"Nous, artistes, savons nous réinventer" : Farid Zerzour joue "Sinbad, la Naissance d’un héros" dans les cours d’immeubles
Pour s’affranchir de la fermeture des salles de théâtre, la compagnie du Théâtre du Kalam joue sa création "Sinbad, naissance d’un héros" dans les cours d’immeubles. Son auteur, Farid Zerzour, nous en dit plus.
Jouée en salle depuis plusieurs mois par la compagnie de Théâtre du Kalam, Sinbad, naissance d’un héros, inspirée des Mille et une nuits, est désormais transposée dans une version destinée aux cours d’immeubles de la région parisienne et bientôt à Paris. Une solution pour palier à la fermeture des théâtres jusqu'à nouvel ordre, en raison de la pandémie de Covid 19. Le chef de troupe, auteur et metteur en scène Farid Zerzour nous explique comment s’est effectuée cette transition.
France Info Culture : Cette période de confinement vous a-t-elle poussé à passer de la salle de théâtre à une représentation en extérieur ?
Farid Zerzour : Cette période de confinement est arrivée à un moment qui n’est pas propre à la création, mais correspond à celle où nous jouions nos spectacles. On avait une dizaine de dates sur notre planning. C’était devenu impossible et on a réfléchi à savoir comment on pouvait continuer à vivre. Il n’était pas question de s’arrêter. On mettait des animateurs aux fenêtres à 20h, pour participer à ce rendez-vous quotidien d’applaudissements. Des comédiens de la compagnie jouaient les Monsieur Loyal pour mettre de l’ambiance et inciter au partage entre voisins.
Il fallait être présent et créatif, parce que c’est une conviction que la Culture a sa place, et notamment en période de crise, et on a pu le vérifier dans l’appétence culturelle qui s’est manifestée durant le confinement. Dans notre équipe, personne ne voulait rester inactif. Nous, artistes, nous avons cette possibilité de se réinventer, et on n’a pas attendu le message du président de la République pour le faire.
Quelles adaptations ont été nécéssaires pour faire passer "Sinbad, naissance d’un héros" de la scène à la cour d'immeuble ?
La représentation en salle fait intervenir beaucoup d’effets de lumière, d’éclairage et de bruitage, notamment en rapport avec ce qui est représenté sur la fresque en cours de réalisation pendant la pièce, avec un effet de lumière ultra violette. Cet aspect technique est impossible à obtenir en extérieur à l’heure où nous jouons. En plus, nous voulions nous libérer de cet aspect technique.
D’une manière générale, on a réadapté, raccourci le texte, en passant de près d’une heure à quarante minutes, ce qui est déjà long pour jouer dans la rue et retenir l’attention. On y a ajouté un guitariste qui joue en direct, mais il fallait aussi réajuster l’exécution de la fresque, qui ne peut plus être frontale, comme sur une scène en intérieur. Nous avons donc décidé que le calligraphe l’exécuterait à la craie sur le sol pour que l’œuvre soit visible à la verticale par les spectateurs depuis leur fenêtre. En plus, elle va rester plusieurs jours, jusqu’à ce qu’elle s’efface, ce qui laissera pendant un temps le souvenir de cette représentation.
De plus, il y a des contraintes sanitaires de surveillance, avec deux agents qui vont demander aux gens de ne pas assister au spectacle dans la cour, puisqu’il est destiné à être vu depuis les étages. Et nous tenons à cette expérience éphémère qui laisse sur le sol, la baleine géante, l’oiseau Rok, le cyclope… pendant un temps.
Vous renouez avec une tradition ancestrale du théâtre en jouant dans les cours d’immeubles, que représente pour vous ce rattachement à l'esprit saltimbanque ?
Notre compagnie réside dans un tout petit lieu de 25 à 30 places au cœur de la cité de Colombes. Donc, il fallait élargir nos actions à l’extérieur, c’est notre vocation depuis le début, pour toucher un plus large public. Et puis parce que cet espace urbain peut être rapidement récupéré par de mauvaises intentions, divers trafics, du vol, de la noirceur, nous nous sommes dit qu’il ne fallait pas accepter cette fatalité, et que le théâtre pouvait y remédier. Donc, régulièrement, nous investissons cet espace public. On initie aussi beaucoup les habitants du quartier au théâtre, avec des spectacles de rue, des expéditions culturelles, des improvisations urbaines dans les halls d'immeubles, parce qu’il est très important de garder ce lien avec les habitants qui sont souvent très éloignés des pratiques artistiques.
En quoi consiste ces initiatives ?
Ce contact avec la rue est dans notre ADN. Nous voulons être au contact du public alors qu’il ne s’y attend pas, créer la surprise. Je suis à chaque fois bluffé par le désir des gens à vouloir découvrir des choses nouvelles. En fait, ils sont toujours à l’affut de ce qui va changer un peu leur quotidien : sur leur trottoir, dans leur hall, au pied de leur immeuble. Les gens sont toujours, toujours, toujours, accueillants, réceptifs. Pour nous c’est essentiel de jouer dans un lieu de vie, de rencontre, c’est fondamental de garder le contact avec les gens vrais. Notre travail se veut dans la continuité d’Armand Gatti qui a emmené le théâtre dans les usines par exemple. C’est dans nos gênes, c’est du théâtre d’urgence.
La Naissance de Sinbad parle de l’imaginaire, on le voit à l’œuvre dans la création d’une histoire, mais aussi dans celle d’une fresque en direct, quel est le sens de cette interaction ?
Notre compagnie est composée d’une bande d’artistes pluridisciplinaires qui s’apprécient et constituent une troupe. Chacun de nous a une spécialité. Un jour, est arrivé un calligraphe, aussi talentueux en écriture arabe qu'en caractères gothiques, avec une solide formation de peintre. On s’est dit qu’il fallait l’intégrer à un projet d’une façon un peu fraternelle, comme pour mettre en valeur les qualités individuelles de chacun. C’est un peu comme quand vous ouvrez votre frigo et que vous vous dites, "qu’est-ce que j’ai ? J’ai deux tomates, un oignon, une escalope de poulet, et bien je vais faire un poulet basquaise!". Cette pièce est née un peu comme ça. Pour que tout le monde y participe avec son talent propre.
Votre Sinbad est très particulier, ce n’est pas un héros monolithique.
Icône de l’esprit d’aventure, je l’ai voulu plus proche des gens. Il est pragmatique, pour survivre il a besoin d’argent, parle beaucoup de commerce et s’engage dans l’aventure en espérant en tirer un profit. Il est contemporain en ce sens. Il est un peu peureux aussi, modéré dans les risques qu’il est amené à prendre. On s’est dit qu’il fallait l’actualiser aux réalités présentes. Il peut être héroïque, mais aussi poltron. Dans le texte original, il est un peu stratège, calculateur, il veut gagner de l’argent. On voulait intégrer cette dimension-là, peu évoquée dans les livres de contes. Cela participe aussi de l’humour de la pièce, du moins je l’espère.
Comment est accueillie votre initiative par les municipalités ?
Notre travail, c’est aussi un travail de partenariat avec les institutions : l’Etat, la ville de Colombes où nous sommes basés, le département et la région. Tout notre projet s’articule avec des partenaires directs et indirects, il y a les bailleurs sociaux également qui sont importants. Mais quand on les contacte, leur première inquiétude, c’est la sécurité sanitaire. Le président de la République a dit qu’il fallait des commandes publiques pour les artistes, nous, nous somme prêts. Notre projet est bien accueilli, mais il y a quand-même cette crainte qui ralentit un peu les décisions. On a des premières dates, plutôt sur la deuxième partie du mois de juin et juillet, en attendant de voir comment ça se passe. Le temps administratif est long, nous ne travaillons pas sur les mêmes durées. Nous, on est prêts en une demi-heure pour jouer. Il y a une bonne volonté, mais ça prend du temps.
Les prochaines dates, toujours a 19h :
Samedi 06 juin à Nanterre cité du Petit-Nanterre.
Dimanche 07 juin à Eragny Cite des dix arpents
Vendredi 12 juin à Asnières cité des Mourinoux
Vendredi 19 juin à Argenteuil (95).
Samedi 20 juin a Stains (93).
Vendredi 26 juin a Colombes (92).
Samedi 27 Juin a Aubervilliers (93).
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