"Le Firmament" au théâtre du Rond-Point : patriarcat, lutte des classes et peine de mort
Sur scène, douze femmes et un homme, douze mères et épouses et un huissier de justice, sommé de garder le silence pendant les délibérations. Douze femmes qui ont entre leurs mains le pouvoir de vie ou de mort d'une jeune domestique de 21 ans, Sally Poppy, accusée du meurtre d'une fillette dont elle avait la garde. Le Firmament, mis en scène par Chloé Dabert, est présenté au théâtre du Rond-point jusqu'au mardi 18 février.
Nous sommes en Angleterre rurale en mars 1759, entre Norfolk et Suffolk. Sally Poppy est condamnée à être pendue, sauf si elle prouve qu'elle est enceinte. Dehors, la foule gronde, exige vengeance et réclame son spectacle. Et c'est aux douze femmes, donc, de trancher. Le huis clos ne va pas sans rappeler Douze hommes en colère de Sidney Lumet mais bien sûr les thèmes abordés diffèrent : Lizzy, une sage-femme, a d'autres combats à mener. Le Firmament, adapté de l'œuvre éponyme de Lucy Kirkwood, est une pièce à tiroirs.
Dans un décor minimaliste, épuré, les jurées vont s'affronter, se livrer intimement dans une ambiance dont la tension est savamment entretenue, mais entrecoupée de temps à autre par des traits d'humour salvateurs, qui agissent comme des respirations. Ces femmes, qui ont enfin mis de côté leurs corvées et autres tâches ménagères, découvrent le pouvoir, habituellement réservé aux seuls hommes. Au début, elles ont hâte d'en finir avant de se saisir de cette opportunité pour dire leur quotidien, narrer leurs souffrances. La sororité sera-t-elle au rendez-vous ? Les certitudes vacillent, les fissures apparaissent, béantes.
Dans cette fresque sociale et politique, petit à petit, le déterminisme, le patriarcat, la lutte des classes et la peine de mort sont intelligemment questionnés. Lizzy, interprétée par Bénédicte Cerutti tout en tension, presque à la limite de la rupture, se bat pour la vie, tente de sauver Sally Poppy, incarnée par Andréa El Azan, qui ne lui facilite pas la tâche en se montrant caractérielle et en repoussant sa tendresse.
La mise en scène de Chloé Dabert est redoutablement efficace. Et l'usage de la vidéo, pratique répandue parfois jusqu'à l'excès dans le spectacle vivant, s'avère pertinent. On entre dans l'intimité de ces femmes qui répètent à l'infini des gestes domestiques, comme baratter le beurre ou laver le linge. Et en se retrouvant dans un jury populaire, enfermées dans une salle, elles accèdent à un statut qu'elles n'ont jamais espéré, ni voulu. Dedans/dehors, soumission/rébellion, elles vont se révéler.
La pièce est pleine de rebondissements, laissant peu de répit au public. Chloé Dabert signe une œuvre incisive, originale avec une forte résonance avec l'actualité.
La fiche
Titre : Le Firmament
Texte : Lucy Kirkwood
Traduction : Louise Bartlett
Mise en scène : Chloé Dabert
Distribution : Elsa Agnès (Mary Middleton), Sélène Assaf (Helen Ludlow), Sarah Calcine (Hannah Rusted), Bénédicte Cerutti (Elizabeth Luke), Gwenaëlle David (Sarah Hollis), Brigitte Dedry (Sarah Smith), Olivier Dupuy (l'huissier), Andréa El Azan (Sally Poppy), Sébastien Éveno (le juge), Aurore Fattier (Emma Jenkins), Anne-Lise Heimburger (Charlotte Cary), Juliette Launay (Ann Lavender), Samantha Le Bas (Kitty Givens), Asma Messaoudene (Peg Carter), Océane Mozas (Judith Brewer), Arthur Verret (le mari / le médecin)
Dates : jusqu'au 18 janvier 2025
Durée : 2h45 dont 20 minutes d'entracte
Lieu : théâtre du Rond-point, 2 bis avenue Franklin Roosevelt, 75008 Paris
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