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Le Théâtre du Soleil ou cinquante ans d'aventure collective

Née quatre ans avant mai 68 du "rêve d'idéal" d'étudiants épris de théâtre, la troupe d'Ariane Mnouchkine fête cette année ses 50 ans. Et, depuis presque aussi longtemps, le théâtre du Soleil joue ses spectacles, de Gorki à Shakespeare sans oublier les créations collectives, à la Cartoucherie, ancienne caserne noyée dans la verdure du bois de Vincennes.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Odile Cointepas et Frédéric Ladonne dans "Molière" par le Théâtre du Soleil, 1978
 (Kobal / The Picture Desk / AFP)

Comme tous les soirs depuis 50 ans, c'est Ariane Mnouchkine, imposante silhouette et crinière blanche, qui déchire les billets des spectateurs.
 
Le Théâtre du Soleil a été fondé le 29 mai 1964 comme une "coopérative ouvrière de production" et s'est installé en 1970 à la Cartoucherie désaffectée du bois de Vincennes (Val-de-Marne).
 
Les débuts sont héroïques : la troupe squatte le lieu, installe des bâches sur les verrières brisées et joue le 26 décembre "dans un des hivers les plus froids du siècle", raconte Ariane Mnouchkine dans "Les clés de l'épopée".
 
75 permanents payés le même salaire
"On a montré que l'utopie, ça ne veut pas dire l'irréalisable", dit Ariane Mnouchkine, dans un entretien à l'AFP. "Ca n'a pas changé du point de vue de l'égalité des salaires, de l'exactitude, de la masse de travail que je demande à chacun d'entre nous", ajoute-t-elle.
 
Les 75 permanents, payés rigoureusement le même salaire (1.800 euros net aujourd'hui), participent toujours aux corvées de nettoyage et d'épluchures. Petit aménagement : les comédiens, qui construisent aussi les décors, sont dispensés de la préparation des repas pris en commun.
 
Le travail collectif, marque de fabrique du Théâtre du Soleil
Un travail collectif qui est la marque de fabrique du Théâtre du Soleil : la pièce se construit sur le plateau, les rôles ne sont pas attribués à l'avance, le texte s'enrichit d'improvisations. "Parfois on déchire des scènes en petits morceaux", raconte Hélène Cixous, auteur des grandes épopées contemporaines du Soleil depuis "L'histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge", en 1985. Pour "Tambours sur la digue" (1999), elle a écrit 27 versions du texte.
 
C'est à ce prix que la troupe accouche de spectacles épiques, traversés par la danse et la musique, qui partent ensuite en tournée dans le monde entier. "1789", la première grande création à la Cartoucherie, attire 281.370 spectateurs. "Les naufragés du fol espoir", en 2010, a été vue par 100.000 spectateurs avant la tournée et le film, diffusé prochainement sur Arte.
 
Mnouchkine inquiète de décevoir le public
En ce frisquet matin d'avril, rien ne va plus : une scène de "Macbeth" coince. Pour la réunion du matin, un cercle attentif se forme autour d'Ariane Mnouchkine dans l'air transparent du parc. Ca ne rigole pas : la première, prévue le 23 avril, jour de la naissance de Shakespeare, est reportée. En 1999, "Tambours sur la digue" avait été repoussé de trois mois.
 
"J'ai des moments de terreur sacrée, la terreur d'abîmer le théâtre, l'inquiétude de décevoir le public. Là, on monte Macbeth, c'est une pièce extraordinaire et difficile, notre rôle, notre devoir c'est qu'elle soit reçue", dit Ariane Mnouchkine.
 
A 75 ans, elle "n'a pas renoncé à changer le monde". "Pour certains, ça peut être très fatigant", sourit-elle. Elle a fait la grève de la faim pour la Bosnie, soutenu le combat des sans-papiers, lancé un atelier en Afghanistan d'où est sorti le "Théâtre Aftaab" (soleil en langue dari), hébergé à la Cartoucherie.
 
Une exigence légendaire
Son exigence est légendaire. "Des fois ça nous exaspère parce qu'elle pinaille, elle est extrêmement obsessionnelle", confie Hélène Cinque, arrivée à la Cartoucherie à 6 ans, avec sa mère, la comédienne Joséphine Derenne. "Parfois, on se dit qu'il faudrait qu'elle se calme un tout petit peu, si le banc n'est pas tout à fait sec, si le pied de cette table a été oublié... Mais la maison ne serait pas ce qu'elle est si elle n'était pas comme ça !"
 
"La maison" : c'est aussi le mot qui vient aux lèvres de Maurice Durozier, ancien du Soleil parti onze ans mener ses propres aventures avant de revenir. "J'ai compris que ma place était ici", explique-t-il. "En tant qu'acteur il y a quelque chose qui se passe entre Ariane et nous qui est unique. C'est peut-être une question d'amitié, Ariane ne conçoit pas le théâtre sans cette dimension affective".
 
Fidélités et ruptures fracassantes
Les ruptures sont aussi fracassantes que l'adhésion est totale. "On ne peut pas aller contre une telle puissance", reconnaît Hélène Cinque. "Si on adhère pas, on s'en va". Parmi les grands comédiens passés par la troupe, Philippe Caubère n'épargne guère le Théâtre du Soleil dans ses spectacles.
 
"Certains critiques ont même parlé de secte, pour moi c'est tout le contraire, un espace où on peut s'investir, un élan, une générosité qui n'existe pas ailleurs", témoigne Jean Bellorini, 33 ans. En 1999, Ariane Mnouchkine avait prêté au tout jeune metteur en scène la grande salle de répétition du Soleil, six mois, pour monter sa pièce "Tempête sous un crâne".
 
Aujourd'hui directeur du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, il voit "l'artisanat du Théâtre du Soleil" comme "un exemple, une lanterne à suivre".

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