Myriam Boyer : "A Avignon, il n’y a pas d’intermédiaires. Il y a le public qui décide. C’est ce qui me plait"
Myriam Boyer est dans le Festival Off d’Avignon avec "Louise au parapluie". L’occasion d’une belle rencontre, chaleureuse, enthousiaste et optimiste avec une comédienne qui ne mâche pas ses mots.
Si elle vient régulièrement en voisine à Avignon, Myriam Boyer ne s’y est produite que rarement, malgré une carrière riche et exemplaire auprès des plus grands, comme Jean Vilar, Roger Planchon ou Marcel Maréchal. Réparation est faite, avec Louise au parapluie, une pièce écrite pour elle par Emmanuel Robert-Espalieu, également à la mise en scène, donnée jusqu’au 28 juillet au Théâtre des Gémeaux.
Myriam Boyer nous a confié son enthousiasme pour cette création, une comédie sociale dans l’air du temps, réaliste et optimiste. Mais elle revient aussi sur son parcours et porte son regard sur le Festival qu’elle a vu évoluer depuis les années 68.
Louise au parapluie raconte la décision prise par une ouvrière de se présenter aux élections municipales dans sa petite commune du nord de la France.
On a l’impression que Louise au parapluie a été écrite pour vous.
Oui, Emmanuel Robert-Espalieu a écrit cette comédie en pensant à moi. Cela fait suite à Riviera, une pièce sur la chanteuse de l’entre-deux guerres Fréhel, que j’ai jouée ici au Théâtre du Chêne noir il y a sept ans. C’était sur ses amours avec Maurice Chevalier. J’étais très heureuse de ce spectacle et de notre collaboration. Il m’a suivie un peu après, mais il faisait des trucs qui ne me plaisaient pas et on est restés un peu distants pendant deux ou trois ans. Puis il est venu voir Misery cet hiver à Paris et à la sortie il est venu me voir et m’a dit : "J’ai quelque-chose pour toi". Tout de suite, après avoir lu la pièce, je lui ai répondu "Chiche ! Allez hop, on le monte pour Avignon ! "
Pourquoi une telle adhésion de votre part ?
Je trouve que c’est un texte qui vibre sur scène, dans une espèce de jet. En plus il totalement actuel, il résonne avec notre époque, et je trouve qu’il n’y en a pas tant que ça. Au cinéma, il y a Ken Loach, mais des Français pas vraiment. Ce n’est pas évident d’écrire, de monter une histoire d’ouvriers. On ne voulait pas se frotter au système de production plutôt frileux sur ce genre de sujet, c’est pourquoi j’ai décidé de la produire. Il n’y a rien de plus dur à jouer, rien de plus dur. Il faut faire un tel trajet pour arriver à ça. Je voulais que cela soit reçu comme les gens m’en parlent. Et le retour est celui que j'espérais.
L’affaire des gilets jaunes a fait remonter tous ces gens, ces anonymes, tout d’un coup à la surface. Comme Ingrid Levavasseur. Cette femme a remis en avant un monde qui n’était plus représenté, ni en politique, ni au théâtre, ni au cinéma. Louise, dans la pièce, vient de là. Je me suis reconnue chez ces gens, au début du mouvement, qui se rassemblaient sur les ronds-points. Vous savez, je viens de là, moi aussi. Et quand je vois comment cette femme s’est fait évincer, avec violence, ça a été machiste, très dur, d’ailleurs on n’en entend plus parler. Mais j’ai entendu dire qu’elle se présenterait aux prochaines municipales. Comme Louise, c’est rigolo…
Les derniers films qui traitent de tels personnages remontent aux années 1970. J’en ai fait plus d’un. Un des derniers était Mariage à Paimpol de mon ex-mari John (Berry) que j’avais produit. Depuis, on nous dit "ça fait pas rêver"… oui, mais en même temps, c’est une réalité. Dans Louise, on a affaire à de vrais personnages, ils sont présents, ce n’est pas neutre.
Et puis il y a un message très positif qui serait "il faut se prendre en main". Le truc de se plaindre constamment, "c’est la faute de, c’est comme ci, c’est comme ça…", cette résignation, c’est tout le contraire de moi. Les gosses sont pareils : c’est toujours la faute des parents, la fautes des uns, des autres… Les gens de ma génération n’avaient pas ce regard sur les parents, ou la société. On était dans le "faire". Les soixante-huitards ont fait quelque chose. Ça nous faisait chier, on a fait sauter le système (rire). Et je suis restée un peu comme ça. Avec la pensée qu’il faut se donner de l’énergie et la communiquer. Alors quand on vous offre la possibilité de faire passer le message, même humblement, avec humilité, ça fait du bien.
C’est une pièce qui m’a fait du bien à lire. Alors je me suis dit, on y va et c’est pour Avignon.
Avignon, justement venons-y. Quel est votre festival à vous ?
Pour moi, à Avignon, il n’y a pas d’intermédiaires. Il y a le public, qui décide, tout de suite. C’est ce qui me plaît, ça, ça me plait vraiment.
J’ai une maison dans le coin et je viens régulièrement ici, mais pas pour le festival. Je l’ai fait en 1970 avec une pièce brésilienne d’avant-garde. Le metteur en scène s’était tiré et c’est Vilar qui nous faisait répéter (rire). Et puis j’ai fait Riviera au Chêne noir, c’est tout. C’est la première fois en fait, cette année, que je fais le festival Off. Car même pour Riviera, puisque c’était au Chêne noir (une institution du théâtre avignonnais, ndlr), la majorité du public est composée d'abonnées. C’était une pièce qui était jouée à ce moment-là, c’est tout. Une affaire de calendrier. Ce n’est pas comme dans le Off, où tout le public est invité. Donc, cette année, c’est pour moi une première.
Quel est votre regard sur ce festival unique au monde ? Son évolution ?
Vous savez, quand on en fait un, on sait tout. C’est violent, c’est sûr et on n’est pas tout seul dans l’aventure d’une pièce, c’est dur de faire exister un projet ici. En plus, pour Louise au parapluie, c’est moi qui produis, donc c’est avec la trouille au ventre qu’on vient. Et même si ça marche, on ne se relève pas complètement. Parce que le prix d’un spectacle est tel que de toute manière, même en marchant à fond, vous n’êtes pas remboursé. C’est pourquoi, vous n’avez pas beaucoup de producteurs qui viennent ici.
Il y a cette année 1 600 pièces dans le Off, il y en avait 1 450 l’an dernier. J’ai appris de bonne source que depuis le début du festival le 4 juillet, 350 compagnies avaient quitté les lieux, faute de spectateurs.
Vous vous rendez compte de ce qu’ils ont vécu ? C’est terrible. Tout cela se saupoudre, les gens se retrouvent entre eux, il y a les habitués, ces personnes ont un rendez-vous annuel. Mais faire une création ici, c’est gonflé. Je le savais, il faut du temps. Il faut parler. Les gens qui viennent sentent les pièces, c’est eux qui savent ce qui va marcher, ce qui va prendre. Ce sont des passionnés. C’est vraiment l’endroit du théâtre, une fois par an. Cela n’existe nulle part ailleurs. Alors que l’on a cru pendant longtemps que le Off ne tiendrait pas. En 1969-70, j’étais dans le In et personne n’y croyait. Ils avaient l’air de petits rigolos, qui mettaient leurs petites affiches, on n’avait pas franchement envie d’en être.
A l’époque j’étais dans le théâtre subventionné, j’étais avec Planchon, Maréchal, j’étais avec Chéreau, etc…, on regardait ça d’un peu de haut. Et maintenant tout le monde est là. Pourtant ce regard condescendant sur le Off de la part des gens du In demeure. Mais le phénomène a pris, et aujourd’hui le festival existe autant avec le Off, sinon plus par lui. Comme si le public avait pris le pouvoir. Cette séparation existe depuis le début. D’ailleurs c’est rare qu’une nana comme moi, qui a travaillé avec Planchon, Maréchal, Chéreau, fasse aussi du privé. Pour moi, ça, c’est formidable. Le théâtre donne accès à une vie très riche, mais j’ai donné, je me suis battue
Le milieu, les gens de théâtre ne sont pas du tout les mêmes que ceux du cinéma. Même s’il y a un enthousiasme des deux côtés, il semble plus fort dans le théâtre. C’est probant quand on est Avignon si on compare le festival avec Cannes pour le cinéma. Ce qui soulève aussi le problème des locations de salles pour les compagnies à Avignon.
Oui, c’est le scandale. Les directeurs de salles sont là pour faire du pognon. On n’est pas sur les mêmes histoires. Pour eux c’est l’affaire d’un mois. Ils sont fermés pendant toute l’année, ils sont propriétaire d’un lieu, et quand c’est ouvert, il faut que ça rentre. Alors les prix explosent et on bourre, on bourre, on bourre… C’est la rançon du succès.
Louise au parapluie
De Emmanuel Robert-Espalieu
Mise en scène ; Emmanuel Robert-Espalieu
Interprètes : Myriam Boyer, Prune Litchtlé, Guillaume Viry
Théâtre des Gémeaux
10 rue du Vieux Sextier
84000, Avignon
Réservations : +33 (0)9 87 78 05 58
Tarifs
Abonné 15 €
Plein tarif 22 €
Enfant (moins de 16 ans) 15 €
Réduit (étudiants) 15 €
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