Le peintre Nicolas de Staël, entre exaltation et désespoir, revit sur scène grâce à Bruno Abraham-Kremer
Au théâtre du Lucernaire à Paris, le comédien Bruno Abraham-Kremer nous plonge au cœur de la vie et de la création du peintre Nicolas de Staël au travers de sa correspondance.
Après Romain Gary, Jankélévitch et Tchekhov, Bruno Abraham-Kremer fait resurgir sur la scène du Lucernaire un Nicolas de Staël terriblement vivant grâce à son abondante correspondance. Staël, peintre ardent et torturé, qui avouait : "Le meilleur de moi-même se trouve dans mes lettres et dans mes dessins".
"Je connaissais le peintre, mais iI y a six ans est sortie l’intégralité de ses lettres. J’étais fasciné par leur qualité littéraire, l’oralité, la pensée en mouvement", nous confie Abraham-Kremer au lendemain de la représentation. Bruno Abraham-Kremer et Corinne Juresco qui signent l’adaptation, ont sélectionné parmi 800 pages les lettres qui de 1943 jusqu’à son suicide à Antibes en 1955 parlent de l’acte de peindre, du souci constant de renouvellement, des difficultés matérielles mais aussi de ses amours contrariées. Sur scène l'interprétation d'Abraham-Kremer nous projette soudain dans l'atelier du peintre, partageant avec nous ses hésitations, ses contradictions, commentant sa peinture en direct.
La force de Bruno Abraham-Kremer est de ne pas chercher à incarner l’artiste mais de le convier sur scène au travers de ses propres mots. Abraham-Kremer est entouré de deux musiciens, le contrebassiste Hubertus Biermann et Jean-Baptiste Favory à la console, qui improvisent chaque soir une partition différente et âpre rendant plus sensible la tension montante de la vie de Staël au fil des années. La scénographie, elle, met en miroir les mots du peintre et la vingtaine de tableaux projetés sur le plateau.
On est surpris par l’intensité des liens qui unissent Nicolas de Staël et René Char (leur correspondance dure quatre ans), la manière dont Staël se répand sur tous les sujets avec une franchise parfois impudique auprès du poète. Le ton sans concession avec lequel il s’adresse au grand marchand d’art Paul Rosenberg qui monte sa première exposition à New York. Les lettres pressantes et passionnées qu’il envoie à Jeanne, une amie de Char dont il est tombé follement amoureux : tout cela nous fait entendre avec force l’extraordinaire ardeur de vivre qui confine à une exaltation maladive et qui peut-être nous explique en partie le drame final.
Car dans ces lettres tout se mélange, peinture et vie privée, dans une explosion de couleurs, de doutes et de fulgurances. On suit aussi le cheminement d’une œuvre, de l’abstraction au figuratif, avant de mêler l’un et l’autre en les transcendant. Certains pourrait regretter le jeu scénique réduit au minimum, mais il est compensé par le style et la puissance des mots.
"C’est un artiste qui vit un déchirement presque christique dans l’acte de peindre, de se renouveler. Ce renouvellement, je sais combien il est difficile, l’effort que cela demande de ne pas faire la même chose", constate Abraham-Kremer. Le comédien rend ainsi un bel hommage à Nicolas de Staël qui prend place dans son panthéon d’hommes "profondément libres, qui échappent à tout classement". On connaissait le peintre, on découvre un écrivain, mais plus encore on est ému par les tourments d’un grand créateur.
Nicolas de Staël La fureur de peindre
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame-Des-Champs, 75006 Paris
19h (Dimanche à 16h)
Du 30 septembre au 15 novembre 2020
01 45 44 57 34
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