Le "moi" théâtral, impudique et drôle de Vincent Dedienne au Off d’Avignon
Le Chapeau d’Ebène Théâtre où se joue « S’il se passe quelque chose » de Vincent Dedienne à 19h35, est situé très à l’écart du centre d’Avignon, dans le sud-ouest de la cité, un quartier plutôt délaissé par les salles du Off. Y arriver, c’est quitter la cohue de l’avenue de la République, les spectacles de rue, les démarcheurs et les affichettes et apprécier le calme de ce théâtre ouvert il y a trois ans dans la Chapelle du Miracle.
Perdu d’avance
Une salle voûtée, de la pierre ancienne tout autour, décor minimaliste et éclairage très soigné. L’homme venu nu, s’habille à vue : de vêtements - slip, pantalon, pull – et de lumière. Vincent Dedienne est paré de son masque du théâtre. Acte marqué, peu banal : le spectacle (théâtre dans le théâtre) peut réellement commencer. Dès ces premières images, on sait où on est. Ou plutôt où on n’est pas : pas dans un stand up d’un comique qui fait des gags et qui parle de lui. Et pourtant Vincent Dedienne ne cesse d’enchaîner les choses drôles, et sa personne est le principal sujet du spectacle. Pis : son one man show d’humour qui n’est pas commence par ça : le son de la voix d’une écrivaine française très célèbre (on laisse au futur spectateur le plaisir de la reconnaître) qui affirme que l’exercice de l’autoportrait est forcément vain. « Comme ce spectacle est un peu un autoportrait », nous explique Vincent Dedienne par la suite, « j’aime bien commencer par l’idée que de toute façon c’est un peu perdu d’avance ».Vincent Dedienne se présente : date et lieu de naissance, métier, situation de famille, médicale, préférences sexuelles, numéro de sécurité sociale, numéro de téléphone … Et se raconte. Tout est vrai, tout est faux. « Le point de départ doit être sincère, je vous parle de moi, pas d’un autre », insiste-t-il. « Mais j’ai le droit de mentir, d’inventer, d’exagérer, de dévier, de vous distraire, de tricher un peu, pourvu que tous ces mensonges racontent une vérité ». Celle d’un gamin né en 1987 à Mâcon. Abandonné par ses parents. « Dans ce que je viens de vous dire, le plus dur n’est pas l’abandon. C’est Mâcon », dit son texte. L’adoption, la rencontre des parents : des gens « de gauche » sympathiques, même si eux avouent - se prêtant au jeu dans une vidéo - qu’ils auraient préféré tomber sur un autre gamin... Puis l’adolescence et l’apparition très tôt, de cette passion, la scène. On le voit sur scène à l’âge de 14 ans (déjà !), bonne bouille et chevelure très abondante. Autodérision.
Sur le fil
Parler de soi : peut-on le faire ? Et comment ? La question est au cœur du spectacle. Manipulée, étirée dans tous les sens. « En vérité, elle me passionne », avoue Vincent Dedienne : « cette question me passionne chez Hervé Guibert, par exemple, ou dans le « Journal » de Jean-Luc Lagarce, que j’ai dévoré. Baudelaire dit : le premier venu, pourvu qu’il sache amuser, a le droit de parler de lui ». Voilà qui lui ôte toute hésitation. « La moindre des politesses, c’est donc d’être amusant. Car si on l’aborde sérieusement, l’autoportrait, à 25 ans (c’est l’âge auquel j’ai commencé à l’écrire), ça n’a aucun sens, mon cerveau n’est pas fini… ». Dedienne tente de marcher sur un fil : « Je pense au documentaire d’Hervé Guibert : "La pudeur ou l'impudeur". Il y parle de ce fil sur lequel on peut marcher, assez vertigineux, mais assez excitant, entre la pudeur et l'impudeur. Mon spectacle se veut un peu sur le fil. Je montre mes vrais parents, je parle d'amour, d'adoption, d'ambition, des choses qui sont normalement assez secrètes. Mais du coup, pour ne pas être trop « normal », pour ne pas être le type qui conte sa vie normale, normalement, sans trop d'artifices, sans accessoires, je le décale un peu de moi ».Quelque chose s’installe entre le public et lui
Alors sur scène, Vincent Dedienne n’est pas seul. Il y a cet autre « lui », dans sa boutique, et puis « elle », cette agente de Pôle Emploi aux talons très hauts qui reçoit à son bureau Monsieur Paul Emploi, comédien au chômage (!). Et enfin « elles », ces grandes dames, les comédiennes qu’il convoque grâce à des archives. Pour se moquer, gentiment, comme d’Alice Sapritch. Ou pour les vénérer, comme Simone Signoret, Muriel Robin ou Annie Girardeau, pour lesquelles il exprime de l’admiration. « De la même manière qu'on fait (ou plutôt on faisait, rires)… des soirées diapo, j'aime bien me raconter aussi, mais en vidéo ». Le public partage son enthousiasme. Il rit tout le long, pas toujours au bon endroit peut-être, mais le comédien-humoriste aime ça. Parfois, Dedienne va vite, il faut suivre. Parfois il s’arrête, prend son temps, tout son temps, on croirait presque le spectacle terminé. « Je suis toujours préoccupé. Comme c’est une stature extrêmement autoritaire d’être seul sur scène, devant des gens à qui on demande de venir, de payer, de se taire, de rire et en plus de m’écouter parler, c’est une posture odieuse. Je me dis qu’il ne faut vraiment pas qu’ils ressentent cette autorité ». Alors il sourit, beaucoup. Il y a quelque chose qui s’installe, qui met à l’aise. On sent le comédien heureux.Attention : le spectacle de Vincent Dedienne a été vu avant l’attentat du 14 juillet et l’interview avec le comédien, réalisée dans la foulée.
« S’il se passe quelque chose »
De et avec Vincent Dedienne
Jusqu’au 30 juillet à 19h35
Au Chapeau d’Ebène Théâtre
Dans le cadre du Off d’Avignon.
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