"Les Enfants" au Théâtre de l’Atelier : une pièce intrigante sur le monde que nous leur laissons
En cette rentrée théâtrale parisienne, une pièce se distingue par l’acuité de son écriture et l’actualité de son sujet : "Les Enfants" au Théâtre de l’Atelier traite du rêve de l’atome et de ses désenchantements.
En cette rentrée théâtrale un peu morose, avec ses reports (Demain la revanche avec Gaspard Proust), ses annulations (Symphonie pour un vieux con, première mise en scène de Michel Hazavanicius), et ses déceptions (Les Humains adapté par Ivan Calbérac), une pièce se distingue. Une tragi-comédie qui parle du nucléaire et plus largement de l’état de la planète et de notre responsabilité d’adultes : cette thématique rarement portée sur scène ne pouvait qu’intriguer les amoureux du théâtre que nous sommes. La distribution des Enfants, de la britannique Lucy Kirkwood, finit de convaincre en rassemblant trois grands du théâtre (Cécile Brune, Dominique Valadié, Frédéric Pierrot) et la richesse de leur vécu.
Hazel (Cécile Brune) et Robin (Frédéric Pierrot) ont créé une ferme bio. Très vite on comprend qu’ils ont dû quitter leur maison, fuir la zone d’exclusion irradiée par la centrale nucléaire voisine, victime d’un tsunami inspiré à l’autrice par Fukushima au Japon. Robin, bravant les risques, continue à s’y rendre pour, dit-il, prendre soin de ses vaches. Au contraire d’Hazel, toujours pleine de projets, qui ne veut pas mettre sa santé en péril.
Portrait d'une génération
Sur la scène du Théâtre de l’Atelier éclairée par trois lampes de chantiers, quelques éléments de décor évoquent les années 70. On entend par intermittence des grésillements de courts-circuits électriques. Dans ce no mans land surgit une femme, Rose (Dominique Valadié), dont on apprendra d'abord qu’elle est une ingénieure nucléaire, une ancienne collègue du couple qui a participé à la construction de la centrale et qui fut autrefois la maîtresse de Robin. Pourquoi reprend-elle contact après tant d’années ? A cette question, au cœur de l’intrigue, s’ajoute celle de Rose dès son arrivée : "Comment vont les enfants?"
Ces enfants qu’on ne voit jamais dans la pièce sont évoqués à travers des allusions à la fille aînée du couple, malade ou handicapée, et par la présence d’un tricycle abandonné et couvert de boue.
Inconfort
Lucie Kirkwood, avec une légèreté apparente, slalome entre comédie, fantastique, et critique sociale. "Nous les retraités on est comme les centrales nucléaires, on aime vivre au bord de la mer", plaisante Robin qui n’a jamais quitté sa région. Le trio de comédiens excelle dans l’étrange, le jeu de masques, provoquant l’inconfort du spectateur. De fil en aiguille se dévoile le désenchantement de cette génération des années 70 qui a cru au progrès et doit affronter ses échecs. A quel point sommes-nous nos engagés, responsables vis-à-vis de nos enfants et des générations futures ?
Ce cocktail de satire sociale et de théâtre politique, typiquement britannique, fait mouche, jusqu’à la révélation du pacte que Rose est venue soumettre et qui brutalement fait basculer la pièce dans une interrogation plus profonde encore. On n’en dira pas plus. On louera cependant la mise en scène sobre et efficace d’Eric Vigner, la présence bravache de Frédéric Pierrot face à deux femmes plus incisives : Cécile Brune, ex-sociétaire de la Comédie-Française, qui refuse la réalité au profit de son confort, et une étonnante Dominique Valadié, hiératique et silencieuse, qui pourrait être l’instrument du destin.
"Les Enfants" de Lucy Kirkwood, mise en scène d'Eric Vigner (1h30)
Avec Dominique Valadié, Cécile Brune, Frédéric Pierrot
Théâtre de l'Atelier
Place Charles Dullin, Paris 18e
A partir du 20 septembre 2022
01 46 06 49 24
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