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La master class de l'irrésistible Michel Fau : on y était !

Pour sa première série de master class (gratuites), la jeune école de théâtre "Le Foyer" a déjà frappé fort. Ce mardi 2 novembre c'est Michel Fau qui officiait. Au théâtre Trévise à Paris, bondé dès 10 heures du matin, on se serait cru à la représentation de l'un de ses spectacles.
Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
  (Dana Negulescu)

Michel Fau n'a pas d'œillères. Des rôles "monstres" écrits pour lui par Olivier Py au "Misanthrope" qu'il joue et met en scène, du cinéma (génial dans "Marguerite") à ces grandes pièces de boulevard qu'il ressuscite avec amour ("Un amour qui ne finit pas" la saison dernière et "Fleur de cactus" qui triomphe actuellement et qu'il joue avec Catherine Frot), tous les théâtres le passionnent. Alors bien sûr quand il consacre trois heures de son temps à des apprentis comédiens, il est accueilli comme il se doit.

"Michel Fau c'est l'art de la démesure dans la rigueur, celui qui brouille les pistes, réunit les contraires, désarçonne... l'amour du théâtre poussé jusqu'à l'ivresse des sens", résume Jean-Laurent Silvi, comédien et co-directeur de l'école, dans une petite introduction élogieuse et bien sentie. Salve d'applaudissements pour le "sale gosse du théâtre français" qui pendant une heure va se prêter aux questions du professeur.


- Une vie de comédien  

"J'étais un cancre, je n'avais même pas de cartable, je jouais avec des marionnettes et je lisais tout ce qui passait", avoue le comédien avec son humour délicieux. Il évoquera rapidement ses maîtres : Michel Bouquet, Gérard Desarthe, Pierre Vial, dont il se rappellera les précieux conseils bien des années plus tard. "Au conservatoire, j'ai été assez malheureux, j'étais naïf. Ce que j'aimais n'était pas du tout à la mode dans les années 80. Ca a été une épreuve. Je mélangeais le grotesque et la tragédie. La renaissance a eu lieu il y a 15 ans."

"Ce qui est intéressant c'est la neige et le feu"

Car aujourd'hui Fau reconnait faire le théâtre dont il rêvait quand il étais petit : "Je pense que j'ai du génie et aucun talent !", plaisante-t-il. Et de donner quelques clés sur sa façon d'appréhender son art : "L'artiste ne doit pas faire en fonction des codes de la société… Je travaille énormément, je suis très besogneux, je dévore les bouquins. Je pars du texte et de sa musicalité, du style de l'auteur… J'ai souvent peur de ne pas y arriver".
  (Dana Negulescu)

"Ce qui est intéressant c'est la neige et le feu, le contraste pour représenter l'être humain qui est rarement en demi-teintes". "Le réalisme ne me gêne pas, c'est le naturalisme qui m'ennuie". "La technique ne suffit pas, il faut de la folie. La virtuosité je trouve ça formidable !"

Lui qui s'est illustré dans des mises en scène d'opéra très remarquées (Dardanus, Ciboulette…) estime que c'est bien plus facile qu'au théâtre : "A l'opéra, le rythme est écrit sur la partition, la moitié du travail est fait. Ça va beaucoup plus vite".

Et sa gourmandise l'incite à monter sur les planches le plus souvent possible : "Le metteur en scène est en dehors et regarde des gens qui s'éclatent, c'est pour ça que je suis aussi sur scène". Quitte à payer de sa personne : "Quand tu joues Alceste pendant trois mois, tu y laisses des plumes. Tu te fais de la bile pour de vrai. Je me suis fait retirer la vésicule biliaire quelques mois plus tard !"

Un conseil ?

Et s'il devait donner un conseil à ces apprentis comédiens, lui demande son interlocuteur ? "Faire avec sa névrose, avec qui on est. Il faut avoir un peu souffert aussi, et renaitre de sa souffrance. Et puis là-dessus, il faut travailler".


- La leçon de théâtre

Les deux heures suivantes, quatre scènes vont être jouées par des élèves sous l'œil bienveillant et diablement éclairant du maître Michel Fau.

Aux deux élèves qui jouent "La dispute", Fau rappelle que "Marivaux a été très influencé par la commedia dell'arte. Il faut aller plus loin dans le côté animal. Ces deux jeunes gens sont des sourds, ils ne connaissent pas ceux qui les ont élevés. Ils doivent manifester plus de surprise et de terreur en se découvrant". A l'adresse du garçon : "Quand tu entres tu es un peu trop gracieux, comme Béjart !". Et de conseiller de regarder "Laurence Olivier dans Othello sur internet. Le seul intérêt d'internet, qui est souvent une poubelle, c'est de voir des choses merveilleuses."
 

Un autre couple monte sur scène pour jouer Tartuffe : la scène où la jeune Marianne annonce à Valère que son père veut lui faire épouser Tartuffe. Valère lui reproche de ne pas avoir l'air plus émue que ça. "Vous jouez bien ce n'est pas le problème. Ce qui est intéressant c'est d'aller plus loin", observe Fau. "On est dans un théâtre où la réalité est sublime, c'est pour ça que c'est en alexandrins… On respire quand on a besoin de respirer, pas à la fin de la phrase. L'alexandrin n'est pas une contrainte mais le fil de la pensée. Au XVIIe siècle ils ne réfléchissent pas avant de parler. Ils réfléchissent en parlant. Il faut parler un peu moins vite."

Et d'ajouter : "Vous jouez comme si c'était une scène quotidienne. Il faut que ce soit une scène exceptionnelle. Plus tragique, plus drôle. Tragique, ça veut dire que l'on ne maitrise plus ce qui vous arrive. Il faut le jouer comme une catastrophe. On reprend."

On voit à la scène rejouée combien les remarques de Fau ont visé juste, donnant cette fois une toute autre couleur à ce qui se trame entre les deux personnages. "Tu ne dois pas toujours le regarder, tu n'oses pas soutenir son regard", conseille-t-il à la jeune comédienne, quant à toi, dit-il au jeune homme, "il faut jouer que tu as peur de la réponse et non que tu attends la réponse."

"Quand vous saurez jouer la tragédie et le vaudeville, ça vous servira pour tout ce que vous jouerez après", conclut Fau débonnaire avant d'enchainer sur la scène entre Agrippine et son fils Néron dans Britannicus.
  (Dana Negulescu)

"Encore une fois on a affaire à deux monstres : Néron et Agrippine, la sœur de Caligula. C'est la décadence la plus totale. Elle a tout fait pour mettre ce fils au pouvoir. C'est un amour terrifiant, mais un amour", précise Fau.

"Agrippine voit sa vie défiler devant elle, elle joue le passif. Elle a consacré sa vie à son fils, il la trahit. Elle entrevoit sa mort. Tu dois avoir l'impression de te perdre dans le labyrinthe de cette vie, comme si tu parlais en état de somnambulisme."

Au garçon qui incarne Néron, les directives de Fau vont radicalement modifier la présence : "Tu n'en peux plus elle t'as bousillé la vie. Quand tu exploses, ne te lève pas à ce moment-là, pour que l'on ait l'effet de surprise… Quand tu l'écoutes il faut qu'on sente que tu veux la tuer ou la prendre dans tes bras". On voit alors dans ce rôle muet d'un garçon qui écoute sa mère combien il est important d'être constamment à l'écoute quand on semble ne rien avoir à faire. Pour Fau un rôle silencieux est d'abord un rôle.

"Ca ne se joue pas comme un épisode de Julie Lescaut ironise Fau. Regardez Les Damnés de Visconti. On reprend". C'est un extrait d'une pièce que Michel Fau connait bien qui clôt la séance : "Un amour qui ne finit pas" d'André Roussin, qu'il a monté l'année dernière et qu'il jouait avec Léa Drucker.

"C'est un prologue mais il faut attaquer assez haut", indique Fau aux deux élèves quinquagénaire qui viennent de jouer la scène. "Il y a une situation extrême dès le début. Un inconnu veut dire à cette femme croisée en cure des choses qu'elle n'a jamais entendues. Elle est inquiète et séduite à la fois."
  (Dana Negulescu)

"La proposition de l'homme d'un amour parfait et platonique est assez égoïste, il la prend pour une poupée, mais c'est aussi une expérience qu'il n'avait jamais faite. Roussin n'est pas loin de Claudel. C'est du fantasme pur, mais aussi une forme d'amour."

Trois heures se sont écoulées, on n'a pas vu le temps passer. L'assemblée se disperse, sourire aux lèvres avec en tête ces derniers mots de Michel Fau : "Je ne pense jamais un rôle de façon globale mais réplique après réplique."

Dehors je croise Patricia qui a joué "Un amour qui ne finit pas". Enseignante, elle a ressenti le besoin de prendre des cours après 10 ans de pratique amateur. Elle est encore sous le coup de ce qu'elle vient de vivre : "Son regard est tellement enrichissant. Quand on est soi-même sur scène on n'a pas le temps de digérer ce qu'il nous dit. On ne peut pas intellectualiser, il faut plonger. C'est en regardant les autres, que l'on mesure tout ce qu'il apporte au personnage."


"L'école de théâtre le Foyer" a ouvert en janvier 2015.
Elle est dirigée par Jean-Laurent Silvi, Arnaud Denis et Axel Blind
Cours tous les matins au Théâtre Trévise, Paris Xe

Prochaine master class (gratuite) : Jean-Luc Moreau
Vendredi 27 novembre 2015 de 10h à 13h
Réservation obligatoire : contact@courslefoyer.com



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