La metteuse en scène Phia Ménard revient avec "Art. 13", un spectacle monumental, mais peu lisible à la MC93

La pièce questionne l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme sur la liberté de circuler, avec une mise en scène grandiose, sans dialogues et jouant sur les symboles.
Article rédigé par Yemcel Sadou
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
L'interprète de "Art. 13", la création de Phia Ménard et la compagnie Non Nova à la MC93. (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)

"Alan Kurdi 2012-2015". C’est ce qu’indique le panneau devant le rideau de scène. Alan Kurdi, c’est ce petit garçon réfugié de la guerre civile syrienne, retrouvé noyé le 2 septembre 2015 à l'âge de trois ans. Les photos de son corps sans vie gisant sur une plage de Turquie, avaient choqué le monde entier, relançant la question de l'accueil des migrants. L’immigration, c'est le point de départ de la nouvelle création de Phia Ménard intitulée Art. 13.

Le titre fait référence à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. "Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays". Est-ce vraiment le cas ? Phia Ménard en doute et décide de rebattre les cartes avec son spectacle chorégraphique.

Face à l’injustice, que faisons-nous ?

Dans un jardin à la française parfaitement taillé, on entend le bruit assourdissant des tronçonneuses et des tondeuses à gazon. Si fort, que le public se bouche les oreilles. Dans ce monde si parfait qu’il ressemble à un jeu vidéo, une statue d’homme trône sur son immense piédestal. Un homme éloigné du sol, "symbole de la Culture", indique Phia Ménard dans sa note d’intention.

Sur le gazon jonché d’allées de graviers, une créature non identifiable, mi-enfant, mi-larve, se déplace comme un ver de terre sur le sol. Il s’approche de la statue, récupère la hache qu’elle tenait et tape dessus pour la démolir. Tout est suggéré, sans être clairement dit par l’interprète Marion Blondeau. Elle incarne symboliquement les exclus de la société, ceux qui cherchent une terre d’accueil et que l’on considère comme des monstres à expulser.

Le spectacle pose une question illisible sans renseignements préalables sur les intentions de Phia Ménard. Face à l’injustice que faisons-nous ? La pièce questionne la manière dont nous nous approprions les espaces. Sommes-nous libres de pénétrer des endroits dans lesquels nous ne sommes pas invités ? Sommes-nous libres de saccager le beau jardin parfaitement ordonné ? Phia Ménard a un message politique, impossible à comprendre sans lire la feuille de salle. "Il faut le dire, l’Europe de Schengen est un château protégé de murs et de douves et nous préférons ne pas entendre les cris de celles et ceux qui se noient", explique Phia Ménard. Ce château, elle le fait voler en éclat.

Stop à l'inaction

À travers ce jardin saccagé par la créature sur scène, l’ordre et les convenances sont symboliquement piétinés. Marion Blondeau, l’interprète seule sur la scène, se déplace comme un enfant, danse, se roule au sol, donne des coups de pied dans les allées de graviers et en crée de nouvelles avec des morceaux de statue. Art. 13 est une réaction à l’inaction. "Détruire ou Déconstruire, tel pourrait-être le sous-titre", complète Phia Ménard. La pièce fait état d’une lutte pour la réappropriation de l’espace. Dans ce jardin aux allées délimitées, il n’y a plus de place pour la nature sauvage, les mauvaises herbes et les mauvaises graines.

Phia Ménard refuse cette nature façonnée, où l’on élimine ce qu’on considère comme des nuisibles ou des envahisseurs. Elle s’amuse du contraste entre les discours et les actes. Les croyances et les valeurs comme celles de la Déclaration universelle des droits de l’homme sont partagées par tous, mais rarement mises en application. Face à cette dichotomie, Phia Ménard apporte une réponse claire : agir. Dans son dispositif scénique aux jeux de lumières sublimes par leur précision, la metteuse en scène met en valeur les êtres qui demeurent en action et ne se laissent pas abattre. Lorsque la statue est remplacée par une autre bien plus monumentale, la créature ne se laisse pas écraser. Elle continue de déconstruire, pierre par pierre, ce symbole massif du pouvoir. Avec Art. 13, Phia Ménard se réapproprie les frontières de la liberté, et invite à se mobiliser plutôt qu’à se larmoyer.

"Art. 13", mis en scène par Phia Ménard et la compagnie Non Nova, à la MC93 de Bobigny jusqu'au 28 janvier et en tournée en France jusqu'en avril.

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