"Le Suicidé" à la Comédie-Française : l'homme que tout le monde voulait voir mort
Le Suicidé, donné à la Comédie-Française jusqu'en février 2025, est une aventure théâtrale difficile à résumer, c'est une expérience jubilatoire et hilarante à vivre. Dans le noir, un homme joue du piano, une loupiote au-dessus de sa tête.
Toujours dans le noir, un homme réveille son épouse avec une demande pressante : "Macha, Macha, il reste du saucisson ?". Macha n'est pas contente d'être tirée de son sommeil, elle le fait savoir à son mari indélicat. Sémione croit deviner la raison du mécontentement de Macha : il est chômeur depuis un an.
Fiat lux, la lumière revient. Dans un appartement communautaire décrépi, le couple continue de se déchirer. Arrive le quiproquo : Macha pense que son époux ne supporte plus sa vie et qu'il envisage de mettre fin à ses jours. Puis le grand malentendu, tout s'emballe, la rumeur de son futur suicide se répand.
Sémione voit venir son heure de gloire : le chômeur dépressif est encouragé de partout et par tous pour qu'il revendique son suicide au nom de telle ou telle cause. Et l'absurde atteint son paroxysme.
Chacun cherche son suicidé
L'histoire se déroule à la fin des années 1920 dans l'ex-Union soviétique. Les grandes purges staliniennes n'ont pas commencé. Les corps intermédiaires espèrent encore amener à la raison l'État. Pour, au passage, asseoir leur place et améliorer leurs conditions. Pour cela, il faut que Sémione, interprété par un Jérémy Lopez convaincant, cesse d'être égoïste et aille jusqu'au bout de son geste. Et de le revendiquer au nom des intellectuels, des bouchers, des écrivains… Car si les intellectuels sont réduits au silence, "on ne peut pas museler un mort s'il veut parler".
La pièce de Nicolaï Erdman, écrite en 1928 et jamais montée de son vivant, est une radioscopie de la société soviétique. Son humour absurde et grinçant déplait à Moscou. Il est arrêté en 1933 et condamné à trois ans d'exil en Sibérie après un poème satirique sur Staline.
Le Suicidé, la dernière pièce de théâtre de Nicolaï Erdman, entre pour la première fois au répertoire de la Comédie française. Les dialogues sont ciselés, les répliques fusent à tout bout de champ. Les personnages évoluent en vase clos, obnubilés par leurs propres intérêts, écrasés par un système autoritaire, comme cet homme incapable de savoir où placer les virgules dans une phrase.
Mais que pense le principal intéressé de son suicide ? "J'espérais que le suicide embellirait ma vie." Le plus pressant des nouveaux amis de Sémione est un intellectuel vindicatif et résistant par personne interposée, interprété par un Serge Bagdassarian impressionnant de présence.
Le Suicidé est une addition de plusieurs théâtres. On passe du vaudeville au loufoque, de la comédie grinçante à la critique acerbe, de l'absurde au chant… Stéphane Varupenne signe une œuvre drôle, intelligente, profonde dans les questionnements existentiels qu'elle ne manque pas de susciter, donc résolument contemporaine.
La fiche
Auteur : Nicolaï Erdman
Mise en scène : Stéphane Varupenne
Texte français, adaptation et dramaturgie : Clément Camar-Mercier
Scénographie : Éric Ruf
Distribution : Sylvia Bergé, Florence Viala, Christian Gonon, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Adeline d'Hermy, Jérémy Lopez, Clément Hervieu-Léger, Anna Cervinka, Yoann Gasiorowski, Clément Bresson, Adrien Simion, Léa Lopez et Melchior Burin des Roziers
Musiciens : Vincent Leterme, Véronique Fèvre, Hervé Legeay et Martin Leterme
Surtitrages : langue des signes française, français adapté, français, anglais
Durée : 2h20 sans entracte
Dates : jusqu'au 2 février 2025
Lieu : Comédie-Française, salle Richelieu, place Colette, 75001 Paris
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