Mohamed El Khatib invite sur scène des gens qu'il rencontre dans la vie
Deux de ses pièces sont à l'affiche à Paris (Le Monfort) et en tournée, "Finir en beauté", autour de la mort de sa mère, et "Moi, Corinne Dadat", ou la vie quotidienne d'une femme de ménage. "Au début on me disait: 'c'est pas vraiment du théâtre'", raconte-t-il. "C'est extrêmement documenté, mais ce n'est pas du documentaire. C'est un travail de fiction à partir du réel".
"Je crois que le théâtre peut changer la vie des gens"
Il y a deux ans, il est en répétition à Bourges lorsqu'il rencontre Corinne Dadat, 50 ans, femme de ménage. "Elle ne disait jamais bonjour. Je lui ai demandé pourquoi, et elle m'a répondu: +tu veux que je te dise le nombre de fois où j'ai dit bonjour et où on ne m'a pas répondu?""Elle avait intériorisé le fait qu'elle était transparente pour les gens", dit-il.Peu à peu, une relation se noue entre le metteur en scène et la femme de ménage. Il la filme dans son travail. "Ses gestes répétitifs, ses déplacements, évoquaient pour moi un vrai travail de danseuse". De là est née une pièce pour trois acteurs: Corinne Dadat, très "cash" avec son franc parler et sa blouse à carreaux, la danseuse Elodie Guézou et Mohamed El Khatib.
Quand il propose à la femme de ménage de jouer, il envisage une vingtaine de représentations et elle prend des congés sans solde au coup par coup. La pièce a déjà été donnée 70 fois et va partir en Angleterre et aux Etats-Unis. "Le regard sur elle a changé. Maintenant, on l'appelle Madame Dadat, un article avec sa photo a été affiché dans la salle des profs du lycée où elle travaille, ses enfants sont très fiers.
Physiquement elle s'est transformée, elle fait attention à elle, elle a perdu presque dix kilos", raconte Mohamed El Khatib. C'est pour ça que ce docteur en sociologie de 36 ans fait du théâtre: "Je crois que le théâtre peut changer la vie des gens".Après une première pièce "classique" avec des acteurs professionnels qui le laisse insatisfait, Mohamed El Khatib a décidé de "travailler avec des gens que je rencontrais dans le quotidien, des médecins, des femmes de ménage, des agriculteurs, que j'invitais à venir sur scène".
Parfois, le matériau est sa propre famille, comme dans "Finir en beauté" où il raconte avec humour et délicatesse la mort de sa mère il y a quatre ans. Seul en scène sur un plateau dépouillé (un téléviseur, quelques documents et photos), il évoque le chagrin, les petits riens qui font dérailler le rituel de la mort, comme cette scène dans le cimetière marocain où l'orchestre massacre la musique jusqu'à ce qu'un oncle glisse discrètement un billet dans la poche du chef.
53 supporteurs du RC Lens
L'humour, omniprésent, permet de désamorcer le trop plein d'émotion. Pour sa prochaine pièce, Mohammed El Khatib fera monter 53 supporteurs du RC Lens sur la scène du théâtre de la Colline en septembre, dans le cadre du festival d'Automne."Je prélève un morceau d'une tribune de football, avec ses mouvements, ses choeurs, sa chorégraphie", dit-il. La pièce fera aussi des "zooms" sur des trajectoires individuelles comme celle d'Yvette, 84 ans, qui va au stade depuis qu'elle a 8 ans. Le public de Lens est souvent qualifié de "meilleur public de France" : "Pour un match de routine de 2e division, comme Lens - Bourg-en-Bresse, il y a 30.000 personnes au stade!"
Il construit en parallèle une pièce avec les supporters anglais de Birmingham. "L'idée c'est d'organiser une confrontation entre deux types de public, le public du théâtre et celui du football. J'aime bien l'idée de réconcilier deux mondes qui ne se côtoient pas".
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