ans !", analyse Géraldine Martineau. Et qui pour aider les femmes sans rien attendre en retour, le professeur vieux garçon, l’artiste imbu de sa personne, le mystérieux marin ou le mari bourgeois ? 

 

"La dame de mer" au théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, le 18 janvier 2023. (VINCENT PONTET)

Côté interprétation, Benjamin Lavernhe est très émouvant en amoureux transi à la recherche désespérément d'une épouse et qui, à défaut de séduire Ellida, se rabat sur la fille aînée du docteur. Jusqu’à la gestuelle, la façon de se mouvoir, Adrien Simion est convaincant en artiste souffreteux. Et que dire de celle qui porte littéralement la pièce, Géraldine Martineau, dans le rôle d’Ellida ? Fragile au début, elle finit par acquérir une impressionnante force intérieure. Rongée par le doute, l’hésitation, elle fera preuve de détermination. Parce que pour avoir le libre choix, il faut être libre. La Dame de la mer, une pièce dense.

La Dame de la mer, de Henrik Ibsen, mise en scène Géraldine Martineau, avec la troupe de la Comédie-Française : Alain Lenglet, Laurent Stocker, Benjamin Lavernhe, Clément Bresson, Géraldine Martineau, Adrien Simion, Elisa Erka, Léa Lopez. 

À la Comédie-Française, Vieux- Colombier, depuis le 25 janvier jusqu'au 12 mars 2023

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