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Le festival de Grignan nous convie dans les coulisses de la création
Avant le téléphone, la lettre était le seul moyen de communication entre les hommes. Si elles furent sentimentales pour dire l’amour ou commerciales pour les affaires, elles ont aussi contribué à la création artistique. Les artistes rongés par le doute quant à leur art ont toujours eu besoin de se confronter à d’autres pour progresser, ils l’ont fait par le biais de lettres souvent très belles.
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Petites confessions mentales
Avec Didier Brice, Vladimir Hugot, et Alexandre RubyRien n’arrête les festivaliers. Ils ont beau transpirer à grosses gouttes, agiter frénétiquement leur éventail, leur appétit de lecture-spectacle demeure intact. Ils sont capables de faire la queue sous le soleil ardent de midi, ou de se presser pour obtenir la meilleure place dans les gradins, à l’heure où il serait nettement plus judicieux de faire la sieste.
Difficile, il est vrai, de résister à un programme aussi alléchant et varié. Un vrai festin de mots, d’idées, de genres.
Tant d’amitiés se sont nouées, dans tous les domaines, donnant lieu à une abondante correspondance. Tenez, par exemple, vous êtes-vous jamais interessés à la correspondance entre le poète Antonin Artaud et le directeur de la Nouvelle Revue Française, Jacques Rivière ? Non. Et bien si vous aviez écouté comme moi leur dialogue épistolaire, vous auriez sans doute, comme moi, applaudi à tout rompre.
Nous sommes en 1923. Antonin Artaud, jeune et fringant poète cherche à faire publier ses écrits. Mais il est tourmenté, en proie à des difficultés existentielles qui lui causent une grande souffrance. Jacques Rivière le repousse gentiment tout d’abord. Mais Antonin s’accroche. Il a besoin de réponses à ses questions. S’en suit un fructueux échange entre les deux hommes, où, sans l’avoir prémédité, ils vont analyser, décortiquer par le menu tout le processus de la création artistique.
Etonnante rencontre que ces deux esprits, l’un ravagé par la maladie (Antonin Artaud a fait de nombreux séjours en hôpital psychiatrique), l’autre, certain qu’il a en face de lui un destin singulier, et cherchant à en faire jaillir la source créatrice.
Sur scène l’acteur Vladimir Hugot s’est parfaitement approprié le personnage d’Artaud. Et Alexandre Ruby nous campe un Jacques Rivière touchant et convaincant.
L’image est belle : deux hommes habillés dans une baignoire, Jacques Rivière rejoignant Artaud dans sa folie. Non parce qu’il la partage, mais parce qu’il l’a comprise. "Qui ne connait pas la dépression, qui ne sent jamais l’âme entamée par le corps, envahie par sa faiblesse, est incapable d’apercevoir en l’homme aucune vérité" : Jacques Rivière est allé au plus près de l’âme de son ami. Il disparaitra prématurément, victime de la fièvre typhoïde. Mais la "folie" d’Antonin Artaud, elle, sera très productive. Quand il meurt à 51 ans, il laisse derrière lui une œuvre immense : dessins, écrits, poèmes, et surtout théâtre. Très actif dans le mouvement des surréalistes, il fonda le Théâtre de la cruauté qui fit bien des émules.
Musique : l’amitié de deux géants
Avec Judith Chaine, journaliste musicale à France Musique, et Georges Liébert, fondateur de plusieurs revues et éditeur chez Gallimard.Autre grande amitié, totalement différente et tout aussi riche, celle qui lia Franz Liszt à Richard Wagner. Deux géants de la musique qui se vouèrent une mutuelle admiration. A travers leur correspondance qui couvre une quarantaine d’années, on peut relire tout leur parcours, suivre leur vie mouvementée, leur recherche de la perfection. Ils se rencontrent à Paris en 1841. Wagner assiste, stupéfait, à un récital de Liszt. Il est complètement ébloui par sa virtuosité. Plus tard, au cours d’une représentation, Liszt est lui aussi frappé par le génie de Wagner.
Fascination réciproque alors que les deux hommes sont aux antipodes l’un de l’autre. Liszt est généreux, mais il éprouve une insécurité foncière qui alimente un besoin éperdu de plaire. Bien qu’ayant tous les publics d’Europe à ses pieds, il sera toujours en quête d’approbation. Wagner, quant à lui, est l’incarnation de l’égoïsme créateur. Il imagine et construit ses opéras fleuve en sachant parfaitement ce qu’il veut, et compose sa musique sans même se soucier de l’entendre. Il n’entendra "L’Or du Rhin" et "Les Walkyries" que des années après leur composition !
Correspondante foisonnante de détails comme celui-là, et que Gallimard a eu la bonne idée de republier. Edition forte de 402 lettres et enrichie de commentaires, présentée par Georges Liébert. A consommer sans modération, que l’on soit mélomane… ou non !
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