La pièce "Je ne suis pas arabe" d'Élie Boissière : une autofiction sur l'identité pour briser les tabous

Ce premier spectacle d'Élie Boissière nous plonge dans une Algérie coloniale fantasmée, où enquête familiale et histoire mêlent réalité et fiction dans un seul en scène captivant et troublant.
Article rédigé par Paul Dubois
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
"Je ne suis pas arabe" d'Élie Boissière, du 19 novembre au 21 décembre 2024, au théâtre La Reine blanche, à Paris. (JULIEN GIAMI)

D'où venons-nous ? C'est la question existentielle qu'Élie Boissière se pose dans Je ne suis pas arabe, un spectacle qu'il a coécrit avec Ben Popincourt. Cette œuvre, qui explore les méandres de l'héritage familial et de la quête identitaire, s'inspire d'une phrase de sa grand-mère Mahdjouba, née à Oran en 1942. Un titre qui résume parfaitement cette autofiction et enquête familiale, où réalité et rêverie, souvenirs enfouis et tabous s'entrelacent pour offrir une immersion dans l'Algérie coloniale au sein d'un oud, symbole du monde arabe. À découvrir du 19 novembre au 21 décembre 2024 au théâtre La Reine blanche, à Paris.

Issu de grands-parents catholiques et musulmans, et de parents convertis au judaïsme, son héritage culturel est un véritable patchwork. Cette richesse diversifiée nourrit sa créativité, mais du côté maternel, règne un silence total. "Je me suis posé beaucoup de questions sur mon identité", avoue l'humoriste. "Cette omerta a attisé ma curiosité, comme un archéologue, je fouille et je questionne." C'est ainsi que l'on découvre la quête identitaire d'Élie, plongée dans des mystères familiaux, qui forme le noyau de son spectacle.

"Je ne suis pas arabe" d'Élie Boissière, du 19 novembre au 21 décembre 2024, au théâtre La Reine blanche, à Paris. (JULIEN GIAMI)

Tout commence avec Mahdjouba, sa grand-mère maternelle, devenue Magda Akrour. Fasciné par cette femme complexe, Élie Boissière a enregistré des heures de conversations avec elle. "Le monologue de la poule, par exemple, ce sont des phrases qu'elle a réellement prononcées." Ces échanges entre réalité et fiction alimentent son œuvre.

En confrontant souvenirs et créations, Élie Boissière interroge les récits familiaux et les blessures transmises de génération en génération, montrant la richesse des transmissions orales et le poids du non-dit. Des paroles de sa grand-mère, résonnant comme des maximes : "L'Algérie était française à l'époque" et qu'il serait préférable de "laisser les morts en paix". Autant de déclarations qui ont incité ce jeune comédien à chercher l'origine de ce malaise. "On répétait 'on n'est pas arabe', mais quand tu dis que tu n'es pas quelque chose, c'est souvent que tu l'es."

Guérison transgénérationnelle

La pièce explore la "guérison transgénérationnelle" à travers les récits familiaux, notamment l'histoire de l'arrière-grand-mère Fatma et son admiration pour Messali Hadj, pionnier du mouvement indépendantiste algérien : "Tout n'est pas fidèle à la réalité, des libertés sont prises, c'est du théâtre. Mais l'essentiel réside dans les sujets qu'elle aborde sur nos ancêtres et les questions qu'elle soulève."

L'onirisme, incarné par un simple drap blanc et des jeux de lumière symbolisant les changements de temps et de personnages, plonge le spectateur dans un univers où le temps et la réalité se dissolvent, l'emportant dans une expérience immersive. C'est la force du théâtre, soutenue par l'humour, qui joue un rôle clé dans ce processus. Cette porosité entre réalité et fiction est également au cœur de l'œuvre d'Élie Boissière, qui souligne l'impact de ce flou sur son écriture : "J'ai appris après la première que mon arrière-grand-mère parlait vraiment de Messali Hadj, ce que j'avais totalement inventé. C'est troublant."

Ahmed Amine Ben Feguira et son oud accompagnent Élie Boissière durant tout le spectacle. (JULIEN GIAMI)

L'atmosphère unique du spectacle est renforcée par des intermèdes musicaux, notamment grâce à Ahmed Amine Ben Feguira, qui joue de l'oud et insuffle une dimension envoûtante à l'ensemble. Ce choix contribue à l'originalité du spectacle, où des scènes imprévisibles s'enchaînent, comme une discussion d'Élie avec une tête de chèvre rasta sur un marché d'Oran, ou l'apparition d'un abbé machiavélique. Le comédien incarne treize personnages différents dans un monde oriental fantasque où Alice devient Élie. Selon l'artiste, "il est essentiel de dégonfler le ballon de baudruche, de rire ensemble pour relâcher la pression", car, comme il le précise, "on a besoin de souffler, le thème est grave".

En ce qui concerne les questions restées sans réponse, il déclare : "Mon processus est terminé. J'ai interrogé et transcendé la réalité. L'enquête n'est pas finie, mais je ne vais pas faire quarante spectacles là-dessus." Il ajoute que le véritable dénouement viendra avec la venue de sa grand-mère Mahdjouba : "Après de longues discussions, il est prévu qu'elle vienne. Ça va être beaucoup d'émotions."

"Je ne suis pas arabe" d'Élie Boissière, coécrit avec Ben Popincourt, au théâtre La Reine blanche, à Paris, du 19 novembre au 21 décembre 2024. (DR)

"Je ne suis pas arabe" d'Élie Boissière, coécrit avec Ben Popincourt. Du 19 novembre au 21 décembre 2024 au théâtre La Reine blanche, à Paris.

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