"Le théâtre c’est ma famille", Eric Métayer, trois fois à l’affiche, nous raconte son Festival Off d’Avignon
Eric Métayer est à Avignon avec trois spectacles, deux reprises ("Les Chatouilles" et "Un monde fou") et une création co-écrite avec sa femme Andréa Bescond ("Déglutis, ça ira mieux"). Il nous raconte son Avignon.
Le chaudron du Off, son grand bazar, la fatigue, la concurrence, Eric Métayer connaît bien. Il y a vécu des déceptions et des grands bonheurs. C’est là que Les Chatouilles, créées avec sa compagne Andréa Bescond a démarré avant de connaitre le succès et de décrocher le Molière du seul-en-scène en 2016. Nous nous retrouvons à 17h dans le ravissant théâtre de la Condition des Soies où il va jouer une heure et demie plus tard son solo Un monde fou, endossant avec maestria 32 personnages ! Le visage mobile, expressif, mais le sourire un peu crispé, et cependant toujours chaleureux Eric Métayer nous raconte son Avignon… en forme de marathon.
franceinfo Culture : que représente Avignon dans votre carrière ?
Eric Métayer : Avignon j’en ai fait plusieurs. Ce sont des échelons différents, des rencontres, beaucoup. Mon premier festival d’Avignon je l’ai fait au marché des artisans comme vendeur. J’étais venu pour voir des spectacles et je vendais des bracelets en cuir, des choses comme ça. On m’a dit viens c’est super tu vas pouvoir voir des spectacles et en réalité je passais ma journée à vendre et le soir on me disait de dormir dans ma réserve car des trucs pouvaient être piqués. Le premier Avignon je l’ai fait au bord du Rhône mais je n'ai rien vu. J’avais 20 ans. Je suis revenu, j’ai fait un spectacle d’improvisation. Cette année c’est ma 5e fois, il y a des parcours comme ça et puis des lieux où on crée des liens, le théâtre du Chêne Noir, le théâtre du Balcon…
C’est important de revenir ici ?
Nous jouons dans des salles plus grandes, le public commence à nous connaître et c’est un endroit qui vous remet les pieds sur terre, car c’est un endroit difficile. Mais je ne fais plus la parade ! D’ailleurs elles sont beaucoup moins folles qu’il y a 20 ans. Et puis on est plus organisé (Il fait désormais partie de l’"écurie" Jean-Marc Dumontet).
Trois spectacles, c’est se lancer un défi ?
Non. Vous savez, nous les comédiens, on s’interroge sur ce qu’on va faire et du coup les choses se font peu à peu. On décide par exemple de remonter Les chatouilles, et on se dit que ce serait bien de le faire à Avignon. Et puis, avec Andréa, on se dit puisque nous allons à Avignon essayons de monter Déglutis, ça ira mieux que nous venions d’écrire. Et puis je me suis dit que je reprendrai bien Un monde fou, car ça fait longtemps que je ne l’ai pas joué. C’est comme ça qu’on est parti d’un seul spectacle et de fil en aiguille on s’est retrouvé avec trois !
Comment se déroule votre journée ?
Un monde fou est un spectacle très physique, très mental, très délirant dans la tête. J’essaye de me concentrer, je me relâche plus facilement après, pour aller voir les deux autres spectacles. Le vrai moment compliqué c’est ce spectacle-là. D’ailleurs j’adore aller voir les copains jouer mais jamais au-delà de 15h, après je pars dans Un monde fou que je joue à 18h30.
Parce que vous avez aussi le temps de voir les copains ?
C’est ma famille le théâtre, je ne peux pas ne pas aller voir, et puis c’est ça qui me nourrit : le jeu des comédiens, de nouvelles façons d’aborder la scène… Le Off d'Avignon est très proche du théâtre que j’aime, c’est-à-dire fait avec pas grand-chose. Vu qu’il y a très peu de temps pour changer les décors, les gens sont obligés de chercher, ce sont des contraintes et en même temps ça donne quelque chose de créatif, d’efficace. Faire quelque chose avec peu, j’adore ça. J’ai vu le spectacle de Marc Citti, Les vies de Swann, j’ai été fasciné par ce qu’il fait.
Comment faites-vous pour vous démultiplier ?
On se lève tôt ! Avec Andréa qui s’occupe de la direction artistique on fait le point sur les productions, on regarde comment fonctionnent les salles, on prépare nos notes. On est venu avec nos enfants, donc on gère les enfants aussi. Ensuite on voit si on peut aller voir un spectacle avant midi et un deuxième si possible qui s’arrête à 14h, puis on repart donner des retours à nos comédiennes sur le spectacle de la veille. Andréa me donne mes notes, puis ensuite je joue Un monde fou. Après on part directement au Chêne Noir voir Les Chatouilles, après Les Chatouilles on a un petit temps pour manger, on mange très très vite pour filer à 22h30 voir Déglutis ça ira mieux au Théâtre du Balcon.
Vous faites des notes, des corrections de jeu, tous les jours ?
On va commencer à lâcher, mais on est un peu des pervers de la note. On en parlait d’ailleurs avec Andréa, quand j’ai joué Les 39 marches, je l’ai joué 700 fois et elle 1000, et bien à la 700e je donnais toujours des notes !
Vous aviez une vraie envie de reprendre le solo Un monde fou qui vous a valu un Molière en 2008 ?
Oui parce que c’est un mélange de tout ce que j’aime, quelque chose d’assez physique et en même temps très technique, mais une technicité qu’il faut que j’efface : il ne faut pas que le public se dise pendant le spectacle que c‘est une performance. Je dois donner une impression de facilité et en même temps raconter une histoire, rentrer dans la peau des 32 personnages. J’ai un dixième de seconde pour changer et trouver une émotion qui n’est pas l’émotion du personnage d’avant ou d’après.
Après la pédophilie vous vous attaquez à l’euthanasie, des sujets lourds, encore tabous ?
Des sujets qui nous tiennent à cœur, liés à des choses vécues. Dans Déglutis, ça ira mieux on ne cherche pas à donner une réponse comme pour la pédophilie. Là on veut dire : laissez-moi le choix. Si je suis au bout de ma vie mais que je veux, malgré la douleur, me donner encore du temps, laissez-moi le droit de le faire. Mais si je ne veux pas me voir délabré, laissez-moi aussi le droit de prendre une décision. Il n'y a pas une religion qui a le droit de me dire que je ne peux pas le faire.
Le spectacle Les Chatouilles écrit par votre compagne Andréa Bescond, que vous mettez en scène, a-t-il donné une autre dimension à votre carrière ?
C’est une aventure énorme parce que c’est avec une comédienne extraordinaire et en même temps la femme avec qui je vis. Elle a écrit une chose fabuleuse et on a pu la créer ensemble. Le succès a libéré la parole. Reprendre le spectacle avec une autre comédienne, c’est un moyen de poursuivre la mise en lumière. Mais c’est bien aussi pour Andréa d’en sortir, la thérapie a été faite. Il était important de transmettre le texte à une non victime pour dire : ça nous concerne tous.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.