"Les Nègres" de Jean Genet à l'Odéon : la version onirique de Bob Wilson
Depuis le 3 octobre, l'Odéon - Théâtre de l'Europe donne la pièce "Les Nègres" de Jean Genet, publiée en 1948 et créée en 1959, monté par le metteur en scène américain Bob Wilson.
Livret visuel
A 72 ans, le metteur en scène a bouleversé la scène théâtrale depuis les années 70 en inventant un langage unique, où les images, la lumière, les mouvements et le son priment sur le texte. "Le livret visuel est aussi important que le texte qu'on entend", dit Bob Wilson, en marge d'une des dernières répétitions de la pièce à Paris. "Quand je commence un travail, je fais d'abord une mise en scène silencieuse, et ensuite j'ajoute la musique, les sons, le texte", explique-t-il.
Un "théâtre d'image, onirique"
Une guirlande aux lumières orange fait des circonvolutions sur la scène, des palmiers de néon installent une sorte de music-hall tropical ponctué par les stridences d'un saxophone (musique de Dickie Landry). L'espace de la scène est divisé en deux : d'un côté "la Cour" (Reine, Gouverneur, Missionnaire, Juge), siégeant sur des gradins, assiste à la mise en place par des Nègres d'un spectacle axé sur le viol et le meurtre d'une Blanche. Sauf que les Blancs de la Cour sont en fait des Noirs masqués, que la représentation du meurtre est jouée au second degré, dans un dispositif à multiples fonds. Des histoires parallèles s'entremêlent, comme celle de Village et Vertu, deux Noirs dont le désir est d'échapper à la malédiction du regard blanc et de construire leur identité. Nicole Dogué, qui interprète Félicité dans la pièce, a joué "Les Nègres" il y a dix ans dans la mise en scène d' Alain Ollivier. Elle évoque "un traitement radicalement opposé". "Bob Wilson est davantage dans un théâtre d'image, onirique, où le texte n'est pas premier, mais qui renvoie quand même à l'esprit de la pièce".
Tableau vivant
"Il fait une peinture, un tableau vivant et dans sa palette il va y avoir de la lumière, du son, des comédiens, des êtres qui se déplacent sur un plateau et tout ça ne fera qu'un et c'est ça qu'on raconte, c'est sa vision avec ce texte", explique Gaël Kamilindi, qui joue le personnage de Village.
Le dramaturge américain n'hésite pas à couper, et c'est ici le cas. "J'ai l'impression que les gens comprendront peut-être mieux cette version", estime néanmoins Nicole Dogué, parce que la pièce est très complexe, elle soulève des lièvres mais on ne les attrape pas!"
Reportage : Christian Tortel, Nordine Bensmail, Daniel Quellier, Serge Parsekian, Olivier Caneval Une pièce encore d'actualité ?
Jean Genet écrivait en 1955, dans une préface inédite, que sa pièce serait "oubliée" quand auraient "disparu d'une part le mépris et le dégoût, d'autre part la rage impuissante et la haine qui forment le fond des rapports entre les gens de couleur et les Blancs, bref, quand entre les uns et les autres se tendront des liens d'hommes". Pour Gaël Kamilindi, la pièce est "encore complètement d'actualité, ce qu'il décrit sur les blancs, les noirs, existe encore et on l'entend dans la bouche de certains encore aujourd'hui (...) Il grossit le trait pour qu'on puisse rire jaune et aussi le dénoncer, le pointer du doigt."
Bob Wilson avait enchanté la scène parisienne l'an dernier avec une comédie musicale, "Peter Pan" et une pièce, "The Old Woman", écrite par le Russe Daniil Harms, victime des persécutions staliniennes, magnifiquement servie par le danseur Mikhail Baryshnikov et l'acteur Willem Dafoe. L'Américain est un enfant chéri du Festival d'Automne à Paris, qui l'invite régulièrement et lui avait même consacré l'an dernier un "portrait" en plusieurs pièces et exposition.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.